L’union fait la mode

© FRÉDÉRIC RAEVENS

À lire le paragraphe con-sacré au bandana dans l’irrésistible Comment rester chic en toutes circonstances de Gonzague Dupleix, il semblait que l’auteur avait signé l’arrêt de mort stylistique de cet accessoire, lui conférant pour unique rôle acceptable celui d’enlever le sable des pieds au retour de la plage. Il vient pourtant de refaire une apparition remarquée sur les podiums, tantôt noué aux poignets ou au creux du cou, tantôt glissé entre les passants de la ceinture d’un pantalon ou la hanse d’un sac à main. Le geste bien sûr est symbolique. En s’affichant avec un petit carré de coton blanc, les acteurs de la mode au sens large – en ce compris les invités des défilés qui, après New York où le mouvement a été lancé, se termineront dans quelques jours à Paris – entendent faire passer un message simple : restons unis ! Face à qui ? A quoi ? La campagne #tiedtogether initiée par le site Internet Business of Fashion ne nomme pas formellement  » l’ennemi « , se contentant de faire référence  » à l’évolution actuelle du monde « . Très majoritairement pro-Clinton pendant la durée de la campagne, les créateurs américains s’étaient très peu exprimés jusqu’ici, le risque de boycott en cas de prise de position trop tranchée n’étant pas à exclure, et ce de la part des supporters des deux camps. Au-delà de l’indignation bien légitime face à la libération d’une parole sexiste, raciste et ouvertement homophobe, l’industrie ne peut que se montrer inquiète vis-à-vis du protectionnisme économique prôné par les leaders populistes des deux côtés de l’Atlantique. Le business qui s’est mondialisé au point qu’il soit presque impossible d’encore distinguer les saisons dans les collections qui sortent concomitamment dans les deux hémisphères n’a eu de cesse, dans le même temps, de délocaliser sa production dans les régions de la planète, garantissant de la main-d’oeuvre à bas coût. Même si l’on ne peut que regretter la disparition de ces savoir-faire dans nos pays dits développés, le  » made in chacun chez soi  » relève dans le cas présent de l’utopie. La logique identitaire qui viserait à pénaliser les entreprises employant des travailleurs étrangers entraverait aussi la liberté de choix des maisons lorsqu’il s’agit d’engager une pointure. A ce petit jeu lamentable, Kim Jones ne serait pas directeur artistique de Louis Vuitton, Raf Simons de Calvin Klein ou Maria Grazia Chiuri de Dior. La créativité et le talent n’ont que faire des papiers et des visas.

ISABELLE WILLOT

LE  » MADE IN CHACUN CHEZ SOI  » EST UNE UTOPIE.

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