La région du Tonkin, au nord du Vietnam, abrite tout un monde mystérieux et chatoyant. Dans un paysage grandiose, rythmé par les rizières en terrasses, les ethnies minoritaires perpétuent une architecture pittoresque

et un mode de vie tout en couleurs.

Quitter Hanoi, c’est avant tout affronter un océan de véhicules entrant et sortant de la ville, noyant les faubourgs de la capitale vietnamienne dans une pétarade indescriptible. Mais la simple vue de la campagne surgissant une centaine de kilomètres plus loin fait immédiatement tomber le stress. Les épis de riz blonds fraîchement moissonnés sèchent le long de la route. Un peu plus loin, quelques femmes les battent vigoureusement afin d’en extraire la précieuse céréale, alors que des buffles labourent déjà les terres récoltéesà

Le Tonkin, également connu sous le nom de Bac Bô, se love au c£ur d’une région pittoresque, bordée par la plaine du Sông Koi, le fleuve Rouge, et des formations montagneuses qui s’étirent vers la frontière sino-laotienne. La route du Nord est certainement l’une des plus belles du pays. Et si la station d’altitude de Sapa demeure le but de la plupart des voyageurs qui visitent les confins du Nord-Vietnam, emprunter celle de l’Ouest permet de sortir des sentiers battus et de découvrir des sites préservés où vivent des ethnies qui perpétuent un mode de vie ancestral. Mais cette voie, qui est aussi celle de Diên Biên Phu, se mérite. Tortueuse et cabossée, elle s’immisce au travers d’un décor grandiose où des formations karstiques, en forme de pain de sucre, émergent çà et là d’une mer de rizières verdoyantes.

Des noms poétiques

Les nón lá, traditionnels chapeaux coniques, font place ici aux coiffes colorées des tribus. Il existe 54 ethnies au Vietnam, constituant 15 % de la population. Chacune se distingue par son costume et quelquefois son habitat. Les maisons Muong arborent des toits en forme de carapaces de tortues. Les Tay, eux, préfèrent les habitations sur pilotis couvertes de chaume, afin de maintenir leurs réserves de nourriture hors de portée des animaux sauvages. Réputée pour sa savante maîtrise de l’irrigation, cette tribu pratique une riziculture de qualité. Chamanisme et culte des ancêtres font également partie des rites particuliers qu’elle a pu conserver grâce à son éloignement des centres urbains. La plupart de ces tribus montagnardes ne sont en effet accessibles que depuis les années 90 ; le gouvernement de Hanoi s’en étant toujours méfié, leur reprochant leur collaboration avec les Américains durant la guerre qui ravagea le pays de 1959 à 1975.

Ces minorités aux noms poétiques, comme celles des Hmong fleuris, ont développé un art subtil du textile tissé s’exprimant au travers de nombreuses parures colorées, superposées, brodées et rehaussées de bijoux ethniques argentés. Les couleurs sont généralement naturelles, issues des plantes comme celles de l’indigotier. Mais la technique du batik est également employée pour teinter un tissu de plusieurs coloris, auxquels s’ajoutent les broderies dont les dessins sont porteurs de sens, désignant l’appartenance clanique, le statut social de chacun et parfois ses intentions : grâce à son costume, une jeune fille peut faire savoir qu’elle est à la recherche d’un mari.

Les femmes Dong, originaires de la Chine voisine, sont quant à elles reconnaissables à leurs énormes chignons. Du crin de cheval s’entremêle à leur chevelure pour en accroître le volume et constituer une véritable pièce montée. À l’instar des autres populations de la région, les Dong vivent de l’élevage, mais aussi du riz cultivé en terrasses, ce qui confère un charme fou aux paysages accidentés de la région.

Des marchés bigarrés

Au sommet du col de Tong Dau, à quelque 350 kilomètres de Hanoi, la vue sur la vallée de Mai Chau est sublime. Son La, petite bourgade sans charme, constitue l’étape incontournable sur la route du Nord. Cité-dortoir de style communiste, elle arbore encore de larges panneaux de propagande, posés stratégiquement au pied des terrains de sport fréquentés par la jeunesse. Dans la rue principale, les femmes vendent des litchis et autres fruits exotiques, ainsi que des brochettes cuites sur de petits braseros, dont certaines sont entièrement garnies de pattes de poulets. Ces marchés bigarrés se révèlent un plaisir pour les sens. Effluves enivrants, couleurs survitaminées : le spectacle est total. Une centaine de kilomètres plus loin, celui de Thuan s’étale tel un patchwork, variant selon les tonalités des fruits et légumes de saison.

En reprenant la route en direction Diên Biên Phu, un cortège funèbre pratique un étrange rituel. Les proches du défunt jettent des papiers par terre, faute de pouvoir utiliser de véritables billets de banque, pour payer les fantômes afin qu’ils s’éloignent. Le mort sera alors enseveli une première fois dans un cimetière. Deux à trois ans plus tard, un chamane déterminera où l’enterrer définitivement, en fonction de plusieurs paramètres, notamment de la position des étoiles. Voilà pourquoi il n’est pas rare de trouver des tombes au milieu des rizières ou dans d’autres lieux insolites.

Une nature qui reprend ses droits

Diên Biên Phu se situe à 34 kilomètres du Laos et à 155 kilomètres de la Chine. C’est un endroit stratégique que les Français ont défendu avec acharnement contre les Viêt-minh, durant deux mois en 1954. Les colonels de l’Hexagone avaient baptisé les collines environnantes de prénoms féminins. Mais la bataille fut féroce et marqua la fin de la présence française en Indochine. Aujourd’hui, la nature a repris ses droits sur les champs de bataille, et les monts écorchés abritent une flore sauvagement tropicale qui fait quelque peu oublier la difficile route qui s’engage vers Sapa.

Nichée dans la jungle, Lai Chau est notre étape du soir. Ce petit village traditionnel est voué à la disparition, à cause de la construction d’un barrage. Un bol de nouilles et du thé vert servi serré accompagnent le lever du jour baigné dans la brume. Les sommets montagneux, donc certains cols culminent à 2 000 m, sont perdus dans les nuages. Ici, la diversité tribale est multiple. Les Tay noirs et blancs, dont les hommes sont issus d’un même ancêtre, côtoient les Hmong rouges et les Daos, aux exubérants bonnets, qui soulignent leur peau burinée par le soleil d’altitude.

Sapa, station climatique

Les travaux de modernisation du pays font craindre que ces régions oubliées et si difficilement accessibles ne le soient plus pour longtemps. À Sapa, les petites filles Hmong passent leur soirée dans les cafés Internet, comme partout ailleurs dans le monde. De nouvelles écoles apparaissent çà et là dans les bourgades qui remplacent les villages traditionnels et la pression auprès des minorités s’accroît pour qu’elles scolarisent leurs enfants.

Après n’avoir rencontré que deux Occidentaux durant plusieurs jours, l’effervescence touristique de Sapa s’avère un peu oppressante. Cette station climatique construite par les Français se donne des petits airs de Lhassa, avec ses longues maisons accrochées à flanc de vallée et son atmosphère de ville-carrefour. Zone frontière du nord du Vietnam, perchée à 1 650 m, elle constitue le point de départ idéal pour entreprendre des trekkings dans la région. On peut se contenter d’une courte balade aux chutes de Cat Cat, en contrebas de la petite ville ou entamer l’ascension du fameux Fan Si Pan, le sommet culminant du pays (3 140 m), que l’on atteint généralement après cinq jours de marche.

Certains villages campagnards, comme ceux de la vallée de Lao Chai et de ses pittoresques rizières en terrasses, sont autorisés à accueillir les étrangers désireux de passer la nuit chez l’habitant, au c£ur de ce que d’aucuns n’hésitent à qualifier d’Alpes vietnamiennes. Les invités y sont accueillis au milieu de la pièce centrale autour de laquelle s’organise toute la maisonnée. Les moindres recoins sont utilisés pour loger la famille, tandis qu’une pièce séparée sert de cuisine où les aliments sont cuits dans d’énormes chaudrons, chauffés au feu de bois à même le sol. Nouilles sautées au porc et aux légumes, accompagnées de larges rasades d’alcool de riz, composent le festin de la soirée. Dehors, un orchestre aux sonorités difficilement identifiables anime la campagne plongée dans un noir profond. Derniers moments oniriques avant de retrouver l’exubérance de Hanoi.

Par Sandra Evrard

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