Showrooms ultradesign, musées rutilants, usines futuristes, aucun écrin n’est trop beau quand il s’agit de donner de l’éclat aux bijoux de l’industrie automobile. Aujourd’hui, de plus en plus de fabricants s’entourent d’architectes et de designers de renom pour les réaliser. Découvertes.

 » L’automobile est un équivalent assez exact des cathédrales gothiques « , écrivait Roland Barthes dans  » Mythologies  » (Seuil), large réflexion sur les nouveaux mythes en vogue dans la société moderne. C’était en 1957. Un demi-siècle plus tard, le culte du beau bolide draine toujours ses nombreux aficionados. Aujourd’hui, de plus en plus de grandes marques de voitures – surtout allemandes – se font même construire de véritables lieux de pèlerinage pour conserver leur place de choix au rayon des rêves contemporains.

Bien sûr, dès les années 1940, le Finlandais Eero Saarinen, un des maîtres les plus prolifiques de l’architecture du xxe siècle, édifie un centre technique dans le Michigan pour le compte de General Motors. Qualifié par les critiques de l’époque de  » Versailles industriel « , cette £uvre de verre et d’aluminium fait encore date. Par ailleurs, la plupart des musées dédiés à la gloire des grands constructeurs automobiles ne sont pas nés d’hier : dans les années 1960 déjà, à Stuttgart, Mercedes et Porsche en dédient des espaces à leur propre gloire, tandis qu’en 1973, BMW offre un écrin à ses carrosses en son siège de Munich. Aussi, Peugeot imite-t-elle ses cousines teutonnes en élevant en 1982, à Sochaux, un lieu d’exposition aux modèles qui ont fait sa réputation.

A côté des récentes £uvres d’architecte commandées par l’industrie automobile, ces  » protomusées  » font aujourd’hui pâle figure. En moins d’une décennie, les constructeurs ont compris, les uns après les autres, tout le potentiel publicitaire et les retombées en termes d’image et, partant, l’énorme pouvoir d’attraction que procure un univers architectural à la pointe de la contemporanéité, tant technique qu’esthétique.

La première grosse opération est signée Volkswagen. En 2000, le groupe ouvre un parc à thèmes dessiné par le bureau  » Gunter Henn Architekten  » et baptisé  » Autostadt « , (traduit littéralement :  » la ville de l’automobile « ). Situé à Wolfsburg, berceau historique de la  » voiture du peuple « , le site s’étend sur plus de 25 hectares qui contiennent tout ce qu’il faut en termes de communication pour épater le visiteur. Dans les imposantes tours de verre et d’acier qui sont le point d’orgue de la visite de ce parc verdoyant, on trouve bien sûr exposées les différentes griffes de la multinationale (Skoda, Lamborghini, Audi…) Mais aussi des attractions pour les enfants (circuit électrique à parcourir dans une New Beetle Cabriolet), pour les adultes (confection virtuelle de leur voiture idéale), des restaurants, des boutiques ou encore des aires de repos inspirées du feng shui. De quoi faire patienter l’acheteur potentiel. Car, sur place, il est possible d’acquérir la voiture de ses rêves en à peine quelques heures. Ce monstre de marketing et d’ingénierie n’a évidemment pas laissé bien longtemps la concurrence de marbre.

Ainsi, le tout nouveau musée Mercedes-Benz qui s’est ouvert à Stuttgart au printemps 2006 est un authentique chef-d’£uvre d’architecture contemporaine doublé d’une prouesse technologique impressionnante. Elevé par les architectes néerlandais Ben van Berkel et Caroline Bos de  » UN studio « , cette étonnante double hélice de rampes épouse un schéma assez proche du Guggenheim new-yorkais de Frank Lloyd Wright. Tout, dans cette architecture, n’est que fluidité : il n’existe ni salles cloisonnées, ni murs droits. Les plafonds de plus de 30 mètres de long ne sont soutenus par aucun pilier ! Par ailleurs, aucune des 1800 vitres triangulaires ouvrant un très beau panorama sur la vallée du Neckar n’est identique. La scénographie est tout aussi spectaculaire : on est soulevé à toute allure au neuvième étage de ce mastodonte de verre et d’alu par un ascenseur digne du  » Cinquième élément  » pour parcourir les cent vingt ans d’histoire de la marque. Au choix, on emprunte un des deux circuits qui serpentent en descendant en larges boucles vers le sous-sol qui marque la fin de cette saga écrite à la gloire de Benz. Le design intérieur, inspiré du dessin hélicoïdal d’une molécule d’ADN, reflète clairement l’idée du constructeur allemand : associer étroitement le progrès technique – dont il se déclare en partie dépositaire – et l’évolution de l’humanité. Les couloirs reliant les différentes salles sont d’ailleurs décorés de photographies en noir et blanc représentant les événements les plus marquants du xxe siècle. Ici, tout est scénographié pour qu’à l’arrivée le visiteur soit convaincu de la place essentielle que tient Mercedes-Benz dans l’Histoire, ou, du moins qu’il prenne conscience de sa valeur mythique. Efficacité prouvée : à la boutique de souvenirs, rares sont les visiteurs qui résistent aux gadgets plus ou moins luxueux marqués du célèbre symbole à trois branches. La fascination opère.

Une fascination que Porsche entretient depuis toujours, même auprès des moins férus de belles cylindrées. A quelques kilomètres du musée Mercedes, l’autre marque de luxe basée à Stuttgart n’a pas encore entamé la rénovation de son musée de Zuffenhausen. Cette rénovation a fait l’objet – en 2005 – d’un concours qui a attiré près de 200 bureaux d’architectes. Le gagnant, l’Autrichien Delugan Meissl, verra son projet surgir de terre à la fin 2008.  » Le musée sera la carte de visite de notre siège à Stuttgart-Zuffenhausen, le symbole même de notre société « , affirme fièrement Anton Hunger, le responsable de ce projet pharaonique qui accouchera dont la surface d’exposition s’étendra sur 21 000 m2 (contre les 16 500 m2 pour Mercedes…). Sur le site Internet de l’architecte (www.deluganmeissl.at), des images de synthèse permettent de se faire une idée précise de cette future plate-forme aux arêtes brisées, sorte de compromis entre l’angulosité d’un Steven Holl et les espaces ajourés d’une Zaha Hadid. Cette célèbre architecte irakienne, élève de Rem Koolhas, n’est certainement pas étrangère au secteur automobile. Ainsi, l’année dernière, celle qui fut lauréate 2004 du Pritzker Price, le plus prestigieux prix d’architecture, a offert ses services à BMW pour l’édification d’une usine à Leipzig. Ici, l’esthétisation est à son comble. Elle tranche sévèrement avec l’idée de l’usine automobile, grise et sans goût. Suspendu en hauteur, un immense tapis roulant, rétro-éclairé par un filet de lumière bleu cobalt, transporte les carrosseries immaculées vers les ateliers qui les métamorphoseront en BWW série 3. Pour la marque bavaroise, c’est entendu : l’usine se doit d’être  » une icône élevant la production automobile au rang d’£uvre d’art  » (1). Un précepte qui préside également à la réouverture l’été prochain d’un nouveau musée BMW à Munich qualifié de  » sans précédents dans le domaine muséographique « . Ouvert dans les années 1970, le musée originel a depuis lors été classé monument historique. Sans que l’on touche à sa configuration de base, cette ancienne structure en forme de bol subit aujourd’hui un agrandissement conséquent, passant de 1 000 à 5 000 m2. En Belgique même, BMW ne semble pas en reste : le 31 mai prochain, la marque inaugurera en effet un tout nouveau showroom au boulevard de Waterloo, à Bruxelles. A l’arrière d’une maison de maître totalement rénovée pour l’occasion, le lieu est destiné à devenir le point de rencontre de la marque dans la capitale européenne. Outre ses atouts professionnels, il comportera également un espace pour des expositions temporaires de produits de luxe ou d’art contemporain ainsi qu’un restaurant lounge.

Pionnières dans ces opérations d’image, les marques allemandes font aujourd’hui école. Ainsi, début juin prochain, Citroën devrait rouvrir son showroom historique,  » 42 avenue des Champs-Elysées « . Occupé dans les années 1980 par la chaîne de restauration Hippopotamus, l’espace a été totalement revu par Manuelle Gautrand, jeune architecte parisienne de talent. Une vitrine toute en transparences dévoilera au passant une série de véhicules anciens et modernes placés sur des plateaux tournants.  » Ce projet s’articule autour de trois idées-force, explique l’architecte : l’innovation qui est une valeur identitaire de Citroën – l’enveloppe de verre est d’ailleurs comparable à une carrosserie automobile ; l’élaboration d’une scénographie intérieure : Citroën voulait mettre en lumière son métier au travers d’un bâtiment vivant où des modèles de la marque seraient exposés ; la mise en valeur des chevrons, symbole de la marque mondialement connus.  » Cette mise en scène innovante devrait en tout cas donner des idées à Peugeot et Renault, également sur les Champs-Elysées. Mais déjà ringardisés par la présence toute proche de la très luxueuse vitrine de Mercedes, et, depuis un an par  » Le Rendez-Vous Toyota « , un showroom futuriste aux formes arrondies, redynamisé par Ora Ito, l’enfant terrible du design français.  » Ce n’est pas en priorité un endroit où l’on vient acheter une voiture, lit-on dans  » One Aim « , le magazine de la marque japonaise. Il s’agit davantage d’un lieu hybride, à mi-chemin entre la galerie d’art moderne et le  » lounge  » d’une boîte de nuit où l’on découvre la philosophie de Toyota, ses valeurs et son identité, dans un cadre séduisant  » (2). Finalement, la séduction, c’est comme les voitures, ça s’entretient. Sceptique ? Depuis sa transformation, fin 2005, le showroom de Toyota a vu sa fréquentation… doubler.

(1)  » Enquête au c£ur de l’univers BMW  » (publi- rédactionnel encarté dans  » Le Figaro  » du 29/9/2006).

(2)  » One Aim « , été 2006.

Baudouin Galler

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