Comment nous parfumerons-nous demain? La tendance est au retourà la vraie tradition, à l’élégance féminissime et aux fleurs nobles. Le tout, revu et corrigé dans l’esprit du IIIe millénaire.

La fonction première des parfums est de sentir bon… Mais « à travers les parfums, on épouse le monde dans lequel on vit », comme le souligne très justement Jacques Cavallier (*), parfumeur créateur chez Firmenich (société genevoise de parfumerie fine et de matières premières). Ils captent les émotions contemporaines, interprètent et reflètent nos comportements. Et ce dernier quart de siècle l’illustre parfaitement. Les années 1980 sont synonymes de matérialisme, de sensualité, voire de sexualité. C’est l’époque où tous les tabous et les barrières tombent. Opium de Yves Saint Laurent, Poison de Christian Dior ou Rumba de Balenciaga interprètent à merveille ces émotions « guerrières » de l’époque. Avec l’émergence du sida, le sexe est en deuil. Les garçons et les filles se ressemblent, s’habillent en noir. Les parfums des années 1990 sont asexués. cK One de Calvin Klein, le premier parfum unisexe, connaît un succès fou. Dans cette même décennie, on a besoin de se poser, on aspire à la pureté et au naturel. Les parfumeurs concoctent alors des eaux fraîches, transparentes, ozoniques ou marines, plutôt florales en version féminine, plutôt boisées en version masculine. En 2000, on tourne la page du minimalisme et de la sobriété des années sida. Par un retour de balancier, la féminité accomplie et exubérante est de nouveau à l’ordre du jour. Les créateurs de mode et de lingerie rivalisent d’imagination pour exalter et sublimer notre sex-appeal naturel. Tout le monde semble redécouvrir la « sexyness » avec plaisir. Les parfums adoptent, à leur tour, la touche sexy et élégante. « Les nouveaux lancements portent, dans leur signature olfactive, des signes évidents d’une plus grande sensualité, explique Thomas du Pré de Saint Maur, directeur marketing international produits parfumants chez Christian Dior à Paris. Les fragrances sont plus marquées en termes de densité. Le meilleur exemple? Notre parfum J’Adore et son thème floral très riche avec un fond chaleureux. »

Les fleurs nobles tiennent de nouveau le haut de l’affiche. L’iris, la rose de Chine et le jasmin s’épanouissent dans Desnuda d’Ungaro. Entourés par la vanille et la cannelle, ils laissent un sillage d’une féminité troublante. Dans L’Or de Torrente, l’absolu rose enivre par son mariage inattendu avec l’absolu café. Dans Celine pour femme, le coeur floral et voluptueux, riche en iris et rose de mai, se dévoile sur un fond boisé et onctueux. C’est aussi le grand retour des fleurs blanches, le jasmin, le gardénia, la tubéreuse, le lys et le néroli. La rose blanche et le freesia, l’absolu de jasmin sambac et la fleur d’oranger chuchotent leurs accords limpides et cristallins dans Murmure, la nouvelle fragrance très précieuse du joaillier Van Cleef & Arpels. A la Nuit de Serge Lutens est une composition somptueuse et sensuelle qui réunit les jasmins les plus riches d’Egypte, des Indes et du Maroc.

« La tendance des parfums blancs dans le sillage, mais aussi dans leur aspect extérieur semble se maintenir, si l’on considère le succès d’Eau de Cartier ou d’Initial de Boucheron », souligne Jean-Marie Martin-Hattemberg, expert près la cour d’appel de Versailles (spécialité: patrimoine de la parfumerie). L’Eau de Cartier? Limpide et précieuse comme un cristal de roche, elle se livre à travers la transparence d’un flacon cylindrique. Son message, plein de fraîcheur, déroule un accord frais-végétal, pétillant et mordant. Initial de Boucheron est un écrin soyeux et immaculé comme une perle. La fragrance libère les fleurs blanches (muguet et jasmin), couchées sur un lit sensuel de miel d’amande et d’ambre. Les épices et, surtout, le poivre, ouvrent également de nouvelles pistes, mais sont traitées différemment que dans le passé. Leur écriture olfactive devient plus légère et plus limpide. Dans Be 21 d’Orlane, la cardamome et la cannelle entourent la fleur de pistachier et l’ylang-ylang. Le poivre joue la vedette dans Chopard Madness Natural Black où sa note épicée relève agréablement un accord souple et fleuri. Dans la Préparation Parfumée d’Andrée Putman, la papesse du design, l’arôme du bois flotté se mêle avec harmonie aux feuilles de coriandre épicées de poivre gris et dévoile la subtilité du nénuphar. Mais ce sont surtout les nouveaux muscs qui triomphent. Dans Pour une Femme, la dernière création de Caron, les muscs amplifient de sensualité un somptueux bouquet de roses.

Les spécialistes soulignent également le retour des florientaux et des orientaux. Les premiers font tourner la tête aux Américaines. Dans Intuition d’Estée Lauder, on hume avec délice l’arôme subtil de la rose « Double Delight » de Madame Evelyn Lauder et du gardénia, soutenus dans le fond par la chaleur orientale de l’ambre jaune. Calvin Klein, dans Truth, fait battre le coeur de la fleur d’acacia, avant de nous plonger dans la douceur langoureuse du patchouli et de l’ambre blanc. Oscar de la Renta écrit Intrusion, une nouvelle mélodie florale, avec des accords de jasmin, de gardénia et de lys, sur un fond oriental de patchouli et d’ambre. « En ce qui concerne les orientaux, leur parti pris est plus évident en Europe, commente Thomas du Pré de Saint Maur. Il correspond à l’état d’esprit des femmes. Plus sûres d’elles-mêmes, elles ont envie d’exprimer leur féminité de façon plus théâtrale, plus audacieuse et plus pétillante. »

Cela dit, depuis les années 1980, époque des parfums chauds et opulents, nos goûts olfactifs et les matières premières ont évolué. Ce que les femmes veulent? Un oriental frais. Paradoxal? Pas vraiment, car les parfumeurs ne sont pas à un défi près. « Dans Dior Addict, un oriental frais par excellence, nous avons utilisé la fleur d’arbre à soie, poursuit Thomas du Pré de Saint Maur. C’est elle qui apporte la fraîcheur, une fraîcheur verte, mais en même temps charnelle, un peu animale, très sensuelle. Elle pénètre plus longtemps et se mélange très bien avec les notes orientales. Pour résumer, nous avons voulu aérer une note chaleureuse, sans lui faire perdre son côté sensuel. » Jacques Polge, le nez de Chanel, tient le même langage dans Coco Mademoiselle. La note de tête est plus abstraite, le coeur rosé-jasminé plus aérien et dans le fond, le patchouli et le vétiver sont plus épurés. Quant à Gloria de Cacharel, composé par Olivier Cresp, c’est un oriental à l’architecture minimaliste où l’accord de base ambre gris, vanille et cèdre, s’anime d’une touche de « folie latine », à savoir d’un soupçon d’amaretto.

Exercices de style

Une autre tendance qui a le vent en poupe consiste à nous séduire avec des formules relookées ou des interprétations nouvelles de classiques confirmés. « Certes, la parfumerie alcoolique ne disparaîtra pas, souligne Pascale Elmalan, directrice marketing et études Europe de la société de parfumerie Takasago. Cela dit, les produits évoluent énormément et, demain, il y aura de la place pour d’autres types de supports. Les gens sont plus ouverts, plus réceptifs et prêts à acquérir une nouvelle gestuelle, pour obtenir de nouveaux touchers sur la peau, dotés d’une grande notion plaisir. »

Les mutations s’opèrent lentement. Les parfumeurs ont d’abord lancé des parfums sans alcool, qui ne craignent pas le soleil et donc parfaits pour l’été. Dune Sun de Christian Dior, par exemple, apporte une délicieuse onde de fraîcheur et enveloppe le corps d’un voile impalpable, très sensuel, de vanille, de musc et de santal. Tout comme Eau d’Eté Parfumée J’Adore, une brume aérienne qui offre d’autres émotions sensorielles, plus intimes et plus pénétrantes. Jean Paul Gaultier a conçu une Huile Scintillante pour le corps. Très glamour, sa texture étonnante mélange les nacres et l’or pur. Quelques gouttes sur la peau ou dans l’eau du bain suffisent… et les notes fruitées et lactées de la tubéreuse enveloppent la peau comme dans une mousseline. Le célébrissime N° 5 de Chanel se décline dans des Huiles Essentielles pour le Bain. On peut également les utiliser, sur la peau humide, après la douche. Autre innovation? Le parfum pour les cheveux, incroyablement léger et ultraféminin avec son sillage N° 5 inimitable. Quant à Guerlain, il propose le divin Shalimar en Huile de lait Hydra-sensuelle. Quelques gouttes suffisent pour transformer l’eau en un bain de lait onctueux et richement parfumé.

Pile-poil dans la tendance aromacologique, Issey Miyake promet de doux rêves avec sa nouvelle Eau Parfumée Apaisante pour la nuit. Le célèbre bouquet freesia, lys blanc, cyclamen et rose est intact. Il y a juste quelques gouttes d’eau de bleuet, de rose et d’angélique en plus pour faire baisser la tension. L’innovation la plus originale? La « crackling cologne » Tommy Girl de Tommy Hilfiger, lancée en série limitée, l’été dernier. Après vaporisation, elle se transformait en mousse. Celle-ci, en s’étalant sur la peau, s’accompagnait de petits craquements secs, très agréables à entendre. Les jeunes ont adoré. Tommy Hilfiger pense déjà, pour fin 2003, à d’autres surprises, très glamour…

Barbara Witkowska [{ssquf}]

(*) « Fashion Daily News », 4 octobre 2002.

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