La ville où l’on s’éparpille le jour pour mieux se retrouver la nuit sous les airs de sambas, enjouée, contrastée, foisonnante et permissive, offre à chacun les rêves qu’il veut. Ne nous en tenons pas aux clichés exotiques qui font sa légende. Ouvrir les yeux, des plages de l’Atlantique aux pentes verdoyantes du quartier de Santa Teresa, c’est déjà s’inventer un Rio à soi.

On n’accoste plus à Rio comme au temps des conquistadors portugais voyant apparaître depuis la caravelle la baie de Guanabara. Son océan couleur d’améthyste et d’argent dans la lumière aurore. Les  » morros  » pointant vers le ciel, la jungle tropicale frisant le sable. Et ce messaged’un nouveau monde, gonflé de sève et prêt à ensemencer la terre, qu’ils recevaient il y a cinq cents ans face au paysage époustouflant. Aujourd’hui, les choses ne sont plus tout à fait pareilles. Mais quel éternel spectacle ! Du haut du Corcovado ou, plus confidentiellement, depuis l’hôtel Fasano griffé Philippe Starck avec les teintes chaudes des bois du Brésil. Sur sa terrasse de rêve avec bassin à débordement dominant Ipanema, les clients sont transportés dans un insensé travelling des yeux entre mer, ciel, nuages, jusqu’à la silhouette bosselée des montagnes. En 1936, Stefan Zweig devait ressentir la même émotion depuis les fenêtres de sa suite au Copacabana Palace.

Une architecture dynamique et fluide

Septante ans après, la baie n’a plus rien à voir avec les photos anciennes qu’on peut chiner aux puces de Praça XV, mais elles laissaient présager ce qu’elle allait devenir. Une ligne continue d’immeubles regardant l’horizon marin, qui n’est pas arrivée à détruire l’amplitude du paysage. Avec elle, un déploiement de béton, de verre et de lumière qui faisait écho aux idées modernistes des années 1950. Pionnier de ce mouvement, Oscar Niemeyer invente une architecture dynamique, fluide, aux formes libres dont il applique les courbes en haricot à sa maison de Canoas dans la forêt de Gávea. Depuis, son nom fait le tour du monde et lui, le tour du siècle. L’homme a 100 ans, il vient d’inaugurer le théâtre populaire à Niterói, voûte panoramique, façade jaune et lignes ondulantes, en face de Rio. A quelques vagues de là, il a réalisé le musée d’Art contemporain. Vu de loin, l’édifice ressemble à une soucoupe extraterrestre lancée avec une grâce aérienne au-dessus de l’eau. La forêt n’est jamais loin, primaire. On ne peut s’imaginer à quel point elle se glisse dans les replis de la ville. Elle a inspiré au xixe siècle le Jardin botanique ourlé d’une allée sans fin de palmiers géants. Un siècle plus tard, elle a fasciné le paysagiste Roberto Burle Marx qui installa son univers végétal autour d’une  » fazenda  » de 44 hectares, cultivant ses 3500 plantes dans différents écosystèmes. On le définit comme un passeur d’espèces rares ou oubliées, à qui Rio doit ses espaces verts et les mosaïques blanc et noir sur la promenade de Copacabana où les joggeurs bronzés font chauffer leurs muscles au petit matin. En week-end, la plage est noire de monde, de jeunesse et de vitalité. Ici, le sable appartient à tout le monde. On mange, on boit, on danse, on drague, on tape dans le ballon rond.

Echapper à la jungle urbaine

Pour savourer un exotisme proche du paradis, mieux vaut sortir de la ville, filer sur la côte de Grumari et s’attabler à la  » cabana  » du même nom. On y sert des poissons tout juste pêchés. Personne ne les remarque, mais Rio est truffé de petites enclaves hors du temps qui échappent par miracle à la jungle urbaine. Il suffit de jeter un £il au pied du fort de Copacabana pour découvrir quelques barques sous les tamaris, des filets et une poignée de pêcheurs insensibles aux turbulences de l’avenida Atlantica. Rien n’est plus pittoresque que le quartier de Santa Teresa. Haut perché sur le  » morro « , Rio l’avait oublié. Aujourd’hui, le nom tinte aux oreilles des chauffeurs de taxi, promesse de côtes abruptes. L’escalier de Selarón à Lapa permet d’y monter. Faire escale chez Mama Ruisa… Pas moins de 215 marches, transformées en £uvres d’art par l’artiste qui, depuis vingt ans, les tapisse de mosaïques colorées. Mieux vaut grimper dans le  » bonde  » qui bringuebale avec des grincements de vieux tram. Depuis le Centro, il vous hisse au c£ur de Santa Teresa en traversant les arcs vertigineux de Lapa. Au début du siècle passé, le quartier était habité par des familles cariocas aisées, parfois mécènes, qui venaient chercher l’air frais et la fuite du temps sous les palmes vernissées. D’élégantes villas civilisaient la végétation tropicale. Puis la mode pour les quartiers modernes du bord de mer et l’ombre des favelas qui s’installèrent dans une frénésie anarchique ont bouleversé les usages. Les gens mirent la clef sous la porte et Santa Teresa prit une mine défraîchie. Depuis quelques années, le site et l’atmosphère unique du quartier avec ses échoppes et ses vieux bars semblent avoir une attraction particulière auprès des designers, antiquaires et des artistes, tels Zemog et Rita, entraînant quelques esprits touchés par le lieu. Français et Italiens les ont rejoints, tous ont l’impression d’être au bon endroit au bon moment. Pour Ana Durães, qui habite une maison ancienne irrésistiblement colorée, c’est un creuset créatif idéal à ses peintures. Dans une ville si vaste, si jeune, Santa Teresa devient une curiosité, un quartier entier qui a conservé son histoire, ses ruelles pavées, depuis le couvent du xviiie siècle jusqu’à la collection de l’industriel Castro Maya rassemblée dans son musée et à la placette de Largo das Neves où, le soir, les familles se retrouvent autour des bars. Avant même de trouver l’habitation de ses rêves, Jean-Michel Ruiz a succombé à ce charme bohème. Une série d’enchantements qui l’ont conduit par hasard à une élégante villa 1900 de style colonial. Transformée en maison d’hôtes, Mama Ruisa plonge dans la baie de Guanabara jusqu’au Pain de Sucre. Rio est à ses pieds avec ses juxtapositions riches et pauvres. Le blanc s’impose dans la maison comme la version moderne et aérée d’une architecture traditionnelle qui a conservé ses éléments d’époque, portes et parquets en bois d’Amazonie, fenêtres anciennes. L’espace, lumineux le jour, magique la nuit, rassemble un panachage d’objets différents rassemblés dans un maintien irréprochable autour d’accueillants canapés. Le petit déjeuner est servi dans le jardin, près des orchidées ou sur la terrasse, dans un léger parfum de jasmin et avec un désassorti raffiné d’argent et de porcelaine. A l’heure de la  » caipirinha « , quand le soleil éteint ses derniers feux, on savoure alors cette sensation physique très particulière d’apaisement, chaloupée par les chansons de Daude, dernière-née de la nouvelle génération aux notes jazzy… Les petits-enfants de Tom Jobim et Vinícius de Moraes perpétuent le mythe. Rio, éternel objet du désir.

Reportage et texte : Geneviève Dortignac

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