Planète Namibie

Le plus fascinant des déserts africains se trouve dans le sud-ouest du continent. Cap vers cette contrée, à la découverte d’un espace minéral où l’on peut encore se croire seul au monde.

Où sommes-nous ? L’avion censé nous déposer dans le sud de l’Afrique survole des dunes rouge braise d’où surgit un chaos de montagnes calcinées. Mars existe aussi sur la Terre, dans ce pays aussi étrange qu’une autre planète : la Namibie. Le désert flamboie comme l’enfer. Un infini minéral, époustouflant. Pas un village, ni même une maison. Ni girafes ni éléphants parcourant la savane. Pour situer cette étrange contrée sur la carte, visez la pointe sud du continent africain. Remontez la côte sud-africaine vers l’ouest : la Namibie commence dès la  » zone interdite « , l’une des premières réserves de diamants du monde. Une fortune découverte vers 1880 par les colons allemands, et que se partagent aujourd’hui le gouvernement namibien et la De Beers. 1 500 kilomètres plus haut, tout au bout de la sinistre côte des Squelettes, la rivière Kunene clôt le territoire : sur l’autre rive commence l’Angola.

Le long de la côte roulent les dunes rouges de l’immense désert du Namib, réputé le plus ancien de la planète.  » D’un point de vue géologique, c’est un endroit passionnant. Comme ni forêts ni villes ne recouvrent le sol, c’est un musée de l’histoire de la Terre à ciel ouvert. On le dit vieux de 80 millions d’années « , s’enthousiasme Gerhard, notre guide. Gerhard Thirion est un Namibien blond aux yeux bleus : son nom français résonne encore des rêves de fortune qui tirèrent un arrière-grand-père de sa Normandie natale. 2 % de Blancs, en majorité des Afrikaners, et 98 % de Noirs issus d’un patchwork d’ethnies s’éparpillent ici sans presque jamais se rencontrer : avec moins de 2 millions d’habitants, la Namibie est l’un des pays les moins peuplés du globe.

Déserté des hommes, le Namib est d’abord le territoire de la lumière. Sur l’horizon sans limites, le regard se noie dans une mer de dunes pastellisées par le soleil. Il y a les pourpres clairs et sanglants des dunes à midi, découpées net par la silhouette solitaire d’un oryx ou d’un acacia. Les ombres roses et floues de l’après-midi, quand le vent lève ses mousselines de sable. Et la splendeur du soir, quand tout devient mauve et doux. Un enchantement esthétique grisant et apaisant.  » La sensation d’une liberté sans limites « , résume Gerhard. Le c£ur des dunes est à Sossuvslei, où les montagnes de sable sont les plus hautes (jusqu’à 300 mètres) et les plus rouges. Il y a longtemps, un fleuve passait ici ; sur son lit de calcaire étincelant comme du givre se dressent des arbres calcinés, fossiles dont l’histoire remonte à plus de huit cents ans.

Un désert vivant

En dépit des apparences, dans ce désert on n’est jamais seul. Le sable grouille – de scorpions, de lézards et surtout d’insectes. Tous déploient des trésors d’ingéniosité pour y survivre. D’innombrables scarabées parcourent les dunes sur des pattes surélevées, gagnant ainsi quelques degrés de fraîcheur. Le gecko danse sur deux pattes à la fois, tandis que les deux autres prennent le frais. La moindre goutte d’eau est mise à profit par la nature : en une nuit, une bonne pluie peut réveiller des graines en sommeil depuis trois décennies, et métamorphoser les vallées de sable en jardins de fleurs. 2008 est une année record : gratifié d’une pluviométrie inhabituelle, le désert du Namib s’est couvert de marguerites et de graminées, l' » herbe de huit jours  » qui scintille sous le vent comme des blés verts.

Plus au nord, dans le Damaraland, qui borde le désert du Kalahari, les pluies ont transformé les vallées de cailloux en une steppe argentée. Ici pousse aussi une plante unique, Welwitschia mirabilis ; lointaine cousine de nos pins, ses cônes rouges éclosent à terre, entre deux feuilles enroulées comme du raphia. Çà et là, des buissons d’euphorbes dressent leurs piques redoutables : mortelles pour les hommes, elles nourrissent les oryx et les rhinocéros.

Le voyage se poursuit vers le nord. Le petit Cessna survole la côte des Squelettes. Des mines de nickel abandonnées émaillent le sol lunaire, la carcasse d’un cargo s’éteint sur la plage déserte : le redoutable courant de Benguela et les fonds truffés de récifs interdisent ici tout rêve balnéaire. Des colonies d’otaries vivent ici, des éléphants et même des lions passent parfois le long de ces grèves inhospitalières. L’avion bifurque vers la région d’Etosha, survolant d’époustouflants cônes karstiques qui rappellent Ayers Rock. Des plaines, enfin, piquetées de mopanes et d’acacias. Le plus grand réservoir namibien de faune africaine se trouve là : comme pour nous le prouver, un groupe de girafes passe sous le cockpit qui rase le sol. La réserve d’Etosha, malgré les pluies, reste un vaste désert : 93 000 km2 de cailloux et d’herbe rase ourlent une immense saline qui miroite comme un mirage blanc sous le soleil. Quelques (rares) points d’eau, où convergent rien de moins que 114 espèces de mammifères. Ils sont partout, peu farouches : les zèbres et les gnous, les chacals et les écureuils qui redressent leur queue plate au-dessus de leur tête en guise de parasol. Nous cherchons le roi des lieux, le lion :  » mission pas impossible mais difficile durant la saison des pluies « , prévient Gerhard. Mais soudain, alors que le voyage touche à sa fin, il paraît inconcevable de quitter les lieux sans avoir aperçu ces animaux mythiques. Frustrés, les voyageurs en oublieraient presque la beauté des jours passés.

C’est le matin de la dernière chance à Ongava, petite enclave privée en bordure d’Etosha. La Jeep sillonne inlassablement les fourrés, manquant s’embourber. Toutes les antilopes de la Création semblent réunies ici, depuis le petit springbok jusqu’au gigantesque élan du Cap et sa tonne de muscles. Malgré ce foisonnant gibier, point de lion. Après le déjeuner, un dernier espoir nous pousse à renoncer à la sieste pour retourner sur les chemins écrasés de chaleur. Plusieurs heures d’errance se passent, quand soudain ils sont là. Et l’on regarde vivre les lions, la gorge nouée par une étrange émotion. Ils sont doux comme des chats, ces redoutables félins qui semblent si familiers. Si familier le rugissement de la mère rappelant ses petits, les jeux tendres, les câlins. La paix du soir descend, aujourd’hui comme au premier jour.

Sous le ciel rouge du couchant, les verres tintent, les conversations vibrent de l’émotion de la journée. Près du feu, sur la grande table, argenterie et cristaux étincellent : ce luxe improbable sacralise la magie des grands espaces. Le village le plus proche est à une demi-journée de marche : grisante pensée. Dans le fragile écrin de la tente où l’on passe la nuit, le cri d’une hyène, le frôlement d’un chat sauvage peuplent les derniers rêves de leur sauvagerie grandiose.

Nathalie Chahine Photos : David Lefranc

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content