Il y a un demi-siècle, Jack Kerouac jetait un gros pavé dans la mare bourgeoise en racontant son épopée bohème sur les chemins d’une Amérique bouffie de préjugés. Ode à la liberté sexuelle et à l’errance initiatique, abreuvée d’envolées spiritueuses et spirituelles,  » Sur la route  » (Folio) allait devenir le flambeau de la beat generation. Aujourd’hui encore, ce livre culte passe pour une sorte de Kilimandjaro de la contre-culture, un sommet de l’anti-establishment. D’autant plus adulé 50 ans plus tard que la contre-cul-ture a du plomb dans l’aile. Systématiquement récupérée par la pensée dominante pour être transformée en spectacle ou en  » débouché « , elle voit le plus souvent son pouvoir de subversion réduit à peau de chagrin. C’est ce que dénonce notamment l’écrivain Bruce Benderson dans son tempétueux  » Concentré de contre-culture  » (Scali).

Ce n’est pas cette année que la tendance s’inversera. Prenez le film événement de l’été,  » Les Simpson « . Homer et sa bande, impénitents pourfendeurs de morale bien-pensante, n’échappent pas à la grande lessive. Jugés cool, leurs bouilles mal dégrossies ornent gants de toilettes, mouchoirs en papier ou encore pâtes alimentaires. Même Jack Kerouac est convié au banquet. Son univers pourtant âpre et si peu glamour inspire une collection capsule stylée et vagabonde à la griffe Hogan. Belle revanche pour ce  » clochard céleste « …

Rien de nouveau sous le soleil en réalité. Au faîte de leur gloire, les Beatles avaient déjà abdiqué leur révolution pop en allant s’agenouiller devant la Reine d’Angleterre… A se demander si la contre-culture n’a pas pour finalité de rallier au plus vite la culture  » mainstream « . Une thèse défendue avec conviction et panache par Jeff Chang à propos du hip-hop ( » Can’t stop, won’t stop « , Allia).

La culture, c’est aussi les voyages. Là au moins, les réfractaires aux excursions clés sur porte n’ont pas de souci à se faire. Selon l’adage qui veut qu’on est jamais aussi bien servi que par soi-même, ce sont les acteurs institutionnels qui mènent la fronde. Comme Ikea, qui vient de convier ses clients à passer la nuit dans son magasin d’Oslo transformé pour l’occasion en hôtel. Ou comme Thalys, qui déboule à toute vitesse dans le monde virtuel Second Life en y implantant une gare de téléportation, point de départ vers des destinations impalpables… Au risque de dérailler, formulons cette hypothèse : et si c’était le marché qui roulait pour la contre-culture et non l’inverse ?

Laurent Raphaël

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content