Des guirlandes fleuries aux murs des Loges de Raphaël, une grotte incrustée de coquillages au beau milieu des jardins : dans ces lieux intimes, luxuriance rime avec silence.

L e Créateur se repose. Normal, Il vient juste de séparer la lumière des ténèbres. Comme apaisé d’avoir pu trouver un peu de tranquillité. Il est bien installé dans un médaillon, au plafond des Loges du Vatican, peintes sous la direction de Raphaël, une galerie déserte en plein palais pontifical. Rien à voir avec son avatar, à la fois grandiose et imposant, de la chapelle Sixtine, toute proche. Ce Dieu-là promène un regard bienveillant, presque timide, sur les 12 travées du corridor richement décoré. Pourtant, le visiteur qui pénètre ici, lui, est plus qu’impressionné.

Après avoir affronté le flot bourdonnant des touristes, irrésistiblement attirés par les fresques du chef-d’£uvre de Michel-Ange, il entre ici dans le royaume du silence et du pastel. Derrière les baies aux stores jaunis qui protègent les fragiles pigments de la lumière, on devine le bâtiment d’en face : les appartements privés du souverain pontife… Sur le pas de la porte, deux gardes suisses, cicérones muets et obligeants de la visite, ne se laisseront pas une seconde distraire par le spectacle des Loges. Pourtant, pas un centimètre carré de ce corridor typique des galeries italiennes de la Renaissance n’échappe à un décor luxuriant. Des grotesques û ces ornementations inspirées par les décors muraux de la Rome antique û envahissent les parois, tandis que le plafond déroule un vaste cycle à la Cène.

Comme un peu partout au Vatican, la fine fleur des artistes de la Renaissance a travaillé ici. Tout commence quand Jules II, en 1508, décide d’offrir une nouvelle façade au palais apostolique du XIIIe siècle, qui donne alors directement sur la cité romaine. Bramante, le maître d’£uvre, se lance dans la construction de trois loggias superposées, mais sa mort, en 1514, interrompt les travaux. Raphaël reprend le flambeau. A l’époque, on vient juste de redécouvrir les splendeurs de la Domus aurea (la Maison d’or) de Néron, dans les sous-sols de Rome. Raphaël puise abondamment dans le répertoire de guirlandes fleuries, de candélabres graciles… de ces vestiges, que l’on appelle alors les grottes (et grotesques leurs décorations).

Loin des épanchements picturaux à la fois tragiques et magistraux de la Sixtine, on est ici dans le domaine de l’élégance, du raffinement et surtout û miracle en ce lieu si fréquenté û du silence recueilli ! Une impression de calme au milieu de la tempête touristique, à quelques minutes de là, une fois le musée retraversé pour franchir l’enceinte des jardins du Vatican. Première satisfaction du visiteur : être dans le saint des saints, au c£ur de ce minuscule Etat de 0,44 kilomètre carré, et percer le mystère des hautes murailles de brique rouge qui séparent le Vatican de la cité romaine. Une sorte de curiosité intimidée qui, une fois assouvie, laisse place au bonheur étonné de découvrir du vert à perte de vue. La coupole de Saint-Pierre de Rome, minérale et majestueuse côté cour, dessine une silhouette pleine de bonhomie et de sérénité côté jardin. L’on n’entend ici que quelques cigales et les perroquets qui s’ébattent à l’autre bout du parc. Un calme trompeur :  » Certes, les jardins ont toujours été un lieu de promenade tranquille pour les papes, mais il ne faut pas oublier qu’ils ont aussi été le théâtre de fêtes grandioses, de courses de taureaux et même… de matchs de foot !  » raconte François Roche, spécialiste des jardins italiens et auteur d’un guide intitulé  » Rome côté jardin « . Les éminences des siècles passés, qu’on imagine mal dribbler entre deux audiences pontificales, étaient pourtant de fervents adeptes du ballon rond, d’après les chroniqueurs de la Renaissance. Quand ce n’étaient pas des strip-teases de 50 danseuses organisés par Alexandre VI Borgia à l’occasion des troisièmes noces de sa fille Lucrèce « , poursuit en riant François Roche.

Nulle trace, aujourd’hui, des excès d’antan, dans les étendues vertes soigneusement entretenues (30 jardiniers y travaillent quotidiennement). Au fil des allées qui mènent pour certaines jusqu’à un véritable sous-bois, on retrouve avec bonheur des parfums d’humus et d’aiguilles de pin légèrement fermentées : les pétarades et les fumerolles des Vespa semblent bien loin. Havre de verdure au c£ur de la Ville éternelle, les jardins ont été préservés dès le XIIIe siècle de la fièvre de construction romaine. Les papes délaissent alors le palais, qui se trouve du côté de Saint-Jean-de-Latran, insalubre et propice à la malaria, pour ces quelques hectares en hauteur, où l’air est plus sain.  » Dès 1280, on pense que poussaient ici vignes et fruitiers, ainsi qu’un jardin de plantes médicinales destinées à soigner les saintetés de l’époque, rappelle François Roche. Ce n’est que sous Innocent VIII que l’on décide de transformer les lieux en jardins d’agrément.  » Qui dit agrément dit aussitôt plaisir des yeux, et donc, pour la Rome de la Renaissance, perspectives, esplanades dégagées et scénographies. Jules II et Bramante (encore eux !) s’inspirent même des villas antiques pour relier le palais au Belvédère û un pavillon qui offre un magnifique point de vue sur tout Rome û avec des jardins en terrasses qui s’étendent sur 300 mètres.

Le promeneur d’aujourd’hui doit faire preuve d’imagination : ce qui subsiste de l’allée plantée par ce duo a été tronçonné par d’autres bâtiments.

Espaces de représentation et de pouvoir au XVIe siècle, les jardins sont ensuite devenus des lieux plus intimes, propices aux méditations des pontifes, qui y laisseront chacun leur marque.  » Des jardins secrets au sens propre du terme « , souligne François Roche. Le visiteur, qui a lu dans la ville les mille et un témoignages architecturaux des différents pontificats, découvre ici des legs plus inédits. Comme la petite villa Pia de Pie IV, un bijou architectural construit en 1565 par Pirro Ligorio. Le brillant architecte û il est le créateur de la villa d’Este, à Tivoli û érige une demeure raffinée pour la vie au grand air du souverain pontife. Autre merveille, après le sous-bois, une grotte incrustée de coquillages et ornée de jets d’eau abondamment déployés. Sur la fontaine, on retrouve l’aigle des Borghèse : c’est Paul V qui fit édifier l’ensemble pour inaugurer… un aqueduc. Car l’on est ici au c£ur de l’Etat pontifical, avec ses propres moyens de communication : le promeneur apercevra même, au détour des parterres de buis  » brodés  » aux armes du pape, une gare et un aérodrome.

La visite ramène au dôme de Saint-Pierre, immuable point de repère, après un passage par l’allée des oliviers centenaires, arrivés tout droit des Pouilles. L’air fleure bon la bignone, qui accroche ses grappes orangées au milieu des rhododendrons blancs. On quitte les lieux sur la pointe des pieds, pour ne pas troubler l’atmosphère de méditation et de paix qui y règne. Un petit miracle en plein c£ur de Rome.

Pauline Sommelet

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