le château d’attre, à brugelette, en hainaut, offre un remarquable jardin romantique de la seconde moitié du XVIIIe siècle. passé la grille, on y découvre mille et une merveilles.

Carnet d’adresses en page 105.

A l’instar de nombreux lieux chargés d’histoire, Attre a connu bien des changements au fil des ans. Le château actuel û dont on a fêté les 250 d’existence en 2002 û fut érigé à l’emplacement d’un château médiéval. C’était en 1752 alors que nos régions étaient sous l’administration autrichienne de l’impératrice Marie-Thérèse. François-Philippe Franeau d’Hyon, comte de Gommegnies fait raser l’ancien manoir seigneurial pour faire construire un château de plai-sance, bien dans l’air du temps. La paix règne, le commerce avec les Indes, l’agriculture et, même l’industrie minière sont florissants. L’heure est venue d’abandonner l’architecture défensive et militaire pour une architecture civile.

Attre constitue un des plus beaux exemples d’architecture dite classique. Sa façade est équilibrée, bien proportionnée, superbement linéaire. François-Philippe n’en profitera, hélas, pas. Il décède en 1755, laissant le chantier à son fils François-Ferdinand qui, jusqu’à sa mort, en 1792, va donner à l’ensemble le caractère paysager exceptionnel que l’on peut apprécier aujourd’hui encore.

Côté jardin, Attre se décline en deux atmosphères. La première, à la française, s’abandonne au regard des passants qui peuvent admirer le château depuis la rue. Modifiée en 1912 par le grand-père de l’actuel propriétaire, la cour d’honneur offre une grande pelouse centrale, plantée d’un alignement discontinu d’ifs. Avec sur les côtés et, à proximité du château, des tilleuls palissés soulignés par une large table de buis légèrement inclinée. A l’arrière, l’atmosphère est tout autre. On découvre, en effet, un parc à l’anglaise, exécuté en pleine période du paysagisme dit romantique. On sait que, pour atteindre l’idéal qu’il recherchait, François-Ferdinand Franeau a dépensé durant trente ans des sommes considérables, signe qu’il souhaitait affirmer son aisance financière et suggérer la puissance qu’elle lui conférait, notamment à la cour d’Autriche.

Tel qu’il se présente aujourd’hui, vu des escaliers de la façade arrière, le parc d’Attre correspond au modèle parfait de jardin à l’anglaise. Traversé par une rivière, un bras de la Dendre, il comporte un paysage légèrement vallonné, planté de bouquets d’arbres et un bois. Les vaches, chevaux et moutons qui paissent aujourd’hui ici font oublier que cette vue magnifique fut entièrement modelée. Comme les archives sur Attre sont rares, il est impossible de connaître l’ampleur des travaux de génie civil qui furent entrepris. Mais il est indiscutable que la manière dont le paysage se termine aux confins de la propriété a été savamment orchestrée. En effet, après avoir atteint un petit sommet, les courbes de niveaux redescendent, de sorte que le regard ne peut définir les limites de la propriété. L’effet est étudié et représente  » la quête de l’infini « .

Le paysagiste belge Denis Dujardin, à qui l’on doit quelques-uns de nos plus beaux jardins contemporains, est l’un des meilleurs spécialistes de Attre et de son époque.  » Il faut énormément de temps pour découvrir toutes les richesses de ce jardin romantique, souligne-t-il. On peut s’y promener et passer à côté de nombreuses choses. En ce sens, Attre est un vrai parc anglais, opposé aux jardins à la française ou à l’italienne qui, eux, sont pensés pour tout embrasser d’un seul regard. Au début du xviiie siècle, les Anglais innovent. Vous devez vous déplacer dans le jardin pour découvrir ce qui s’y passe vraiment. C’est vous qui, en vous promenant, composez des vues nouvelles sur le paysage et ses secrets. En quelque sorte, c’est du cinéma avant la lettre. Mais ce n’est pas la pellicule qui défile sous vos yeux, c’est votre parcours qui fait défiler le paysage. Ce style sera ensuite copié ailleurs, notamment en France, en Allemagne.  »

Tout au long du xviiie siècle, divers paysagistes et propriétaires fonciers anglais ont réalisé des merveilles. Leur influence a infusé en France, notamment dans le parc d’Ermenonville, qui s’achève en 1776, et dans le désert de Retz, terminé en 1785. A la même époque, Goethe vit au milieu du parc de Weimar (il sera ministre des Forêts), produisant ses écrits naturalistes.  » Pour Attre, on parle souvent de parc romantique, à la Jean-Jacques Rousseau, poursuit Denis Dujardin. Mais il ne faut pas s’y tromper, la vision qu’on y propose n’est pas celle de la gentille nature de saint François d’Assise parlant aux oiseaux, mais bien de la nature inquiétante, qu’on retrouve dans les paysages tourmentés de peintres comme l’Allemand Kaspar David Friedrich ou Nicolas Poussin, dans son  » Paysage orageux avec Pyrame et Thisbé « . La nature fait peur lorsqu’on l’affronte. Le plus bel exemple est fourni par le Rocher d’Attre. Tel qu’il est aujourd’hui, envahi de lierre, écrasé par une certaine végétation arborée, il a sans doute atteint l’idéal de la ruine que ses concepteurs avaient imaginé.  »

A l’époque, on construit des fa-briques ou des folies à l’aide de vieux matériaux, comme du bois vermoulu ou spécialement calciné. Les ruines donnent deux dimensions à l’£uvre nouvelle : faire naître le sentiment qu’elle est plus ancienne qu’en réalité et affirmer la domination de la nature sur l’homme, simple mortel. Le projet fou (il lui en coûte alors 268 000 livres) de François-Ferdinand ? Créer un édifice à plusieurs étages… qui ressemble à un rocher, haut de 24 mètres. La tour semble plantée sur un monticule de terres et de pierres couverte d’une abondante végétation. Sur les gravures d’époque, plusieurs sentiers permettent de l’es-calader et d’arriver aux différents niveaux. L’ensemble repose, en outre, sur un enchevêtrement de grottes, elles aussi à plusieurs niveaux, le plus bas commençant en bordure d’un petit lac alimenté par les eaux de la Dendre. On dit que durant les six ou sept années du chantier, 40 hommes û des prisonniers de guerre polonais û ont travaillé sans relâche. On dit aussi que, du haut de la tour, les chasseurs jouissaient d’un poste d’observation et de tir unique. L’archiduchesse Marie-Christine d’Autriche (s£ur de Marie-Antoinette) qui passait, elle, deux jours par an à Attre aimait beaucoup cet endroit… et comme elle était myope, dit-on encore, on lâchait dans les prés des lapins blancs, domestiques et mieux repérables !

Attre et son paysage comme ses folies ou fabriques recèlent d’innombrables messages symboliques.  » Ce lieu est truffé de signes, explique Denis Dujardin. Dans le parc, les petits monticules plantés de trois arbres chacun font référence au calvaire du Christ qui comptait trois croix. Le gigantesque acacia placé de manière centrale dans le paysage est considéré comme un symbole maçonnique. Quant à la tour, on pense qu’elle est le symbole même de la progression de l’individu tel qu’on la conçoit dans la franc-maçonnerie. Il faut passer par les fondements et l’obscurité des grottes, se frayer un chemin pour arriver un jour à la lumière des initiés.  » Lorsqu’on examine û même dans son état de délabrement actuel û la pièce située au sommet de la tour, autrefois entièrement lambrissée de bois et d’écorces, on devine aisément le caractère privé et exclusif de ce cabinet particulier que François-Ferdinand Franeau s’était fait aménager.

Baudouin de Meester de Heydonck, propriétaire et héritier actuel du château d’Attre, défend ardemment ce magnifique patrimoine.  » Nous allons entreprendre sa restauration avec le soutien de la Région wallonne, confie-t-il. On a découvert, par exemple, que la partie du plafond disparue était en fait un escalier escamotable, construit donc à la fin du xviiie siècle. Déployé, il permettait d’atteindre une terrasse située au sommet du Rocher. Un mécanisme permettait de le replier et de le masquer ; ce qui favorisait de discrètes allées et venues. En dégageant un gros érable, on s’est aperçu que le 21 mars, à une certaine heure, le soleil venait caresser la statue de Madeleine couchée dans la grotte inférieure, au niveau de l’eau. On pense maintenant que pareil phénomène peut se produire ailleurs le 21 juin !  »

Denis Dujardin ne se lasse pas d’arpenter le domaine et d’étudier ses passionnantes singularités.  » Entrez donc dans une des grottes, s’enthousiasme-t-il. Vous êtes dans le noir à un point tel que vous voulez rebrousser chemin. Mais il suffit de tâtonner 50 cm, pas plus, et vous atteignez une salle très lumineuse. On dit aussi qu’autrefois les vitres des fenêtres au sommet de la tour étaient rouges. Il suffisait d’allumer des torches à l’intérieur de la pièce pour que, de l’intérieur du château, on ait le sentiment que le rocher s’embrase. Un incendie pour des ruines, l’idée est géniale… Je suis persuadé qu’Attre nous réserve encore beaucoup de surprises, celle d’une époque extrêmement cultivée. Et profondément attachée aux symboles.  »

Texte et photos :

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