Sandrine Goeyvaerts

© Frédéric Raevens

 » Pierre Richard du pinard « , Sandrine Goeyvaerts est tombée dans le monde du vin par hasard. Désormais caviste, sommelière, auteure et chroniqueuse, réputée pour son engagement féministe et son franc-parler, elle partage avec nous quelques réflexions sur ses thèmes de prédilection.

L’apéro est devenu une façon de résister à l’ennui. De feindre qu’on mène une vie normale, en partageant un verre avec des potes, même si c’est assez particulier de trinquer devant un écran : on est loin des autres, ce n’est pas du vrai contact. J’adore les réseaux sociaux, mais c’est dommage d’être limité à cette dimension-là : on a besoin de la vraie vie, de toucher des gens, manger et boire ensemble, etc. On doit repenser toutes nos interactions sociales, donc on voit qui nous manque et pourquoi.

Le cocktail, c’est le truc le plus maltraité du monde. On pense souvent qu’il suffit de mettre n’importe quoi, d’essayer de rendre ça joli, et boum, on a un cocktail. Mais ce n’est pas ça. Le cocktail, c’est une science qui demande de l’exactitude et de la précision, ce n’est pas  » Je balance tout ce qui traîne dans mon bar, je mélange et j’ajoute trois fruits dedans « . Je milite pour qu’on arrête avec ça.

Faire un cocktail, c’est comme faire un gâteau : à l’oeil, ça ne marche pas. Personne ne fait ça. Allez trouver Christophe Michalak ou n’importe quel pâtissier, il vous dira que les ingrédients se pèsent. La première chose à faire, c’est donc de se procurer un verre doseur – ça ne coûte pas cher, on en trouve partout, et c’est indispensable. Ensuite, on met de la glace, et pas juste deux glaçons, qui vont fondre immédiatement. Soit on met beaucoup de glace, soit on n’en met pas du tout. C’est un principe de base. Après tout, les cocktails, ce n’est que de la physique et de la chimie.

Le meilleur cocktail, ce n’est pas celui qui rassemble 50 ingrédients. Ça ne sert à rien, à part pour certains barmans qui veulent se la péter. Il vaut mieux deux ou trois éléments bien balancés que des milliers. L’exemple-type, c’est le gin-tonic. Du gin, du tonic, beaucoup de glace, impossible de faire plus simple. Après, on peut éventuellement ajouter un ou deux aromates – zeste de citron, peau de concombre, gingembre… Un ou deux. Quand je vois des verres avec 4, 5, 6 ingrédients différents, je me dis que ce n’est plus un cocktail mais une salade, une soupe ou une sangria : il y a de tout, on mange, on boit. C’est pas le but.

‘C’est un ru0026#xE9;flexe tru0026#xE8;s fu0026#xE9;minin : alors mu0026#xEA;me que l’on exerce un job depuis un moment, c’est compliquu0026#xE9; de trouver sa lu0026#xE9;gitimitu0026#xE9;, d’avoir de la confiance en soi.’

Les phénomènes de mode déforment tout et créent des monstres. Prenons le Spritz : c’est un cocktail que j’adore, mais il est devenu tendance et s’est fait atomiser. A grand renfort de matraquage publicitaire, il a été remis à la page, on l’a vu dans tous les magazines. Les chefs s’en sont emparé et ils ont voulu le déconstruire, remplacer l’Apérol par du gin, ajouter du whisky, ou même du cognac ; j’ai tout vu passer. La façon dont on l’a dévoyé est hallucinante de bêtise. Et ça avait déjà été pareil avec le mojito dix ans auparavant, avec des versions fraise-basilic – je n’ai rien contre les cocktails avec de la fraise et du basilic, mais ça n’a plus rien à voir avec du mojito.

Au début, je me suis beaucoup excusée, je me suis posé beaucoup de questions sur ma légitimité. Aujourd’hui, ça fait vingt ans que je suis dans le métier. Je sais que je sais des choses, je peux m’affirmer. Quand quelqu’un veut m’expliquer mon boulot et qu’il est à côté de la plaque, j’ai l’assurance nécessaire pour le rembarrer. Mais ça a mis très longtemps. C’est un réflexe très féminin : alors même que l’on exerce un job depuis un moment, c’est compliqué de trouver sa légitimité, d’avoir de la confiance en soi.

On dit toujours que le monde du vin est un monde masculin, ce n’est pas vrai. Il y a autant d’hommes que de femmes qui bossent dans le vin, c’est juste que les hommes sont systématiquement mis en avant. Il y a plein de vigneronnes, de sommelières, de cavistes, d’oenologues, mais elles bénéficient simplement de moins de visibilité. C’est lié à ce manque de légitimité et de confiance en soi, ça empêche de bien se vendre. Et ça explique en partie pourquoi le secteur conserve une image vieillotte, connotée masculine, alors que dans la réalité, sur le terrain, ce n’est pas le cas.

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