A côté du bling-bling de la Costa Smeralda, la deuxième plus grande île de la Méditerranée a réussi à garder sa personnalité unique, attachée aussi bien à sa terre qu’à ses traditions… et à ses chevaux.

En quittant la côte de granit au nord, la route se perd rapidement dans un dédale de rochers avant de doucement grimper. Le paysage s’élargit ensuite et dévoile un autre visage : de larges vallées tantôt arides, tantôt couvertes de chênes. Ici ou là, un village. Mais aussi d’étranges monuments faits de pierres tellement gigantesques qu’ils semblent avoir été élevés par des géants. La Sardaigne compte près de 8 000 de ces  » nuraghi « , vestiges d’une civilisation demeurée jusqu’ici inconnue. Souvent perdues dans le maquis, ces constructions massives et coniques faites de blocs parfaitement enchâssés les uns dans les autres, sans mortier, caracolent à plus de vingt mètres de hauteur. Les plus grandes ressemblent à de véritables châteaux forts, percées de couloirs et de grandes salles voûtées. Invariablement, un escalier longe la paroi jusqu’au sommet et s’ouvre sur une terrasse. Temple, habitation ou forteresse ? Et surtout, comment ont-ils réussi à assembler et enchâsser des pierres de plusieurs tonnes ? Un mystère opaque plane sur ces édifices et sur ce peuple qui vécut ici entre 1800 et 500 avant notre ère. Le nuraghe Losa est l’un des mieux conservés de l’île. A quelques kilomètres de là, à côté d’Abbasanta, Pietro en possède un sur son domaine. Pas du tout gênant, au contraire :  » Pour les Sardes, dévoile-t-il, ils ont des vertus magiques et sont réputés porter bonheur.  » Chaque printemps, il le dégage des broussailles qui l’envahissent pour que les visiteurs de passage puissent y grimper…

ARDIA

Le centre de l’île et le massif du Gennargentu constituent l’une des régions les moins peuplées d’Europe. Les gens d’ici vivent encore principalement de la terre : oliviers, chênes-lièges, élevage des brebis mais aussi des… chevaux. Les fermes, même les plus pauvres, abritent souvent des pur-sang magnifiques. Jusqu’il n’y a pas si longtemps, le nouveau-né à baptiser était emmené sur un canasson vers l’église, tandis que les mariés ou les défunts étaient escortés par des cortèges de cavaliers. Ici, le cheval est une religion, une passion dévorante. Qui se vit à l’instinct, car aucun parcours ne correspond à un autre. A Macomer, nous rencontrons Michele, qui a débuté à plus de 40 ans mais est devenu confirmé en à peine trois ans et participe à de nombreuses compétitions. Aujourd’hui, il enseigne notamment dans la ferme équestre de Mandra Edera, et sa passion l’a mené à pratiquer la pariglia, une technique de voltige sarde assez spectaculaire qui se pratique au galop.  » Le plus étonnant, raconte- t-il, c’est que la plupart ne savent pas très bien monter mais ont juste appris les acrobaties tout en galopant le plus vite possible !  »

Anglo-arabes sardes, chevaux de sang et demi-sang sont omniprésents lors des fêtes locales, festivités de carnaval, processions et courses religieuses. Dans le centre de l’île, la plus célèbre, mais aussi la plus folle, est l’Ardia de Sedilo, début juillet. Une cavalcade dingue qui se court autour d’une chapelle perdue en lisière du village, en hommage à saint Constantin. Seuls les habitants du cru ont le droit d’y participer. Des hommes qui, pour la plupart, ne sont pas des experts en la matière. Les accidents sont fréquents, d’autant que beaucoup ne se privent pas de vider quelques bouteilles avant le départ. Lancés au triple galop, les chevaux souvent mal dirigés se bousculent et, parfois, tombent comme des dominos. Chaque année ou presque, on compte des blessés et même des décès. L’enjeu : juste l’honneur du cavalier et la joie de chevaucher pour le saint patron ! Il n’est évidemment pas question de supprimer cette tradition, mais pour éviter des drames, depuis 2014, le maire de Sedilo exige des contrôles alcoolémiques. Les chevaux et cavaliers sardes s’exportent et concourent dans les prix les plus réputés du continent. Dans un autre registre, nombreux défendent les couleurs d’un quartier lors du célèbre Palio de Sienne.

CAVALLINI

Pour observer – quasi à coup sûr – les derniers chevaux sauvages de Sardaigne, il faut grimper vers le haut plateau de Giara di Gesturi. Un endroit rude, écrasé de soleil et battu presque constamment par le mistral qui tord et plie les chênes. Dans un fatras de basalte, quelques légères dépressions – les paulis – se remplissent d’eau en hiver. Souvent taries l’été, elles sont réapprovisionnées par l’homme depuis que le plateau est devenu un parc naturel. C’est là que l’on a le plus de chance d’apercevoir les silhouettes sombres des cavallini. Peut-être sont-ils les descendants des chevaux amenés sur l’île par les Phéniciens ? Robustes et trapus mais aussi vifs et agiles, ils vivent à l’état semi-sauvage. Et sont réputés pour leur sacré caractère. La race, réduite à un cheptel de 600 têtes, n’existe plus que dans cette partie de l’île.

L’attachement des Sardes à leur territoire se reflète aussi dans les traditions carnavalesques, profondément ancrées et vivaces. Boucs, moutons, chevaux ou bêtes imaginaires… Les costumes font référence à la faune insulaire. L’un des plus connus est celui de Mamoiada où défilent les mamuthones, recouverts de peaux de chèvre noire, le dos chargé de cloches et clochetons, et le visage couvert d’un masque noir. Celui d’Ottana est caractérisé par des masques en bois surmontés de longues cornes (Sos Boes). A Orotelli, ce sont des boiteux (thurpos) couverts d’un long manteau sombre et le visage peint en noir qui doivent avancer en tirant une charrue comme des boeufs sous le joug. Carnaval qui devient carrément équestre à Santu Lussurgiu comme à Oristano. Ici, on l’appelle Sartiglia et il connaît son apogée lorsqu’un chevalier habillé en femme doit cueillir, au galop et avec son épée, des anneaux en forme d’étoile.

PISCINAS

Pour trouver un peu de fraîcheur en été, il suffit de monter vers les plus hautes montagnes de l’île et rejoindre la Barbagia. Une Sardaigne fière et insoumise, autrefois peuplée de bandits. Cet esprit d’insubordination, on le retrouve dans ses villages, rudes en apparence, mais qui cachent souvent des merveilles dans leurs ruelles tordues. A Fonni et Orgosolo, ce sont par exemple les murales, vastes fresques sociopolitiques célébrant la résistance sous toutes ses formes. Une grande partie d’entre elles (plus de 150 sur toute la commune) habillent la rue principale. Assez surréaliste de voir se côtoyer une peinture sur la guerre du Vietnam, une fresque évoquant les droits de la femme et une représentation des attentats du 11 septembre. Dans ce chaos d’images, quelques rares murales retracent la vie quotidienne en Barbagia.

Sauvage et isolée, elle aussi, la façade maritime sud-ouest mérite bien son nom de Costa Verde. La route la plus magique pour s’y rendre, en longeant la côte, exige de traverser des forêts et des rivières à gué, puis d’emprunter des pistes sablonneuses. Un vrai petit raid à travers les dunes mouvantes qui se dressent autour de l’estuaire du fleuve Piscinas. Le paysage, presque saharien par endroits, est en permanence modelé par le souffle du mistral. Au milieu de cette étendue de sable, des rails à moitié ensevelis et un bâtiment en gros moellons font face à la mer. Il s’agit de l’ancien entrepôt de la mine où débouchait la voie ferrée acheminant les minerais extraits dans la montagne. Zinc, argent et plomb : le sous-sol regorge de richesses exploitées jusqu’à la fin du XXe siècle. C’est dans cet univers extraordinaire que sont hébergés les clients de l’établissement Le Dune. Fils de l’ancien directeur de la mine, son propriétaire rêvait depuis longtemps de transformer le dépôt en hôtel de charme. Tout en conservant le caractère et les éléments bruts d’origine. Un petit havre de paix au milieu de cette Costa Verde où les villages miniers fantômes d’Ingurtosu et de Montevecchio rappellent qu’il n’y a pas si longtemps, battait ici le coeur économique de l’île. Aujourd’hui, les mineurs ont laissé la place aux baigneurs et à une faune riche : le renard roux, le hibou des sables et surtout le cerf sarde. En fin de journée, les cervidés sortent des fourrés et dévalent les dunes pour s’abreuver. Un de ces moments paisibles et privilégiés réservés aux seuls promeneurs du soir.

PAR ERIC VANCLEYNENBREUGEL

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