Humour élégant et douce excentricité, Stephen Jones est à l’image de ses créations. Le modiste le plus acclamé coiffe les icônes et égéries de la mode depuis presque trente ans. Avec une carrière cousue d’or peuplée de créations fantastiques, il parle de son art. Un conte de fées.

« Tea time  » dans un hôtel cossu de Covent Garden à Londres. Paré d’un béret en toile de Jouy et de manières raffinées, Stephen Jones incarne à lui seul le dandy britannique. Subtil équilibre entre excentricité et élégance, humour (british, of course) et réserve distinguée, il s’exclame :  » Mon style ? J’en ai tellement ! Pour moi les chapeaux incarnent un certain sens de l’humour et de légèreté.  » Cette grâce et cette vision, il les insuffle depuis presque trois décennies sur la scène de la mode au rythme de sa créativité sans limite. En juillet dernier, lors de la célébration des 60 ans de Dior à Versailles, il auréolait une fois de plus les muses de John Galliano de sa touche magique. Inspiré du  » bal des artistes « , le show rendait hommage à Monsieur Dior à travers son amour pour l’art et les tableaux. Stephen Jones instillait sa vision poétique aux chimères de Dior, sorties tout droit de tableaux signés des grands maîtres de la peinture (Picasso, Boucher, Monet, Michel-Ange, Renoir, Goya) :  » C’était grandiose. J’ai utilisé des matériaux classiques et authentiques en les réinterprétant à la manière glamour de Dior. J’ai fait de nombreuses recherches afin de représenter au mieux l’univers de chaque peintre. « 

Depuis le début de sa carrière, en 1979, le créateur a fait beaucoup de chemin. Diplomé en 1979 au Central Saint Martins College, il entre en stage dans la maison de couture londonienne Lachasse mais il préfère toutefois poursuivre son apprentissage dans l’atelier voisin de chapelerie. Son premier chapeau, sculpture à base de pliages en papier, signe le début d’une passion et l’amorce d’un style avant-gardiste :  » Je n’étais pas vraiment doué pour la couture. Lorsque j’ai créé ce chapeau, ce fut une révélation, je savais que j’avais trouvé ma voie.  » En 1980, il ouvre sa première boutique à Covent Garden et attire très vite les regards. Il commence à coiffer de son génie têtes couronnées (la princesse de Galles) et icônes du rock (Boy George). Sa vision moderne et radicale ne tarde pas à séduire la planète mode parisienne, et ses créations investissent tour à tour les podiums de Gaultier, Claude Montana, Mugler et Comme des Garçons :  » À cette époque, Paris était davantage sensible à ma folie créative. C’est une ville inspirante et féminine contrairement à Londres qui est plus masculine.  » Mais c’est avec John Galliano que ses couvre-chefs lyriques se métamorphosent en symboles glamour, sexy et extravagants, sous la forme de crêtes de Mohican multicolores, coiffes égyptiennes de Néfertiti, bérets asymétriques, hauts-de-forme déjantés, plumes débridées ou encore coiffures de courtisanes surdimensionnées :  » Avec John, nous avons un parcours similaire et partageons la même sensibilité, romantique et excentrique à la fois. « 

Des chapeaux aux mille et un visages

Aujourd’hui, Stephen Jones distille sa magie depuis son atelier-boutique de Covent Garden niché dans une maison géorgienne, à deux pas de l’emplacement de la boutique initiale des années 1980. Tantôt extension naturelle –  » Dans la jungle sud-américaine, ils sont peut-être nus mais ils ont toujours la tête couverte !  » – ou gimmick artificiel, les chapeaux de Stephen Jones séduisent dans tous leurs états. Ils coiffent les  » society ladies  » en toute occasion aussi bien que les muses des plus grands créateurs de mode ou les célébrités (Kylie Minogue, Gwen Stefani, Madonna, Marilyn Manson, etc.). Stephen Jones produit également des collections plus accessibles :  » Miss Jones  » et  » JonesBoy « .

Ses collections font référence à des univers imaginaires ou poétiques. Allégorie inspirée du ballet Les Chaussons rouges, sa collection été 2007 mettait en scène panamas chics, tulles et organza éthérés, gélatines transparentes et bouquets de roses rouges. Pour l’hiver 07-08,  » Shangri-La  » nous plonge dans un monde utopique tibétain, inspiré du film des années 1930 Lost Horizon. Dans ce  » jardin perdu  » apparaissent des créatures fantasmagoriques, hymnes féeriques surgis des toundras et glaciers de l’Himalaya en velours, feutrine, fourrure ou cuir ornés d’imprimés tibétains, plumes laquées, peintures à la main et pierres précieuses. Broderies indiennes, incrustations de bijoux de Paris et fourrures de Scandinavie viennent enrichir la collection  » Millinery  » (couture) tandis que les collections  » Miss Jones  » et  » JonesBoy  » se parent de tweeds, tricots, velours cotelés enduits, tulles et sequins. Ses inspirations ?  » Je ne fais qu’observer la vie et la transposer dans un chapeau. Tout m’inspire, l’architecture, les voyages et Paris. Ce qui est vraiment important est d’être toujours ouvert à l’inspiration.  »

Artisan du rêve

Subversifs mais élégants, excentriques mais romantiques, modernes et classiques, ses créations ressemblent à des apparitions fantastiques, conférant à ceux qui les portent un humour distingué, sans jamais verser dans le ridicule.  » Le chapeau est la première chose que l’on voit, c’est l’accessoire le plus important et un puissant symbole, affirme Stephen Jones, tout en évoquant le souvenir suranné de sa mère parée d’un bibi en paille et d’une paire de longs gants, incarnation parfaite de l’élégance… Les chapeaux existent avant tout à travers les références qu’ils inspirent. Ils projettent ceux qui les transportent dans le rêve, un autre lieu, un autre espace. Souvent d’ailleurs, le chapeau est menteur !  » Artifices envoûteurs, ses créations flattent les visages et l’égo :  » Les chapeaux devraient être traités comme du chocolat ou du parfum. Ils sont la cerise sur le gâteau !  » Mais son génie, Stephen Jones le doit à sa créativité débridée et à son approche surréaliste et moderne, ce qui lui vaut de nombreuses comparaisons avec Elsa Schiaparelli. Il allie adroitement les matériaux les plus classiques avec les plus avant-gardistes, les détails fantaisistes avec les techniques traditionnelles  » J’utilise toute sorte de matières comme le plastique, le métal ou les tissus électro-luminescents, mais j’aime aussi les tissus nobles et classiques. Quoi de plus beau qu’un velours noir, un coton blanc et quoi de plus féminin qu’un organza rose ?  » A l’image de son imagination débordante, la gamme de ses créations est large, du plus classique au plus surréaliste : d’un chapeau  » masque  » frangé de pompons (pour Gaultier) à un autre surmonté d’£ufs sur le plat en passant par un panama revisité d’une touche humoristique ou tout simplement un béret –  » le tee-shirt des chapeaux  » – estampillé de sa touche unique.

Mais c’est par-dessus tout son aventure avec le monde de la mode qui fait vibrer Stephen Jones :  » J’aime la recherche et le processus que chaque collaboration implique. Chaque fois, c’est un nouveau défi.  » Au gré de ses nombreuses collaborations (Dior, Galliano, Antonio Berardi, Claude Montana, Julien MacDonald, Giambattista Valli, Marc Jacobs, Giles, Emanuel Ungaro, Hussein Chalayan, Comme des Garçons…), il s’adapte à l’esthétique et à la façon de travailler de chaque créateur en instaurant une réelle complicité. De Rei Kawakubo, pour qui il collabore depuis plus de vingt ans, il retient  » sa spontanéité et son incroyable fraîcheur dans la vision des choses « . En 2006, il célébrait le vingtième anniversaire de sa rencontre avec la styliste japonaise en plaçant ses chapeaux aux six étages de Dover Street Market, la boutique-concept de Comme des Garçons à Londres. Aujourd’hui, sa collection très exclusive  » Stephen Jones 1  » y réside fièrement : chaque chapeau est unique et utilise des tissus vintage et matériaux exceptionnels.

Trente ans après ses débuts, Stephen Jones encense toujours les podiums de Paris, New York et Londres. Sur la scène londonienne ( » un vivier d’énergie et de créativité « ), il livre des créations toujours plus époustouflantes, des chapeaux-sculptures géants en Plexi ou plastique ou encore des auréoles de fleurs spectaculaires pour Basso & Brooke, comme par ailleurs d’impressionnants casques  » cagoules  » et débauches de plumes d’autruche pour Giles. Les fastes de la mode donc, mais aussi les paillettes du showbiz succombent à son grain de folie, à travers des adeptes tels qu’Anna Piaggi, Dita Von Teese, Camilla Parker Bowles ou Mick Jagger. Pour l’heure, il prépare ses prochaines collaborations pour les défilés tout en travaillant à sa prochaine collection. Au printemps 2009, le Victoria & Albert Museum de Londres lui consacrera une exposition exceptionnelle. La folie des grandeurs ? Jamais !  » J’ai toujours conscience d’avoir eu beaucoup de chance et je l’apprécie tous les jours. « 

Delphine Dubreil

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