« Au départ, vous êtes face à une boîte vide, 190 £uvres sur photocopies couleur, leur répartition salle par salle. Et on vous dit : à dans un mois ! raconte Cécile Degos, scénographe de l’exposition Andrea Mantegna, le premier peintre qui se tient actuellement au Louvre, à Paris. Les commissaires indiquent les grandes lignes de leur discours scientifique. A nous ensuite d’adapter leur propos à une esthétique particulière.  » Pour le coup, l’approche chronologique des curateurs a naturellement incité un découpage chromatique calqué sur les grandes étapes de la vie de ce grand peintre de la Renaissance italienne (1431-1506). Résultat : 11 variations minutieusement sélectionnées au sein du nuancier de 137 couleurs du très réputé fabricant de peintures british Farrow & Balls (auquel le futur Musée Magritte de Bruxelles a d’ailleurs commandé la création d’un bleu particulier).

Couleurs signifiantes. Rien de gratuit, rien de simplement décoratif, à chaque couleur sa signification :  » On voulait quelque chose de très clair, pour signifier le début de la carrière de Mantegna, explique un des deux commissaires de l’expo, Giovanni Agosti, professeur d’histoire de l’art moderne à l’université de Milan. Andrea a alors 20 ans, il veut changer le monde, il a plein de projets. Au fur et à mesure de sa carrière, il va creuser sa solitude. Ce qui explique que les salles s’assombrissent au fur et à mesure que l’on progresse.  »

Perspectives. Du gris lavé au pourpre, un postulat décoratif sobre et efficace. Etoffé par une série de subtilités qui concourent à mettre en valeur la singularité du peintre. Afin d’illustrer son rôle prépondérant dans l’étude de la perspective au Quattrocento la monumentale toile du Saint-Sébastien, un de ses chefs-d’£uvre, est placée de telle sorte que le visiteur l’aperçoit, au loin, en… perspective, dès le début de l’expo. Exceptionnellement libérée de son cadre, la toile est accrochée sur un rouge profond, dispositif qui participe à l’effet recherché : guider le regard vers la pièce phare.

Faire-valoir. Autre dialogue réussi entre la cimaise et les £uvres : à la fin du xve siècle, Isabelle d’Este commande une série de tableaux pour décorer son Studiolo à Mantoue. Entre deux périodes plus austères, très sculpturales, Mantegna s’abandonne  » à un style plus sentimental, plus frivole « , note Giovanni Agosti. Les scénographes ont donc créé un bel effet de surprise : entre deux salles obscurcies par deux variations de rouge sombre, on pénètre dans une sorte de petit cabinet solaire, soutenu par un jaune presque indien, éclatant de fraîcheur. Une atmosphère forte, mais basée sur un juste équilibre : jamais les £uvres de ce grand coloriste ne sont vampirisées. Si l’expo est une leçon d’histoire de l’art doublée d’émotions esthétiques de premier plan, il faut aussi s’y rendre pour apprécier la présence raffinée de ces éternels faire-valoir.

Carnet d’adresses en page 116.

Baudouin Galler

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