Prise de conscience écologique et respect des droits humains se doublent désormais, dans l’industrie fashion, d’une réflexion sur le bien-être animal. Exit la fourrure Giorgio Armani, le cuir croco Hermès et la laine Zara ou H&M, le véganisme s’immisce dans nos penderies.

Alors qu’en décembre dernier la conférence de Paris sur le climat (COP 21) rappelait une nouvelle fois la nécessité de réduire l’em- preinte carbone et de maintenir le réchauffement climatique à 2°C maximum, les modes de production éco- et socio-responsables apparaissent comme un mouvement de fond global auquel s’intéressent de plus en plus d’industries, celle du textile notamment. Pour cette dernière, la révolution green est une réalité qui la pousse à produire en préservant l’environnement, en améliorant les conditions de travail et de paiement des travailleurs du secteur mais aussi, depuis peu, en accordant plus de place au bien-être animal, souvent bafoué. Et qui dit respect de nos amies les bêtes, dit véganisme.

Pour de nombreux individus, se présenter comme adepte de cette philosophie de vie, c’est juste s’inscrire dans l’air du temps. Incontestablement tendance, le courant est cependant plus qu’une mode éphémère, puisqu’il véhicule des considérations morales (lire par ailleurs). Concrètement, les vegans proscrivent tout ce qui est produit et sous-produit animalier de leur régime alimentaire… mais également de l’habillement. Bye bye laine, soie, cuir et fourrure. La prise de conscience environnementale de l’industrie fashion se double donc désormais d’une dimension éthique soucieuse du bien-être de la faune, faisant ainsi écho aux maintes dénonciations émises par l’association People for the Ethical Treatment of Animals (PETA). Ses vidéos crues et explicites ont mis en lumière des pratiques brutales comme la torture à la chaîne endurée par des lapins utilisés dans la production de laine angora, notamment chez des fournisseurs de Zara et H&M, ou le dépeçage à la scie de crocodiles dont la peau permettait à certaines griffes de luxe de confectionner leurs sacs à main.

UN TRAVAIL TITANESQUE

Après des années d’abus, de nombreux labels revoient donc leur copie. Du moins, en théorie… La question de savoir s’il ne s’agit pas plutôt d’une stratégie de façade servant à (re)dorer une image de marque, voire à attirer de nouvelles catégories de consommateurs, semble légitime.  » Le bien-être animal est pris en compte par certaines marques et pas par d’autres. Parfois elles ignorent ce que font leurs fournisseurs. Le problème est en fait le même qu’avec les conditions de travail des ouvriers : il faut mener des contrôles « , tempère le sociologue de la mode Frédéric Godart.

Le changement est possible, mais il est évidemment plus simple de se positionner sur le marché en tant que marque vegan dès le départ. Cela permet de mener une stratégie impliquant des partenaires partageant les mêmes valeurs. Pour les enseignes établies qui ont toujours fonctionné sans se soucier de leur impact écologique et sociétal ou de leur part de responsabilité dans la souffrance de nos amis à poils et plumes, c’est un peu plus compliqué…  » Tout ce qui fait un label doit alors être revu en fonction des nouvelles considérations. Certains le font consciencieusement, comme le groupe Kering, mais le travail est gigantesque et demande du temps « , atteste Olivier Zeegers, fashion consultant auprès du MAD Brussels et directeur de la Modesign Academy. Et pour cause, il n’est pas aisé de modifier les chaînes d’approvisionnement lorsqu’une énorme quantité de produits doit être fournie aux magasins et revendeurs en respectant les délais.

AU-DELÀ DU PURISME

Parce que le paysage de la mode ne peut plus ignorer les procédés non seulement brutaux mais aussi polluants utilisés dans la production de matières animales, les démarches  » animal friendly  » augmentent cependant. Et la croissance exponentielle des adeptes du véganisme les rend de plus en plus envisageables. Forts d’une empreinte écologique plus faible que celle induite par la production de cuir, les textiles vegan permettent aussi d’éviter castration, marquage, caudectomie et tout autre procédé jugé barbare. Plusieurs catégories existent : les synthétiques (polyuréthane, acrylique, viscose, polyester), les naturelles (coton, lin et chanvre) et les technologiques (éco-cuir).  » Les matériaux alternatifs ont un bel avenir devant eux parce que la demande augmente en Occident et dans des pays comme l’Inde, où le véganisme est une position philosophique très répandue « , affirme Frédéric Godart.

Surfant sur la démocratisation progressive de la tendance, les enseignes entièrement dédiées à la cause se multiplient et offrent fausses fourrures, chaussures, sacs et articles de maroquinerie garantis sans trace animale. Des plus jeunes et innovantes comme la Britannique Wilby, aux plus établies Matt&Nat ou Beyond Skin, en passant par LaBante, Noah Ballerinas, Shrimps et Helen Moore, toutes affichent une belle santé et ont été approuvées par PETA. Plus haut de gamme, saluons Vaute Couture, première maison indépendante 100 % vegan à participer à la Fashion Week new-yorkaise.

De nombreuses marques d’habillement traditionnelles, de luxe ou de mass market leur ont emboîté le pas. En pionnière, Stella McCartney a, dès le lancement de sa griffe éponyme en 2011, écarté fourrure et cuir de ses collections sans rien enlever à leur raffinement. Esprit, Dr. Martens, Steve Madden, Adolfo Dominguez, Seychelles, Nasty Gal ou Jeffrey Campbell, voilà autant de labels qui ont conçu des lignes  » animal friendly  » à succès. Tout récemment, c’était au tour du groupe Giorgio Armani d’annoncer qu’il renonçait aux sacro-saints pelages dès les collections automne-hiver 16-17, tant pour la haute couture que pour le prêt-à-porter,  » des alternatives valides  » rendant  » inutile le recours à ces pratiques cruelles « . Sans faire une croix sur le cuir pour autant, l’Italien se glisse ainsi dans les pas d’Hugo Boss, Tommy Hilfiger ou Calvin Klein. Et avec les tee-shirts en cuir végétal matelassé de Cédric Charlier, la Belgique n’est pas en reste.

La mode vegan existe donc bel et bien et les initiatives qui la portent devraient se multiplier à l’avenir. Et puisqu’elle n’est pas forcément plus coûteuse, elle a de quoi séduire un public qui va bien au-delà des pratiquants pur et durs. Acheter un sac en éco-cuir d’origine végétale est en effet parfois plus simple que de traquer la moindre protéine de viande, de volaille, de lait ou d’oeuf de son régime alimentaire. La révolution  » cruelty free  » est en marche.

PAR ANNA MELLONE

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