Tout ce qui brille

© KAREL DUERINCKX

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Panique à Anvers ! Pas pour une histoire de grenade ou de courbe qui remonte, mais bien à cause d’une décision rendue début août, indiquant que la Commission européenne n’avait aucune intention de forcer les bijoutiers à distinguer les diamants naturels de leurs homologues synthétiques. Forcément, le lobby du diam’s grince des dents : d’accord, l’oeil humain s’avère incapable de différencier l’un de l’autre, mais, tout de même, il y a de la marge entre les précieux joyaux arrachés aux entrailles de la Terre et ces gemmes artificielles, produites en série pour un coût nettement moindre. Audrey Hepburn aurait-elle régurgité ses croissants devant une vitrine de parures synthétiques, en ouverture de Breakfast at Tiffany’s ? Non, elle n’y aurait vu que du feu. Aurait-elle été déçue d’apprendre que les pierres brillant sous ses yeux étaient en fait fabriquées en labo ? Sans doute un peu, tant l’industrie du diamant a savamment entretenu sa propre mythologie.

Audrey Hepburn aurait-elle ru0026#xE9;gurgitu0026#xE9; ses croissants devant une vitrine de parures synthu0026#xE9;tiques en ouverture de Breakfast at Tiffany’s ? Non, elle n’y aurait vu que du feu.

Au début du XXe siècle, le conglomérat sud-africain De Beers détient 90% des mines de diamant, un confortable monopole qui lui permet d’organiser la rareté de son produit et d’en contrôler l’offre. Côté demande, c’est plus compliqué : la Première Guerre mondiale, puis la Grande Dépression, ça n’encourage pas les foules à claquer des fortunes en bijoux. Pire, le diamant lui-même ne les intéresse pas tant que ça. La donne va changer grâce à deux coups de génie : premièrement, la promotion de la bague de fiançailles, alors considérée comme une dépense inutile par des jeunes couples préférant consacrer leurs économies à une voiture ou une machine à laver. Notons qu’au-delà de sa portée romantique, l’idée s’est notamment imposée grâce à un autre aspect, plus pragmatique : fini de faire miroiter le mariage en échange de faveurs sexuelles, cette fois, l’achat d’une bagouze contre deux mois de salaire fait réfléchir ces messieurs avant d’aller butiner sous d’autres cieux. C’est une garantie, voire un placement. Marilyn Monroe ne dit pas autre chose dans son Diamonds are a girl’s best friend : le diamant sera toujours là, lui, quand l’homme se sera lassé d’une compagne que le temps a flétrie. Bref, pour le romantisme, on repassera.

Pour bien ancrer son statut de symbole d’éternité et d’engagement dans l’imaginaire collectif, De Beers usera et abusera d’un deuxième atout de poids dès 1947, le slogan  » A diamond is forever « , et lancera une offensive massive sur les tapis rouges et dans les magazines de papier glacé. Et alors qu’il n’est pas le minéral le plus rare ou le plus résistant – et l’on ne parle même pas des impacts sociétaux et environnementaux – le diamant se verra affublé de tous les superlatifs ; l’ingéniosité des marketeurs a fait des merveilles, au point que les spécialistes parlent carrément de  » l’invention du diamant « . Tout ça pour dire quoi ? Que le diamant, même naturel, relève d’une construction presque aussi artificielle que les cailloux de série dont ils souhaitent se distinguer. Et accessoirement, que si le lobby du diamant aime insister sur l’authenticité, préférer à tout prix le  » vrai  » au synthétique revient presque à revendiquer notre perméabilité au marketing et à la publicité. Comme pour saluer l’efficacité de la supercherie,  » A diamond is forever  » sera même élu Slogan publicitaire du XXe siècle par le magazine Advertising Age en mars 1999. Son auteure, Frances Gerety, décédera moins de deux semaines plus tard à l’âge de 83 ans. Elle ne s’est jamais mariée.

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