Traces fantômes

Dans une note manuscrite, Pierre Auguste Renoir a répertorié les couleurs dont il se servait durant sa période impressionniste : blanc d’argent, jaune de chrome, jaune de Naples, ocre jaune, terre de sienne naturelle, vermillon, laque de garance, vert véronèse, vert émeraude, bleu de cobalt, bleu outremer.

Une gamme réduite que le peintre pouvait minimiser encore en supprimant l’ocre jaune, le jaune de Naples et le terre de Sienne. Des  » tons intermédiaires dont on peut se passer puisque vous pouvez les faire avec les autres couleurs « , disait-il. Dans le beau livre de souvenirs qu’il consacra en 1962 à son père (1), le cinéaste Jean Renoir remarquait qu’à cette époque, le peintre ne faisait aucune mention du noir,  » la reine des couleurs  » comme il le déclarait quelques années plus tard, à son retour d’Italie. Entre-temps, Renoir avait admiré à Rome les fresques de Raphaël. Il s’était nourri des tableaux du Titien, avait découvert la beauté des peintures antiques de Pompéi et d’Herculanum.

Sachant cette économie des teintes et la méticulosité avec laquelle le vieux maître veillait à la propreté de ses pinceaux et de sa palette, quelle n’a pas été ma surprise de découvrir le sol de son atelier constellé de taches.

Partout, des gouttes bleues, des éclats rouges, du jaune, du vert, de grands cercles ébène.

Vous verrez, la pièce est dans son jus, m’avait prévenu l’adjoint au maire d’Essoye, jolie bourgade située à une cinquantaine de kilomètres de Troyes où le couple Renoir avait acquis une maison en 1895.

L’a-t-il enjolivé pour m’appâter ? C’est vrai, j’ignorais l’existence de ce lieu cher au peintre. Je me suis précipitée.

Malgré l’usage modéré qu’il faisait des coloris, j’ai cru déceler le souvenir de l’artiste dans les salissures. Un trésor caché, me disais-je.

Tout au bonheur d’imaginer un endroit épargné par les reconstitutions, j’ai omis de regarder les murs trop blancs et cette plaque discrète apposée au niveau du plancher.

Que mentionnait-elle ? Simplement, le passage d’un groupe d’étudiants deux ou trois ans auparavant. Les bavures par terre sont les leurs. Le reste a été ripoliné.

(1 ) Pierre-Auguste Renoir, mon père, Gallimard.

(*) Chaque semaine, la journaliste et écrivain Isabelle Spaak (Prix Rossel 2004 pour son roman d’inspiration autobiographique Ça ne se fait pas, Editions des Equateurs) nous gratifie de ses coups de c£ur et coups de griffe.

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