TRICOTER POUR DÉSTRESSER

Une maille à l’endroit, une maille à l’envers : la ritournelle est gestuelle, mais aussi mentale. Elle demande à l’esprit de se focaliser sur une tâche précise et donc de faire le vide. Pouvoir magique qui explique en partie le boom de ce qui est bien plus qu’un  » nouveau  » passe-temps.

Jusqu’il n’y a pas si longtemps chasse gardée des grands-mères, le jeu d’aiguilles n’en finit pas de faire de nouveaux adeptes. Elles sont étudiantes, futures mamans, ils sont entrepreneurs, pas spécialement bricoleurs… Sur Facebook, ils initient des groupes pour s’inspirer, s’entraider et likent sans relâche les créations de leurs amis  » tricot addicts « , comme ils aiment s’appeler. Ils se donnent rendez-vous dans des bars, autour d’un thé bien chaud, pour nouer des fils et tisser des liens. La discipline – il faut s’accrocher, au début ! – est devenue leur passe-temps, leur passion et leur soupape de décompression. Car l’activité est un remède reconnu contre l’anxiété, auquel on a même offert un nom : la tricothérapie. Chercheuse britannique spécialiste de la douleur, Monica Baird défend fermement le potentiel relaxant de cette dernière, qui ferait chuter le taux de cortisol, hormone du stress, et doperait la production de dopamine et de sérotonine, garantes de notre bien-être. Une alliée à laquelle Pierre et Emmanuelle Bastoul, deux Bordelais, ont dédié un livre, tout juste sorti aux Editions Flammarion, Tricothérapie : le nouveau yoga.  » Passé le stade de l’apprentissage, quand le point a été mémorisé, le cerveau bascule en mode méditatif « , explique Pierre. L’enchaînement répété des mouvements activerait d’ailleurs les mêmes zones du cerveau que la pratique indienne – le cortex préfrontal ventromédian. Pour transmettre sa passion aux artistes en herbe et stimuler la créativité des plus confirmés, le duo a lancé le site Peace and Wool, qui vend des kits prêts à l’emploi – pelotes, aiguilles et marche à suivre – pour réaliser des écharpes ou plaids qui font du bien. Diffusion d’ondes zen à échelle du Web.

DOUCEMENT ADDICTIF

Ce pouvoir anti-stress, Violaine, 37 ans, du blog Violaine et Coton, le connaît bien. Elle découvre la maille à l’école, en cinquième primaire ; dix ans plus tard, elle s’inscrit en classe de design textile à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles.  » J’ai essayé le tissage, la dentelle… mais le tricot, c’est mon numéro un, je ne peux juste plus m’en passer.  » Celle qui se qualifie de  » tricopathe  » enchaîne les rangs dès qu’elle peut, des salles de ciné aux files d’attente, question de survie. Et sa drogue douce a le don d’intriguer :  » On me regarde souvent tendrement, et puis on me pose des questions : ça a l’air joli, vous créez quoi ? C’est du crochet ? Elles sont marrantes, vos aiguilles !  »

C’est justement pour cette dimension sociale et sa notion de transmission qu’Alice, 26 ans, fonde le groupe Tricote – Papote en décembre 2014. A l’origine, il doit rassembler quelques-unes de ses amies, désireuses de s’essayer aux joies du homemade, mais il devient vite le repaire bruxellois de férus de maille, qui se rencontrent pour tresser en bande. Des meetings moelleux auxquels devraient assister les candidats non-fumeurs. Car c’est la science qui le dit : le tricot s’avère salvateur quand on arrête la cigarette, l’université de Chicago classe d’ailleurs l’activité dans le top 10 des moyens les plus efficaces pour y parvenir. Quand la clope s’en va, les doigts se sentent seuls et l’esprit vagabonde, alors il faut les occuper. Et soigner les dépendances n’est pas l’unique vertu du jeu d’aiguilles. Herbert Benson, professeur de médecine à l’université Harvard, le recommande aux patients qui souffrent de douleurs chroniques, d’hypertension et d’insomnie. Des recherches effectuées par la Mayo Clinic, dans le Minnesota, et publiées dans la revue Neurology, ont également prouvé que travailler la laine régulièrement entretenait la mémoire et prévenait la démence. Utile, quand on a tendance à perdre le fil…

 » C’EST MOI QUI L’AI FAIT !  »

Au-delà de ses aspects purement curatifs, cette activité a un vrai potentiel gratifiant, puisqu’il implique de concevoir quelque chose pour soi, pour ceux qu’on aime ou ceux qui nous aiment. Comme une sensation d’être utile, de faire du concret et de l’inédit dans un monde où tout ce qui est produit en masse se ressemble.  » C’est renouer avec ce que l’on a oublié de nous apprendre, parce que né dans le prêt-à-consommer, précise Pierre Bastoul. C’est donner de soi, de son attention, c’est prendre le temps, se slow manager.  » Un défi qu’au moins six millions d’internautes sont prêts à relever, puisqu’ils sont autant d’inscrits sur Ravelry, réseau social dédié à la fibre textile, e-boutique et diffuseur de tutoriels. Habiles de leurs dix doigts, ces serial brodeurs se sont donné pour mission de revenir à la matière, de la respecter, et de s’ancrer dans l’ici et maintenant, ingrédient majeur pour dérouler le fil du bonheur.

PAR LAURANNE LAHAYE

ILS SE DONNENT RENDEZ-VOUS POUR NOUER DES FILS ET TISSER DES LIENS.

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