Après les pairings sans alcool, place aux sommeliers spécialisés… dans l’air que vous respirez

Sommelier d'air, un métier d'avenir? DR
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste

Tout plaquer pour devenir sommelier spécialiste de l’air de montagne, une blague? Pour Patrick Stebler, qui a inventé cette carrière, c’est tout ce qu’il y a de plus sérieux. Et nos chroniqueurs lui reconnaissent qu’il ne manque pas d’air.

Appartenant respectivement aux générations Z, Millenial et X, Thibault Dejace, Kathleen Wuyard, Nicolas Balmet et Nathalie Le Blanc confrontent leurs points de vue sur le buzz du moment dans notre chronique « 10 ans d’écart ». Le sujet de la semaine: les sommeliers spécialisés en air (oui, celui qu’on respire).

Thibault, 24 ans: « Je préfère un guide de montagne plutôt qu’un sommelier d’air »

Il existe donc un monde où les gens ont assez d’argent pour envisager de tout lâcher, femme, enfants, chat, maison ou appartement, dans le but de se lancer dans la carrière, assez spécifique de « sommelier d’air ».

Leur but ? Nous faire humer un bon bol d’air pur, souvent en montagne, histoire de décrasser nos poumons pollués par l’air de plus en plus sale de nos villes, dont l’atmosphère se détériore de plus en plus. Sur papier, j’adore le concept. En réalité, bien moins. Et puis, qui a sincèrement le privilège de se lancer dans la profession très sélecte de « sommelier d’air » ou encore de recourir aux services d’un tel expert ?

Je ne sais pas, moi, mais quitte à respirer un peu d’air pur et à aller crapahuter par monts et par vaux dans les sommets, j’embarque un guide de montagne (un vrai) pour me mener dans ces recoins reculés. Pas un sommelier d’air. Au moins, mon guide, il me parlera de la nature, de l’histoire des montagnes, de la région quoi. Pas de comment renifler le buisson de houx qui est en bord de chemin « pour libérer mes poumons de leurs toxines ».

Kathleen, 34 ans: « Et si c’était justement un métier d’avenir? »

Dit à voix haute, ce néo-métier fait sourire, voire ricaner. « Sommelier d’air », vraiment? Et d’air de montagne, qui plus est? Tant qu’à faire dans le métier de niche, autant ne pas se priver. Mais passé le premier amusement, au fond, cette reconversion professionnelle n’est pas si bête.

Il y a quelques années de ça, j’ai appris à mes dépens que je ne savais pas… respirer. Bien sûr, j’alimentais mon corps en oxygène, sinon je ne serais pas en train d’écrire ces lignes (je ne suis pas certaine que le Wifi soit extrêmement fiable dans l’au-delà) mais je faisais preuve, ainsi que l’avait pointé mon coach sportif de l’époque, d’une fâcheuse tendance à retenir inconsciemment ma respiration aux moments les plus inopportuns. En cas d’effort intense, mais aussi de stress, par exemple, ce qui ne faisait qu’ajouter à la pénibilité et au ressenti négatif.

Or s’il est possible de « mal » respirer, il est certain que nombre d’entre nous ont perdu leur capacité à sentir. Dans un monde à cent (mille?) à l’heure, où il est devenu inconcevable de prendre le temps de se poser, les odeurs, pourtant omniprésentes, ont dû apprendre à se contenter d’un rôle secondaire. Alors même que rien ne met tant en joie que l’odeur des nuits froides (oui, elles ont une senteur spécifique) ou celle des matins ensoleillés. Apprendre à humer l’air de montagne à pleins poumons et à distinguer la richesse de ses nuances? Je dis oui! Enfin, je le dirais si j’appartenais au public nanti auquel ces expériences sont destinées. En attendant, je sniffe la vague moiteur de l’open space et je me demande ce qu’un sommelier d’air en dirait.

Nicolas, 44 ans: « La montagne, ça me gagne depuis ma plus tendre jeunesse »

En voilà une excellente initiative pour créer de l’emploi ! Parce que, je ne sais pas vous, mais moi, des gens qui brassent de l’air, j’en croise à peu près tous les jours. Autant dire qu’il y aura des candidats à la pelle sur la liste des candidats potentiels.

Néanmoins, mauvaise nouvelle pour eux : je m’inscrirai également sur cette liste, donc la concurrence sera rude. Non pas que j’adore brasser de l’air, hein. Non, moi, je convoiterais ce job de sommelier pour une simple raison : passer mon temps à la montagne. Humer l’air pur. Arpenter les sentiers escarpés. Ausculter les reliefs en dents de scie qui ornent l’horizon. Tutoyer les sommets. Remplir ma gourde dans une fontaine en bois. Regarder le soleil scintiller sur les lacs alpins. Marcher dans une bouse de…

Bref ! Pour être tout à fait honnête, la montagne, ça me gagne depuis ma plus tendre jeunesse, mes parents n’ayant jamais cessé de me faire profiter de ses vertus en m’y emmenant régulièrement en vacances en compagnie de ma tendre sœur et de mon charmant frère. Là-bas, de l’oxygène 100% bio, j’en respirais même au p’tit-dej’. Et je suis assez convaincu que, désormais, grâce à cela, mon corps est encore plus sain que celui d’un alpiniste chevronné.

Vous ne me croyez pas ? Filez-moi l’Everest, là, tout de suite, et je vous l’escalade en 12 minutes chrono. Surtout que, de ma jeunesse, je ne garde pas que des souvenirs : aujourd’hui, tous les étés, je vais moi-même passer du temps à la montagne avec ma propre tribu. Les Dolomites il y a deux ans, les Alpes l’année dernière et les Pyrénées cet été-ci… Alors je ne voudrais pas effrayer les candidats qui se présenteront avec moi à l’entretien d’embauche, mais ils n’ont aucune chance. Je n’ai donc qu’une chose à leur dire : changez d’air !

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Nathalie, 54 ans: « Allô, Patrick? J’arrive! »

Je veux aller me promener en Suisse avec Patrick Stebler. Là, maintenant. D’aussi loin que je m’en rappelle, j’ai toujours été une renifleuse (oui) enthousiasme, à tel point que ma propension à enfouir mon nez dans tout ce qui passait à portée gênait ma mère quand j’étais petite. Et pourtant, je maintiens que notre odorat est grandement sous-estimé, et qu’on ne l’apprécie à sa juste valeur que quand on le perd soudain à cause d’un rhume ou du COVID.

La preuve: on ne dispose même pas de qualificatifs réservés exclusivement aux odeurs. Dans ma langue maternelle (celle de Vondel), à part l’équivalent de « puant » et « parfumé », qui ne comptent pas vraiment, il y a seulement « mut », comme dans « odeur de moisi », en français, lequel ne comporte pour sa part aucun mot dédié. C’est que tous les qualificatifs que nous utilisons, de sucré à enivrant, farineux ou décadent, en passant par chien mouillé, tabac, oeuf pourri, bouse de vache ou pain qui sort du four peuvent être également utilisés pour décrire autre chose. Comme si les odeurs n’étaient qu’accessoires – l’audace!

J’habite à Louvain, et quand la bière est brassée, tout mon quartier sent le houblon. Quand j’ai emménagé, ça m’a incommodée, mais désormais, j’associe ce parfum à la maison. Et quand je vais de chez moi au centre-ville en longeant le Vaart (et les choses qui pourrissent dans l’eau), je m’offre un véritable festival olfactif, de l’odeur luxuriante et douce des lilas qui ornent la maison de mes voisins, au parfum frais du parc tout proche, en passant par les relents de beurre et de pâte fraîchement cuite venant du pâtissier, l’odeur de la Dyle, plus douce et verte que le Vaart et les notes iodées de la poissonnerie du quartier. Quand je voyage, je veille à répliquer ces balades sensorielles, et à m’asseoir pour profiter pleinement d’un parfum spécifique, qu’il soit celui d’une prairie de montagne, d’un jardin luxuriant ou d’un rocher léché par les vagues. Ou bien des sommets suisses… Allô, Patrick?

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23, 33, 43, 53 ans: voit-on forcément la vie autrement avec (plusieurs fois) dix ans d’écart ? Positionnés chacun dans une décennie différente, nos journalistes confrontent chaque vendredi leurs points de vue en débattant des sujets dont tout le monde a parlé lors de la semaine écoulée.

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