Quand les gars font (eux aussi) du yoga

© catherine madani
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Non, ce n’est pas  » une activité pour gonzesses « . Les hommes seraient même de plus en plus nombreux à enchaîner les asanas et les pranayamas pour évacuer le stress et se recentrer. Un choix qui n’a rien d’une posture.

 » Ça a changé ma vie !  » Il y a une poignée d’années, Michel rencontre des problèmes de santé. De nature angoissée, ce journaliste très actif se dit qu’il est temps d’agir… et il se met au sport, pour canaliser son énergie. Mais très vite, il se rend compte que son corps devient raide. Il est aussi interpellé par les difficultés de mobilité des personnes plus âgées qu’il côtoie.  » J’ai alors testé le yoga par hasard et la première séance fut véritablement libératrice ; elle a amené en moi des émotions comme je n’en avais jamais ressenti auparavant.  » Depuis, bien qu’il soit plutôt minoritaire dans la classe, il s’offre cette pause zen deux fois par semaine… et dort incroyablement bien après chaque session.  » C’est un horizon pour moi, un socle, et je suis sûr que ça le restera dans le futur. J’ai désormais un meilleur rapport à moi, à mon corps, mais aussi aux autres « , conclut-il.

Peu à peu, au détour des conversations, on découvre ainsi que des connaissances que l’on imaginait peut-être plus en train de faire un footing qu’en position du lotus – vive les préjugés – ont fait de cette discipline l’un des piliers de leur équilibre. En constante augmentation, cet attrait de la gent masculine pour l’activité deviendrait même trendy, à en croire le site du journal Libération qui, en janvier dernier, pointait dans ses tendances 2017 l’arrivée  » du très viril Broga (un  » bro  » désignant un mec, un vrai) dans les studios « , précisant qu’il s’adressait  » aux mâles baraqués souhaitant suer comme des boeufs en vagissant  » – oui, oui, on est bien dans le cliché… Quelques semaines plus tard, deux Ecossais – le yogi Finlay Wilson et le hockeyeur Tristan Cameron-Harper – généraient le buzz sur la Toile avec une vidéo réalisée pour le site BBC The Social, dans laquelle on les voyait enchaîner les positions, en kilt, au milieu des bois… avec ou sans slip on ne sait pas. Et, ce printemps, c’est un livre aux éditions de La Martinière, Yoga Vitalité (1), qui s’ouvre sur une couverture montrant un beau gars tatoué en pleine séance d’étirement.  » Un choix éditorial « , justifie Cyrus Fay, coauteur de l’ouvrage.

Un vent de testostérone souffle donc bien sur le secteur, ou plutôt resouffle car il est utile de rappeler que si aujourd’hui, la majorité des adeptes du chien tête en bas et du cobra se retrouvent encore dans la frange féminine de la population, cette dernière fut pendant des millénaires tenue à l’écart de ces exercices par la tradition hindoue…  » A l’heure actuelle, on peut évaluer qu’on a environ 80 % de femmes et 20 % d’hommes lors des séances, même si c’est une proportion très théorique car cela dépend du cours choisi « , relève Colin Wolf. Il y a trois ans, ce Bruxellois, qui a plongé dans ce milieu  » par curiosité, sans a priori « , a ouvert avec un associé un studio dans le centre-ville, le Yyoga (2). Aujourd’hui, le lieu accueille entre 100 et 150 clients par jour…  » Et on a de plus en plus de profs masculins, ainsi que des membres qui nous rejoignent grâce à leur compagne, pour partager l’expérience en couple « , se réjouit cet architecte reconverti.

Ce qui retient encore le sexe dit fort ?  » Le yoga est perçu de prime abord comme quelque chose de très doux, et donc de plus féminin, et il n’y a pas cet aspect compétition, ni ce côté sport d’équipe, que recherchent de coutume les garçons « , analyse Colin Wolf.  » Il est vrai que certaines postures semblent plus difficiles pour les hommes pour des questions de souplesse liées à leur physiologie, celles qui requièrent la mobilisation des hanches par exemple… En revanche, celles qui nécessitent un appui sur les bras sont plus aisées pour eux. Cependant, les bienfaits peuvent être ressentis par tous « , souligne de son côté Cyrus Fay.

Débuter, respirer

« Des émotions comme je n’en avais jamais ressenti auparavant. »© catherine madani

L’image que les médias véhiculent est aussi responsable de cette méfiance, selon Nathalie Geetha Babouraj, créatrice de l’Institut de santé intégrative et auteure d’un livre qui sortira en juin prochain, Ma détox colorée (Courrier du Livre) :  » On montre toujours dans les magazines des filles bien foutues dans des postures très compliquées. Ça peut refroidir…  » Et la Française sait de quoi elle parle. Elle a, pour le compte de l’OTAN, participé à un groupe de recherche sur la gestion du stress – le yoga étant l’une des clés du succès pour les soldats – et a donné cours aux pompiers de Paris.  » Dans les pays anglo-saxons, on est déjà beaucoup plus loin dans ce secteur. Cette pratique peut vraiment être très utile pour ces gens qui sont soumis à des symptômes post-traumatiques, des lombalgies, etc. On leur apprend d’abord à respirer, simplement, pour se recentrer à l’intérieur. Ensuite, on passe à des exercices adaptés… qu’ils peuvent exécuter partout, même lorsqu’ils sont en mission et n’ont rien sous la main ! « , souligne cette médecin militaire qui a découvert les bienfaits de l’activité lorsqu’elle était à l’université et souffrait de brûlures d’estomac dues à l’exigence des études.

Apprendre à observer

Pour elle, si l’aspect symbolique de cette pratique peut parfois effrayer ses apprentis dans un premier temps – elle adapte d’ailleurs son vocabulaire, parlant de  » techniques corporelles  » plutôt que de  » yoga  » -, elle pense qu’ils ont en réalité tout à y gagner.  » Les hommes et les femmes sont avant tout des êtres humains et ont donc besoin de la même chose, de force et de souplesse. On pourrait croire qu’il faut cibler l’aspect puissance pour les garçons mais, en réalité, il est important qu’ils explorent une autre partie d’eux-mêmes. Je suis donc plutôt d’avis de les inviter à ralentir, à rester immobiles un temps et à observer ce qui se passe autour d’eux et en eux… ce qui est, à la base, plutôt une qualité féminine.  »

Une autre motivation qui pourrait encore pousser les plus gaillards dans les studios est la complémentarité avec d’autres sports. Ainsi, depuis plusieurs années déjà, la superstar serbe du tennis mondial, Novak Djokovic, vante les mérites de ce travail du corps et de la méditation sur sa préparation mentale et physique, la maîtrise de sa respiration lui permettant d’atteindre un niveau de self-control maximum dans les moments-clés des matchs. De grands clubs de foot et d’autres champions sont aussi convaincus de l’apport de ces instants de retour au calme et à l’introspection pour performer.  » On a de plus en plus de clients qui s’inscrivent chez nous, en parallèle du cross-fit ou même de la boxe « , confirme Colin Wolf.

Et puis, vu l’étendue de la gamme actuelle proposée, les hommes qui craignent vraiment de s’ennuyer peuvent choisir une déclinaison qui les fera transpirer, comme le vinyasa, basé sur des enchaînements plus rapides, ou le bikram qui se pratique dans une salle surchauffée – à 37 °C chez Yyoga. Sans oublier le Broga cité par le journal Libé et réservé exclusivement aux hommes, mais qui, à en croire certains pros, s’apparente surtout à un phénomène de marketing… D’autant que de l’avis de tous, les cours mixtes sont finalement les plus riches. Messieurs, à vos tapis !

Quand les gars font (eux aussi) du yoga
© sdp

(1) Yoga Vitalité, par Jacqueline Sigaar et Cyrus Fay, éditions de La Martinière, 136 pages.

(2) Studio Yyoga, 39, quai au Bois à Brûler, à 1000 Bruxelles, https://yyoga.be

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