Toussaint 2.0: les nouvelles façons de penser la mort et ses rites

© Lucia Calfapietra
Mathieu Nguyen

Aujourd’hui en manque de fréquentation, les cimetières s’apprêtent à connaître leur semaine la plus animée de l’année. Une raréfaction des visiteurs qui n’entrave pas le dynamisme du business mortuaire, devenu plus perso ou plus écolo. Tour d’horizon des nouvelles pratiques.

Le retour de la saison des chrysanthèmes vient nous rappeler que chaque année, à peu près 100.000 personnes décèdent dans notre pays. Or, bien que la grande majorité des enterrements et incinérations se déroulent encore de la même manière qu’il y a trente ans, ce secteur est doucement en train d’évoluer. Parmi les raisons de ce lent changement des habitudes, il y a d’abord le coût élevé des rites, qui ont connu une progression de 35% en à peine dix ans, soit plus que l’inflation. Soumis à l’offre et à la demande, les tarifs affichés par les cimetières belges présentent d’incroyables disparités, ils sont simplement laissés à l’appréciation des villes, et peuvent s’avérer très bas, comme les 100 euros pour une concession de 25 ans à Dinant, mais aussi s’envoler de 1.000 à 3.000 euros dans certaines communes bruxelloises. On estime que le total des frais liés à un enterrement tourne autour des 5.000 euros, ce qui fait beaucoup pour une cérémonie que l’on trouve morne et impersonnelle, paralysée par le poids des traditions et du qu’en-dira-t-on. D’où l’envie d’un nombre grandissant de nos concitoyens de renoncer à ce décorum un peu lugubre pour explorer d’autres pistes plus proches de leur personnalité, de leurs convictions. Car un autre élément déterminant dans l’évolution actuelle, c’est que l’on se soucie désormais de l’empreinte écologique qu’occasionnera notre dernier repos. Longtemps ignorée, la pollution des sols causée par les inhumations ou les crémations a fini par préoccuper les citoyens, poussant pompes funèbres et politiques à envisager des alternatives.

Mise en bière, mise au vert

En fondant la coopérative Alveus en 2013, Cédric Vanhorenbeke fut le premier chez nous à proposer des « funérailles écologiques, éthiques et sociétales » pour répondre à la demande de solutions éco-responsables – et peut-être, en passant, redorer l’image d’une profession que l’on accuse parfois de profiter du désarroi de ses clients. « Si aujourd’hui on parle tant des alternatives qui existent, c’est peut-être un peu grâce à nous, se félicite-t-il. Je voulais pratiquer mon métier et rester en adéquation avec mes valeurs, notamment écologiques. Alors j’ai décidé de jouer le rôle d’aiguillon, de faire du lobbying auprès des autorités, pour venir en contrepoids de la Fédération des Pompes Funèbres, aux positions souvent conservatrices. Et maintenant, nous sommes consultés et invités à la table lors des discussions. » Et sa démarche fonctionne: après la Flandre et Bruxelles, la Wallonie a autorisé le recours aux cercueils en carton – certains préfèrent parler de « cellulose », moins péjoratif – au printemps dernier. Avec des prix démarrant autour de 150 euros, il est bien moins onéreux que les modèles traditionnels, dont le montant peut atteindre plusieurs milliers d’euros suivant l’essence de bois et l’ornementation. Autre alternative autorisée, la version tressée en osier affiche des performances écologiques très intéressantes aussi, tout comme le simple linceul, dans lequel il est désormais possible d’être enterré ou incinéré. La palme revient sans conteste au « infinity burial suit » de Coeio, une combinaison high-tech en champignon, conçue pour éviter que nos toxines ne contaminent le lopin où l’on repose, et en même temps assurer une bonne distribution de nos propres nutriments aux alentours. A pointer encore, le tuto gratuit pour réaliser sa bière en carton recyclé, DIYing free, ou l' »éco-cercueil » Christann (319 euros), livré en kit et monté en 20 minutes. Tout comme la stèle proposée par France-Tombale sous le nom d’inspiration suédoise Monukéa et dont le prix est deux fois moindre que ceux habituellement demandés pour ce type de monument.

Cela demandera du temps avant de pleinement entrer dans les moeurs.

Décrocher la tombale

Au-delà des contenants et sépultures, la législation évolue également au niveau du traitement des dépouilles, même si, comme le rappelle Cédric Vanhorenbeke, « le fait que l’on adopte un projet d’ordonnance n’est qu’une porte ouverte, il n’y a pas encore de cadre légal. Et comme pour toute nouveauté, cela demandera du temps avant de pleinement entrer dans les moeurs », tempère-t-il, reconnaissant dans la foulée que l’usage de cercueils en carton reste marginal. « Les gens ont peur de passer pour des radins, explique-t-il. Ils craignent que ce soit vu comme un manque de respect envers la personne décédée. Mais dans le cas de plans d’obsèques où l’on décide pour soi-même, cela devient plus fréquent, et c’est plus facile pour les héritiers, qui peuvent se prémunir de tout reproche. »

Parmi les processus validés par le gouvernement bruxellois, il y a l’humusation, qui revient peu ou prou à transformer le défunt en 1,5 m³ de « super compost », après douze mois passés sous une épaisse couche de broyat de bois d’élagage, dans un « jardin-forêt de la métamorphose ». La technique nécessite des manipulations mais échappe aux frais d’embaumement, de concession, d’achat de cercueil ou de pierre tombale, ce qui fait chuter le coût total. Une fois la transformation achevée, aucun entretien n’est requis, et le respect de la nature est assuré. Autre méthode pratiquée ailleurs, et plutôt prisée par les pays anglo-saxons, l’aquamation (ou résomation), repose sur le procédé physico-chimique « d’hydrolyse alcaline mise en oeuvre en phase aqueuse », que l’on pourrait résumer par une formule: « crémation par l’eau ». Le corps est plongé dans une eau à 93 °C, avec des agents chimiques favorisant la décomposition, qui intervient en quelques heures. On devrait cependant attendre plusieurs années avant de voir des opérateurs funéraires s’équiper de cuves ad hoc, alors que l’humusation pourrait être mise en oeuvre plus rapidement.

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© Lucia Calfapietra

Outre ces dispositifs avalisés par les instances publiques, on citera encore la promession, (ou lyophilisation ou crypdessication), spécialité suédoise, qui vous invite à être immergé dans un bain d’azote à -196 °C, avant d’être réduit en poussière – et cette fois encore, l’empreinte écologique finale se révèle largement inférieure aux inhumations et crémations. Enfin, pour l’anecdote, quoique, on rappellera que près de 300 personnes dans le monde sont cryogénisées, et espèrent que les technologies du futur leur permettront un jour d’être ramenées à la vie. Une option coûteuse, 200.000 euros pour une prise en charge intégrale, rabais à 80.000 si l’on ne souhaite conserver que sa tête, ce qui réclame une bonne dose de foi en la science. Entreprise leader du secteur, Alcor dispose toujours dans ses locaux de la capsule abritant le corps du Dr James Bedford, premier être humain cryogénisé, préservé depuis le 12 janvier 1967.

Toucher les étoiles

Plus ancrée dans notre réalité que ces pratiques confidentielles, la crémation est choisie par plus de 60% des Belges, faisant chuter les enterrements sous les 40%. Alors, à tous ceux qui « ne fleurissent pas les tombes, mais chérissent les absents », comme le dit joliment le chanteur Benjamin Biolay, on terminera par un passage en revue de quelques destinations finales des cendres, un brin plus originales que les pelouses de dispersion, niches de columbarium et autres espaces cinéraires.

Pour commencer, une série d’urnes ou d’objets, dont les produits des Espagnols de chez Bios, avec d’un côté le réceptacle biodégradable chargé de graines, à planter en pleine terre (Bios Urn, 140 euros), ou le système d’incubateur destiné à l’intérieur (Bios Incube, 695 euros). Autre façon de porter le deuil, moins connue et encore plus intime que les nombreux articles de joaillerie, bagues ou diamants commémoratifs, c’est le sextoys 21 Grams du designer néerlandais, Mark Sturkenboom, engin en verre soufflé transparent contenant ce qu’il subsiste de l’être aimé. On aimerait par ailleurs rappeler aux mélomanes l’existence d’And Vinyly, service de pressage de disque qui promet un 33-tours personnalisé, mais son prix a de quoi refroidir: plus de 3.000 euros pour trente plaques de 24 minutes.

Au niveau de la dispersion, on s’en voudrait de ne pas mentionner Les Arbres du souvenir, près de Charleroi, une forêt où l’on peut parrainer un arbre, au pied duquel les cendres sont répandues, devenant ainsi une sépulture vivante où les proches se recueillent. Dans le même genre, l’effet carte postale en plus, des entreprises françaises se sont spécialisées dans la dispersion par drone, au-dessus de sites comme la baie du Mont-Saint-Michel ou le Mont-Blanc. Alternative à l’immersion en mer, Eternal Reefs produit des récifs artificiels avec un béton dans lequel l’urne a été vidée. Le « reef ball » ainsi obtenu est ensuite installé sur les fonds marins de la côte Est américaine (de 2.500 à 7.000 euros). Toujours aux Etats-Unis, des compagnies ont développé des obsèques spatiales, avec, à la carte, aller-retour pour la stratosphère, voyage orbital, aller simple pour l’immensité de l’espace ou le must, un « lunar memorial » sur la surface de la Lune, comptez de 2.000 à 12.000 euros. Présents sur le marché depuis vingt ans, les pionniers de Celestis sont la référence dans le domaine, leurs Memorial Spaceflight Missions sont même choisies par la Nasa pour honorer ses scientifiques. Enfin, plus proche, le service français Poussières d’étoile promet des envolées stratosphériques par le biais plus modeste d’un ballon sonde. Un moyen moins dispendieux mais tout aussi efficace de partir pour les cieux.

Partage d’émotions

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© Lucia Calfapietra

Profession: clown d’enterrement

Agent de police de son état, Peter Leesman est également clown professionnel, et le catalogue de ses prestations comprend le service « Clown d’enterrement ». Contacté par nos soins, il assure que cette mission si particulière ne consiste pas à faire des blagues dans des circonstances aussi solennelles qu’une inhumation. « Je ne dis rien, explique-t-il, je suis là pour apporter une présence, un soutien, un peu de réconfort aux gens qui vivent ce moment difficile. Souvent, ça passe par un petit sourire que l’on échange, ce n’est pas grand-chose mais ça peut compter énormément. » Pour l’instant, il n’a exercé cette activité qu’en Flandre, mais il reste ouvert à tout contrat à Bruxelles ou en Wallonie – et si sa pratique du français est à améliorer, cela ne consiste en rien un obstacle, puisque ce rôle plein de sensibilité est muet.

Coffin Club, le fun de funéraire

Inauguré l’été dernier, le premier Coffin Club de Londres transpose dans la capitale britannique un principe néo-zélandais: celui de se retrouver autour d’une tasse de thé pour se fabriquer un cercueil personnalisé. Un hobby créatif, façon scrapbooking, qui donne à l’inhumation une touche fun et colorée, pour célébrer la vie en exposant ses dessins, photos de voyages, de ses enfants et petits-enfants ou tout autre illustration souhaitée par le ou la futur(e) occupant(e) des lieux – les exemples londoniens vont d’une suite d’images pieuses à un poster grandeur nature de l’acteur Kevin Bacon, faisant face pour l’éternité à la dépouille d’une certaine Kate Tym. Ces rencontres sont en outre un espace de rencontre où discuter en toute légèreté de notre inéluctable trépas, un peu à la manière des Cafés de la mort, tenus chez nous par l’association La mort fait partie de la vie.

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