Les filles et l'(hyper)féminité

Après avoir vendu plus de 4 millions d’exemplaires de Raising Boys, le psychologue australien Steve Biddulph explique dans Raising Girls pourquoi il est plus difficile d’élever une fille.

Raising Girls, de Steve Biddulph, Harper Collins, pas encore traduit en français.

Du même auteur : Elever un garçon, Marabout, 224 pages.

Dans les pays anglo-saxons, c’est un « gourou » de l’éducation dont chaque nouvel ouvrage est un best-seller, traduit dans plus de 30 langues. Son sujet d’étude de prédilection jusqu’à présent ? Les garçons. Son credo ? Aider les parents à faire de leurs fils des hommes adultes, matures, engagés… et, surtout, respectueux du sexe opposé. Rien d’étonnant alors à ce qu’il s’intéresse, enfin dans le détail, à ce dernier.

Dans son livre, tout juste paru mais pas encore traduit en français, son postulat est marqué par ce qu’il observe depuis quelques années : dans un monde où les petites filles et les jeunes filles sont devenues, plus que jamais, la cible d’un marketing du corps et de la séduction, leur éducation est devenue très complexe, plus, sans doute, que celle des garçons. Un point de vue qui manque parfois de nuance, mais qui doit attirer notre attention.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’éducation des filles ? Et quel est votre constat ?

Parce que je me suis rendu compte, au fil de mes conférences, que les parents se faisaient de plus en plus de souci pour elles. Elles sont, par exemple, de loin les premières victimes des troubles du comportement alimentaire (TCA), et leur apparence les rend souvent très anxieuses.

Elles ont aussi plus de difficultés à se faire des amis et à se sentir acceptées. Certaines font même preuve de violence à l’école. Elles envisagent plus qu’avant le suicide comme une possibilité : selon les données du baromètre santé 2010, les filles entre 15 et 25 ans sont presque deux fois plus nombreuses que les garçons à avoir eu des pensées suicidaires. L’automutilation est également un nouveau phénomène inquiétant. Selon le Royal College of Psychiatrists, à Londres, au moins 1 jeune sur 10 la pratique à un moment donné de sa vie, mais cela peut bien entendu arriver à tout âge.

Vous abordez longuement l’effet néfaste de l’hypersexualisation de la société sur les jeunes filles. Ce débat est-il récent en psychologie ?

Ce terme n’était utilisé que dans les cas d’abus sexuel et de pédophilie. On l’emploie beaucoup aujourd’hui, car c’est la société tout entière qui se « sexualise ». On voit désormais des cas de filles de 8 ans qui adoptent une attitude « sexy », pour se conformer, croient-elles, à ce que l’on attend d’elles. Les adolescentes, elles, ressentent une lourde pression en ce qui concerne la sexualité. Certaines vont même jusqu’à évoquer l’idée de fellation, dès le premier rendez-vous avec un garçon. La nouveauté réside également dans le fait que le rapport à la sexualité qu’elles expriment tient du devoir, de la corvée et présente un caractère d’obligation sociale très anxiogène.

Quel comportement les parents doivent-ils adopter ?

Au coeur du problème, il y a ce flux continu d’images que voient nos enfants à la télévision et sur Internet. Quand ma fille était encore toute petite, elle m’a dit un jour : « C’est super, cet homme va enfin aimer sa femme maintenant qu’elle est mince ! » Elle venait de voir une publicité faisant la promotion d’une méthode amincissante. Cet événement a vraiment changé ma façon de percevoir la télévision.

Les images peuvent faire de gros dégâts dans la tête d’une petite fille, surtout avant ses 10 ans. Car, à l’adolescence, elle les aura intériorisées. Il vaut mieux en limiter l’accès aussi tôt que possible. Mais il est clair que ce qui l’influencera le plus est ce que dit et fait sa mère. Si celle-ci parle sans arrêt de son poids et de son apparence, alors inévitablement sa fille sera, elle aussi, victime de cette anxiété.

Finalement, ce que vous prônez, c’est une parole libre des mères sur la féminité pour éviter l’écueil de l’hypersexualisation ?

Absolument. La psychologue américaine Deborah Tolman a prouvé que, quand les mères parlent de sexualité à leurs filles, ces dernières se sentent beaucoup plus sûres d’elles et ne vont pas avoir de rapports précipités. Ces filles, grâce à ce dialogue avec leurs mères, prendront plus leur temps et seront à même de décider quand et comment elles se sentiront prêtes. Plus les mères diront à leurs filles que la sexualité peut être saine, moins celles-ci seront déstabilisées à l’adolescence. Car elles ont besoin de modèles féminins forts, pas seulement pour parler de sexualité, mais pour les accompagner et les guider tout le long de leur enfance et de leur adolescence.

Une partie du problème s’explique-t-elle par le fait que le rapport à la maternité est de plus en plus complexe ?

Le plus grand défi pour les mères d’aujourd’hui est de parvenir à combiner travail et vie de famille. Elles n’ont pas toujours le temps de parler avec leurs filles. C’est pourtant à l’adolescence qu’on a le plus besoin d’avoir de longues conversations avec ses parents. Les filles se tournent vers leurs mères quand elles ont des problèmes en amitié ou quand elles sont stressées. Or si la mère est tout le temps sous pression, son manque de disponibilité peut porter préjudice à l’enfant.

Face aux nouveaux défis que présente l’éducation des filles, quel doit être le rôle du père ?

Il joue un rôle crucial, car il aide sa fille à développer son estime de soi. Il est la toute première figure masculine de sa vie. Et, à travers lui, elle construira un modèle, le référent en fonction duquel elle choisira ses futurs partenaires. Tout cela se fait bien sûr de manière inconsciente.

Un père doit donc s’intéresser à sa fille et être impliqué dans son éducation. A l’adolescence, il devra lui expliquer qu’elle mérite d’être respectée. Si le père n’est pas présent, un grand-père ou même un professeur peut inculquer ces valeurs à un enfant. Quant aux mères célibataires, elles vont enseigner à leurs filles un autre type de leçon, tout aussi utile : qu’elles n’ont pas besoin d’un homme pour survivre. De façon générale, il est important d’avoir des figures masculines dans la vie d’une jeune fille, qui prendront soin d’elle et la respecteront.

Et qu’en est-il des garçons ? Ne sont-ils pas eux aussi soumis à une forte pression sociétale ?

Pour les garçons, les vrais dégâts sont causés par une surexposition à la pornographie. Si les parents ne prennent pas conscience de l’impact de ces images, leurs fils risquent de les intérioriser. Beaucoup de psychiatres voient aujourd’hui des cas de jeunes garçons incapables de parler à des filles, qui croient qu’une sexualité violente et sans tendresse est une sexualité normale. Pis, ils pensent que c’est ce que l’on attend d’eux.

Pourquoi pensez-vous que les filles sont plus difficiles à élever ?

Parce qu’elles sont plus complexes. Elles ont une conscience sociale beaucoup plus développée que les garçons – elles comprennent plus vite ce que signifie vivre en communauté, le rapport aux autres et les problèmes de société. C’est une bonne chose, mais, en contrepartie, cela les rend très anxieuses. Les filles ont besoin d’être entourées de modèles féminins plus âgés et avisés. Et, en tant que parent, nous devons d’abord nous remettre en question : beaucoup de mères ont eu elles-mêmes des pères absents et sont souvent rongées par l’incertitude, c’est ce qu’elles transmettent sans le vouloir à leurs filles. Mais il faut rester positif, ce livre n’est pas juste un signal d’alarme. Il incite les parents à renforcer l’éducation de leurs filles et à leur donner les outils suffisants pour qu’elles puissent s’adapter à tout type de situations dans leur vie d’adulte.

Raising Girls, de Steve Biddulph, Harper Collins, pas encore traduit en français.

Du même auteur : Elever un garçon, Marabout, 224 pages.

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