Psycho : La psychogénéalogie, décomposer le passé pour mieux vivre son présent

Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

La psychogénéalogie fait de plus en plus d’émules, que ce soit parmi les pros ou dans le grand public. L’idée : se replonger dans son histoire pour en extraire les secrets et blessures qui envahissent parfois la vie. Explications.

C’EST QUOI ?

Faites le test ! Pensez à une situation qui vous bloque actuellement sans que vous sachiez vraiment pourquoi… Demandez-vous quels événements de votre enfance ont pu vous faire ressentir une émotion similaire… Essayez de trouver un membre de votre famille qui a probablement perçu un jour la même chose… Vous avez une idée ? Vous venez de mettre en avant  » une répétition visible  » établie entre vos aïeux et vous. Reste maintenant à la décoder, l’apprivoiser, pour finalement reprendre le contrôle de votre vie. Voilà un court exercice pour faire comprendre la psychogénéalogie, suggéré par la psychologue Marie-Geneviève Thomas, dans un ouvrage sur le sujet qu’elle publie aux éditions Jouvence (*).  » Si l’on doit définir cette discipline, on peut dire qu’il s’agit de l’étude du vécu des parents, grands-parents, voire arrière-grands-parents, dans le but de mieux connaître notre héritage « , synthétise la thérapeute.

LES SECRETS EXISTENT POUR PROTÉGER AUTRUI. ILS DEVIENNENT NÉFASTES QUAND ILS GÉNÈRENT DES ÉMOTIONS NON EXPRIMÉES.

Derrière ce concept utilisé par de nombreux psys, une femme, Anne Ancelin Schützenberger. Psychologue française née à Moscou en 1919, elle sort dans les années 80 un livre qui deviendra un best-seller, Aïe, mes aïeux ! (*). Pour elle,  » nous continuons la chaîne des générations et payons les dettes du passé ; tant qu’on n’a pas  » effacé l’ardoise « , une  » loyauté invisible  » nous pousse à répéter, que nous le voulions ou non, la situation agréable ou l’événement traumatique, ou la mort injuste, voire tragique, ou son écho. « 

QUELS SONT LES PRINCIPES DE BASE ?

Psycho : La psychogénéalogie, décomposer le passé pour mieux vivre son présent
© ISTOCK

Cette  » loyauté invisible  » nous pousserait donc à agir inconsciemment, et pas toujours en phase avec nos aspirations personnelles.  » Cette dynamique nous amène à répéter ou réparer ce que nos ancêtres ont mal vécu, explique Marie-Geneviève Thomas. C’est une manière de les honorer, en leur ressemblant ou en agissant comme eux, pour raviver leur souvenir et rester connecté avec eux, même s’ils sont décédés.  » Et conserver ainsi le droit d’appartenance à la famille.

Cette  » fidélité  » peut dans certains cas mener – c’est une bonne nouvelle – à un véritable talent. Ainsi, une famille qui aurait connu moult déconvenues financières pourrait voir le petit dernier finir… comptable, pour résoudre le problème en quelque sorte. De même, une lignée dans laquelle un membre aurait perdu la vie suite à une maladie mal soignée pourrait pousser inconsciemment l’un des juniors à étudier la médecine. A voir évidemment si la carrière embrassée correspond bien à la personnalité de l’individu.

Mais hélas, le plus souvent, cette loyauté conduira à des comportements plus pesants. Ainsi, un couple qui perdrait un enfant et ne parviendrait pas à surmonter son chagrin plongerait les siens dans un deuil perpétuel, difficilement acceptable.

SE PLONGER DANS SON HISTOIRE EST UN FORMIDABLE LEVIER POUR RETROUVER UNE LIBERTÉ D’AGIR

La donne se complique encore lorsque ces épisodes tristes sont plombés d’un secret.  » A la base, ceux-ci existent pour protéger autrui. Mais ils deviennent néfastes quand ils génèrent des émotions non exprimées et ne permettent pas à la personne de savoir quelque chose dont elle a besoin pour se réaliser… Comme lorsqu’un père est parti mais qu’on cache aux gosses les raisons de son départ. Les enfants, en général, se posent beaucoup de questions et ont besoin de réponses.  » Et en la matière, le non-verbal joue un rôle crucial. Un geste, un silence seront interprétés par les kids, avec le risque que ceux-ci se créent leur film, fatalement mélodramatique.

À QUOI ÇA SERT ?

 » A butiner dans le jardin familial pour en faire son miel « , résume très joliment Anne Ancelin Schützenberger. Et Marie-Geneviève Thomas de préciser :  » Se plonger dans son histoire pour essayer de mieux comprendre les mystères qui entourent notre existence est un formidable levier pour retrouver une liberté d’agir, quand on ressent un blocage.  » C’est que, lorsqu’un événement du passé, refoulé ou non, est trop lourd à porter, il devient envahissant au point de tétaniser celui qui en est dépositaire. Une situation de malaise qui peut mener à la dépression, voire à l’extinction d’une lignée, si le poids de l’hérédité est insurmontable au point de ne vouloir l’infliger à son tour aux plus jeunes.

COMMENT SE LANCER ?

L’outil principal est le génosociogramme, soit  » une représentation affective imagée de l’arbre généalogique « , comme le définit Anne Ancelin Schützenberger, dans laquelle figurent les noms des descendants, mais aussi les principaux événements de leur vie (naissances, mariages, décès, maladies, divorces, déménagements…) et le type de relation – amicale, passionnelle, conflictuelle… – qui les unit.

Une montagne d’infos à récolter mais qui peut se gravir pas à pas, en débutant par soi, l’histoire de son prénom, sa naissance. Puis, en élargissant aux parents, grands-parents, fratries. Avant d’y intégrer progressivement les épreuves traversées et les liens entre personnes. Peu à peu, pourraient alors survenir d’apparentes similitudes dans le parcours des uns et des autres… qu’il faudra néanmoins prendre avec des pincettes pour éviter de faire de chaque coïncidence une piste de reconstruction personnelle.

CE QU’ON EN RETIENT ?

Si ceux qui la pratiquent assidûment, avec une expertise en psychologie, affirment que clairement, oui, il y a  » un syndrome d’anniversaire  » – par exemple une maladie qui se déclencherait le même jour, des années plus tard, qu’un événement malheureux vécu par un ancêtre -, libre à chacun d’y croire ou non. S’il est avéré que les membres de notre tribu ont une influence sur ce que nous vivons, d’une manière ou d’une autre, chacun pourra y puiser ce qu’il désire pour avancer sur son chemin… en conservant à l’esprit qu’on ne s’improvise pas thérapeute et qu’un suivi professionnel pourra à un moment s’imposer pour faire le tri entre les vraies et les fausses déductions ; et que, comme le disait la fameuse psychanalyste Françoise Dolto :  » Dans l’espace, comme dans le temps, l’être humain n’est jamais absolument autonome… mais n’est jamais non plus complètement déterminé.  »

« J’étais dépositiaire de ce drame « 

La biographe française Anne de Labouret, installée à Nivelles, raconte comment elle en est venue à la psychogénéalogie. Sans revendiquer une expertise en la matière. Témoignage.

« Je suis journaliste, j’ai travaillé des années pour Santé Magazine et je m’intéressais déjà aux récits familiaux. Puis, j’ai décidé de proposer à des anonymes d’écrire leur biographie, soit un véritable livre à transmettre à leurs proches pour laisser une trace. Et je me suis rendu compte, en me penchant sur leurs histoires, qu’il y avait un trou dans la mienne. Mon grand-père, résistant, est mort quand ma mère avait 3 ans. Son épouse s’est retrouvée veuve à 22 ans et n’a jamais été capable de parler de lui sans pleurer. Personne ne savait rien du papa, les mômes n’osant plus interroger leur maman sur le sujet. A un moment de ma vie, alors que je n’étais pas bien, j’ai découvert la psychogénéalogie, via Marie-Noëlle Maston (*). J’ai compris que j’étais  » dépositaire » de ce drame de la guerre et j’ai décidé de rédiger un bouquin privé sur cet aïeul. J’ai récolté deux cents photos et j’ai offert l’ouvrage à tous les descendants du couple. Ma tante de 70 ans n’était pas sûre que son père avait eu l’occasion de la voir avant d’être tué. Or, j’ai trouvé un cliché d’elle bébé dans ses bras. Ce fut libératoire pour tous. J’ai aussi rédigé une lettre adressée à cet homme, je l’ai brûlée et j’ai jeté les cendres dans une rivière. Ça peut paraître irrationnel, mais désormais, je dors comme un bébé. »

votrebiographiefamiliale.com

POUR ALLER PLUS LOIN

Aïe, mes aïeux, par Anne Ancelin Schützenberger, Desclée De Brouwer.

L’ouvrage de référence de la psychogénéalogie et de ceux qui la pratiquent.

Psychogénéalogie, l’héritage invisible et Pratique de la psychogénéalogie, construire son génosociogramme, par Marie-Geneviève Thomas, Jouvence.

Une synthèse concise et accessible pour les néophytes, complétée par un cahier pratique pour passer à l’action et construire l’arbre généalogique commenté.

Dépression. Et si ça venait de nos ancêtres ?, par Sylvie Tenenbaum, Albin Michel.

Un angle neuf pour aborder cette pathologie.

Psychogénéalogie, relation à l’argent et réussite, par Marie-Noëlle Maston, éditions Quintessence.

Un bouquin facile à aborder pour se convaincre d’investiguer du côté de son passé.

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