Que révèlent nos cauchemars?

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Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Manifestation nocturne de nos états d’âme, le cauchemar est une forme de rêve particulièrement angoissante mais néanmoins essentielle au traitement de l’information. Il devient toutefois problématique quand sa récurrence a des répercussions négatives sur notre qualité de sommeil et sur notre quotidien.

Un soir de pleine lune, vous errez dans une sinistre forêt où règne un silence absolu. A l’ambiance peu rassurante s’ajoute une curieuse silhouette qui semble vous suivre. Prudent, vous décidez d’accélérer. L’individu vous emboîte aussitôt le pas et ne cache plus son dessein : vous attraper. A mesure qu’il se rapproche, vous sentez l’angoisse vous gagner un peu plus. Et à l’instant où sa main se saisit de votre épaule, vous vous réveillez en sursaut. Soulagement, il ne s’agissait que d’un cauchemar…

Phénomène fréquent et physiologique, le cauchemar est un rêve désagréable qui survient durant la phase de sommeil paradoxal et qui génère un éveil, contrairement à ce qu’on appelle un mauvais rêve. Par ce fait, il est encodé dans la mémoire à long terme, ce qui permet de se souvenir de son contenu le lendemain. Lorsqu’il n’a pas de conséquences négatives sur la vie éveillée, il fait partie des manifestations normales du sommeil et est essentiel au traitement de certaines informations. Mais pourquoi cauchemarde-t-on ? D’après Roland Pec, licencié en psychologie, spécialiste des troubles du sommeil et responsable de l’unité de sommeil à domicile Domo SleepWell, au Centre européen de psychologie médicale PsyPluriel, à Bruxelles,  » le rêve est un outil morphéique qui permet de traiter nos états de mal-être tels que l’angoisse, l’abattement, le deuil, la jalousie, l’envie…  » Si nous nous interdisons souvent d’exprimer ceux-ci en journée, nous les traitons pourtant lorsque toutes nos barrières mentales sont tombées, c’est-à-dire pendant notre sommeil.  » Dans le cauchemar, les ressources du scénario onirique ne parviennent pas, par elles-mêmes, à achever le traitement : l’éveil est alors la seule échappatoire, indique-t-il. Sans ce réveil providentiel, l’angoisse se transformerait en terreur, une souffrance insupportable, une mort mentale. Quelque part, le réveil est un mécanisme de survie mentale.  » C’est pourquoi le cauchemar, et surtout l’éveil qui en découle, est considéré comme un échec du traitement d’une information négative, une sorte de fuite.

Un traumatisme ancien

De la même manière que nous n’accourons pas chez le neurologue à la moindre petite migraine, les cauchemars occasionnels ne nécessitent pas de prise en charge médicale et font partie de ce que l’on appelle communément les  » petits maux quotidiens « . Ils sont considérés comme pathologiques uniquement lorsqu’ils surviennent plus d’une fois par semaine ou lorsque leur contenu génère une anxiété importante ou un sentiment de détresse. Ces derniers concernent 2 à 6 % de la population. La récurrence est d’ailleurs souvent liée à une expérience traumatique ou une peur ancienne ancrée chez la personne.  » Quelqu’un qui vit très bien actuellement mais qui a été, par exemple, victime d’inceste trente ans plus tôt, pourrait encore en faire des cauchemars car il s’agit d’un traumatisme, explique le docteur Ivan Godfroid, psychiatre et chef du service de psychiatrie du CHU de Charleroi. Les traumatismes très profonds provoqués durant l’enfance et l’adolescence ne seront jamais totalement résolus et resteront donc une source possible de cauchemars. Toutefois, dans ce cas-ci, ce n’est que l’un des nombreux symptômes du patient car on peut difficilement imaginer quelqu’un qui ferait d’horribles cauchemars presque toutes les nuits et qui se porterait totalement bien en journée « , précise-t-il. Si l’inceste est un cas extrême, des évènements d’apparence sans gravité peuvent aussi profondément nous marquer, surtout lorsqu’ils surviennent dans la petite enfance.

Alors qu’elle avait 10 ans, Stéphanie, maintenant maman d’une quarantaine d’années, a longtemps été confrontée, la nuit, à une même histoire. Elle n’a compris son origine que plus tard, suite à une conversation avec ses parents,  » je rêvais que j’étais en ville avec des amis et qu’une fois le soir tombé, il fallait rentrer à la maison. Nous montions donc à bord d’une voiture pour remonter ma rue, mais ce n’était jamais moi au volant, et une fois à hauteur du clos où j’habitais à l’époque, impossible de tourner !, s’exclame-t-elle. Bizarrement, il était aussi impossible de faire demi-tour, il fallait à chaque fois retourner au point de départ en ville. Et ça recommençait à l’infini… J’ai fait ce rêve plein de fois et je me réveillais toujours très angoissée « , confie-t-elle. Un jour pourtant, l’issue s’est avérée tout autre.  » Une nuit, je ne sais pas pourquoi, c’est moi qui conduisais et j’ai réussi, je suis rentrée. Je n’ai plus jamais refait ce rêve et ça m’a soulagée comme si j’avais réglé un vrai problème, assure la quadra. J’ai appris plus tard qu’au cours d’un déménagement alors que je n’étais encore qu’un bébé, mes parents ont pris tout ce qui restait pour faire le dernier trajet… sauf moi. Bien entendu, ils sont rapidement revenus me chercher. Mais ils ont toujours pensé que c’était à cause de ça que je pleurais quand ma maman était en retard pour venir me chercher à l’école, que je regardais toujours le chemin quand on allait quelque part, pour pouvoir rentrer si on m’oubliait « , conclut-elle.

Révélateur de nos inquiétudes

Bien que le cauchemar soit par définition déplaisant, il permet toutefois d’attirer notre attention sur certains sujets d’inquiétude que nous pouvons chercher à refouler lorsque nous sommes éveillés. L’activité cognitive ne s’interrompt pas durant les périodes de sommeil et quand le libre arbitre est déconnecté, il est plus fréquent que nos petits tracas reviennent à la surface.  » Nous traversons tous des cycles de vie, avec différentes étapes qui équivalent à des crises, développe Roland Pec. Les cauchemars peuvent nous signaler que nous sommes en train de traverser une de ces crises… que nous ne voulons pas reconnaître, ou que nous ne parvenons pas à résoudre. A ce moment-là, des cauchemars récurrents peuvent être un signal d’alerte. « 

Nadine, sexagénaire et enseignante retraitée, en fait depuis quelques années la désagréable expérience :  » Pendant ma carrière, je n’ai jamais fait le moindre cauchemar en rapport avec ma profession. Et pourtant, depuis que je suis à la retraite, je fais constamment le même rêve où je me vois en train d’errer dans les bâtiments du collège où j’exerçais mon métier, s’écrie-t-elle. Je ne parviens pas à trouver le local de la classe à laquelle je dois donner cours, et j’ai beau remuer ciel et terre, visiter tous les étages… Impossible de savoir où je dois me rendre ! Je passe donc l’heure entière à déambuler dans les couloirs sans jamais parvenir à rejoindre ma classe. A chaque fois, je me réveille complètement paniquée « , déplore-t-elle. Nadine croit toutefois connaître le déclencheur :  » Il y a quelques années, j’ai rendu visite à une ancienne collègue qui était mourante. Elle était très amère lors de notre discussion et s’est permise certaines réflexions comme quoi j’étais souvent agressive, sur la défensive, lorsque je travaillais encore au collège… Cette confidence m’a totalement prise au dépourvu !, s’exclame-t-elle. Surtout que je n’ai jamais eu le sentiment de me comporter de la sorte. C’est à la suite de cette rencontre que j’ai commencé à faire ce rêve. Je pense que sa réflexion a éveillé quelque chose en moi. Depuis, je suis confrontée à des questions existentielles, je me demande si j’ai été un bon prof, si j’ai rempli ma fonction correctement, si j’ai mené une belle carrière… « , avoue l’ancienne enseignante.

Rêver sur les rêves

En cas de cauchemars à répétition, il est fréquent d’adopter d’autres habitudes qui affectent la qualité du sommeil : reporter l’heure du coucher, laisser la lumière allumée ou encore s’endormir sur le canapé. Toutes ces conséquences font en sorte que l’on dort moins et moins bien. Pendant la journée, on devient aussi plus sujet à de la fatigue, des problèmes de concentration, des sautes d’humeur ou encore de l’angoisse. Certaines méthodes thérapeutiques peuvent cependant nous apprendre à transformer consciemment le contenu de nos cauchemars en rêves agréables, via des exercices à pratiquer avant le coucher. Roland Pec appelle cela  » Rêver sur les rêves. En consultation, je pousse le patient, généralement en hypnose, à faire du rêve éveillé et à introduire un élément dans la narration qui permettra de transformer le cauchemar en rêve agréable. Tant qu’un cauchemar récurrent ne trouve pas de dénouement favorable, il risque de se reproduire indéfiniment « , développe l’expert. Imaginez : depuis plusieurs semaines, vous êtes confronté chaque nuit au même cauchemar dans lequel vous vous faites agresser par un individu armé d’un couteau. En théorie, il vous suffirait d’imaginer que ce couteau ne soit qu’un jouet et que l’un de vos amis vole rapidement à votre secours, faisant fuir votre assaillant. Vous voilà sauvé, et prêt à poursuivre votre nuit en toute sérénité. Toutefois, comme le précise Roland Pec,  » cette méthode ne fait absolument pas appel à l’interprétation « .

Apprendre à décrypter les scénarios rencontrés lors de notre sommeil peut d’ailleurs être particulièrement tentant. Nombre de livres destinés à cette pratique ont littéralement envahi le marché depuis plusieurs années. Ainsi, si l’on en croit certains d’entre eux, être témoin d’un incendie lorsqu’on rêve serait soit une alerte face à un terrible danger, soit le signe d’une passion dévorante. Toutefois, il est impossible de leur attribuer un sens commun applicable à l’ensemble des rêveurs.  » Chercher à décrypter la signification des rêves est un processus très hasardeux, précise le docteur Godfroid. Il consiste à déchiffrer quelque chose d’irrationnel en l’enfermant dans une grille de lecture rationnelle. Alors que le rêve est justement ancré dans notre histoire et notre développement.  » Les interprétations globales relèveraient ainsi davantage de la caricature. Si on considère le cauchemar comme une sorte de message que l’on s’envoie à soi-même, il revient à chacun de déchiffrer leur portée et d’explorer leur signification. Alors la prochaine fois que vous vous tiendrez face à ce brasier lors d’une nuit agitée, posez-vous la question : que représente-t-il dans votre réalité ?

Texte Morgane Denis

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