Bienfaits et vertus de la marche urbaine

Bruxelles Grand Place
Stagiaire

En essor depuis le confinement, la marche urbaine fait des émules en Belgique, comme ailleurs. Les bienfaits évidents de cette activité sur la santé physique et mentale ne sont plus les seuls aspects qui séduisent, bien au contraire. Découverte du patrimoine, lutte féministe ou exploration artistique… Arpenter la ville à l’échelle humaine a de nombreux avantages.

La pratique de la marche urbaine a commencé à prendre forme dans les années 80, mais c’est seulement en 2010 que le terme « sentier métropolitain » est officialisé par un collectif français portant le même nom. Son objectif? Rendre l’espace public accessible et pérenne, à travers l’aménagement urbain, le tourisme et l’écologie.

En Belgique, l’ASBL Tous à Pied identifie depuis 2004 les points forts et les points faibles des parcours, chemins et sentiers belges. Selon la directrice Anna Tinebra, la marche urbaine est un réel outil de liberté : « En explorant sa propre ville, on se réapproprie l’espace public : il existe des obstacles (trottoirs étroits, mauvaise accessibilité aux piétons et aux fauteuils roulants, pollution) mais la recherche de réaménagement urbain fait partie de nos missions. »

Dans cet élan, l’association a décidé de promouvoir le principe « STOP » afin de favoriser la présence des piétons dans l’espace public. Ce concept provient du travail sur la mobilité du Dr. Jan Korsmit, universitaire néerlandais qui a imaginé cet acronyme dans les années 80. Ce dernier prône, en néerlandais, la hiérarchisation des différents modes de transport, dans cet ordre-ci : les piétons (Stappers), les cyclistes (Trappers) les transports en communs (Openbaar vervoer) puis les voitures (Privé vervoer). Au travers du lobbying politique, l’association a réussi à faire reconnaître le principe STOP auprès des trois grandes Régions belges : « En ville, le piéton est vulnérable, et on est tous piétons à différents niveaux, c’est donc dans l’intérêt de tous que le principe STOP s’impose. » On le retrouve en effet au coeur des réflexions dans les Plans de mobilité de plusieurs villes (Gand, Bruxelles…). Et il a intégré la Déclaration de politique régionale wallonne en 2019.

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La particularité de la marche urbaine, par rapport à celle en pleine nature, est qu’elle prend place dans des espaces qui, à première vue, n’invitent pas à la détente et à l’exploration. Le plus souvent, les déplacements périurbains sont rapides et dédiés aux courses ou aux trajets pour aller au travail : « On se déplace d’un point A à un point B, sans vraiment faire attention à ce qui nous entoure, observe Anna Tinebra de l’association Tous à Pied. Quand on pense à la marche, on imagine des espaces verts et bucoliques, mais il y a tout autant de bienfaits à marcher dans l’espace urbain. » D’autant qu’au-delà de l’aspect santé, se balader dans les rues de nos cités apportent des bénéfices insoupçonnés qui satisferont les envies d’aventure de bon nombre de citadins.

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Patrimoine et (re)valorisation territoriale

Ainsi, marcher dans la ville peut se révéler être une activité étonnante et grandement culturelle. A Charleroi, par exemple, le chemin de la Boucle Noire fait partie des randonnées touristiques les plus connues. Depuis 2016, cette marche exploratoire péri-urbaine propose de redécouvrir la ville sous un angle historique et culturel, et amenant à apprécier ses origines industrielles.

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A l’origine de ce tracé se trouvent Micheline Dufert et Francis Pourcel, fiers Carolos et anciennes stars du rock dans les années 70 et 80 avec leur groupe Kosmose. Leur passion pour l’histoire populaire et industrielle de leur ville les a poussés à créer ce parcours exploratoire, en association avec la ville. Cheminant sur 22 km, le circuit participe à la revalorisation du territoire et du patrimoine du Pays Noir, connu pour ses usines abandonnées et ses terrils, marqueurs paysagers emblématiques. En longeant la Sambre, les marcheurs partent à la découverte de paysages industriels surprenants, aux allures de scènes post-apocalyptiques, parfait pour les amateurs de science-fiction et de punk rock : une playlist made in Charleroi, concoctée par Micheline et Francis eux-mêmes, a été ajoutée à l’itinéraire, disponible sur le site cheminsdesterrils.be.

D’autres marches patrimoniales et urbaines existent également dans les autres grandes cités en Belgique: le temps d’une journée, Gand et ses rues pavées invitent à partir à la découverte des nombreuses cathédrales et églises qu’elle abrite en son centre.

Passionné de mode? L’office de tourisme d’Anvers offre un parcours qui retrace les bâtiments, boutiques et endroits marquant l’histoire de la capitale de la mode belge.

Et si vous êtes à la recherche d’espaces verts dans la ville, les nombreux jardins et parcs de Bruxelles (plus de 40 !) sont là pour un moment romantique et hors du temps. Sans oublier les parcours architecture que nombre d’associations proposent à travers la capitale.

Marche en lutte

Partir à la recherche du patrimoine de sa ville est une bonne chose à faire pour enrichir sa culture générale, mais s’intéresser au matrimoine de sa ville l’est encore plus ! L’association « L’Architecture Qui Dégenre » en a fait sa mission principale depuis trois ans. Sous la direction d’Apolline Vranken, architecte diplômée de l’Université Libre de Bruxelles, l’association propose des marches exploratoires féministes dans la capitale.

Selon elle, le capital architectural de la ville est observé sous un prisme « beaucoup trop masculin ». Souhaitant mettre les femmes à l’honneur, les balades retournent sur les traces historiques des bâtiments où l’impact des femmes a été grandement sous-estimé, et parfois même effacé : « Nos visites guidées sont toujours sold-out en plus ou moins 48 heures, il y a une vraie demande de la part de femmes qui s’intéressent à leur matrimoine, et qui au travers de la marche se réapproprient l’espace public. »

Ce dernier prime d’ailleurs dans le travail d’Apolline Vranken : « Quand il est question de circulation des femmes dans l’espace public, le discours sécuritaire prône : oui, l’espace public n’est pas fait pour nous, mais ce même discours maintient les personnes vulnérables (femmes cis et transgenres, travailleuses du sexe, personnes non valides) en dehors de l’espace public, tout en soutenant un agenda politique parfois xénophobe. Finalement, le maintien de la peur est voulu, et les marches exploratoires féministes ont aussi pour but de briser cette peur d’accéder à l’espace public. » A l’occasion des journées du matrimoine, l’association organise des marches exploratoires féministes les 24, 25 et 26 septembre 2021(www.matrimonydays.be).

D’autres associations souhaitent également mettre en lumière les difficultés rencontrées par les femmes dans l’espace public : à titre d’exemple, les trottoirs étroits rendent compliqués les déplacements des mères de famille en poussette, ou encore celui des femmes ayant la charge des courses et du transport à pied de sacs encombrants. Les trajets la nuit sont aussi problématiques et anxiogènes quand on est une femme seule dans la rue : éclairage urbain déficient, chemins étroits, sentiment de malaise… Autant de questions que l’association féministe Garance notamment aborde lors de marches exploratoires dédiées à la réflexion sur le réaménagement de la ville dans l’optique de la rendre plus accessible à toutes.

L’art de la marche

Enfin, la marche urbaine peut aussi revêtir un aspect artistique, se rapprochant alors de la performance… Le centre-ville est peut-être un endroit bruyant, et les sons des klaxons et des moteurs de voitures font partie des bruits parasites qui dérangent. Mais Elena Biserna, historienne de l’art et chercheuse en arts sonores, a, elle, fait de ce brouhaha une source d’inspiration. Commissaire à l’exposition interactive Walking From Scores, qui a eu lieu au CIVA à Bruxelles cet été, elle s’est intéressée à la marche sous le prisme du son quand elle s’est aperçue que les arts sonores étaient exclus du champ de recherche artistique autour de la marche : « Les dadaïstes et les surréalistes ont abordé le sujet de la marche dans les arts plastiques, mais très peu de choses ont été faites dans le cadre de l’art musical ou performatif. La marche est un acte qui, avant tout, amène les artistes à sortir des lieux de l’art et à s’engager avec la sphère publique et sociale : mes expositions invitent le public à explorer les sons en marchant, et c’est très important pour moi qu’il y ait une diversité de personnes lors de mes workshops. »

L’exposition est en réalité une collection de partitions graphiques, verbales et d’instructions qui questionnent les sonorités de l’espace urbain : « J’ai eu l’idée de ce projet à Bologne en Italie, lors d’un festival auquel j’ai été invitée en tant que chercheuse en arts sonores. Etre maître de conférence ne m’intéressait pas, alors je me suis insérée dans les maillages du festival et j’ai utilisé les espaces-temps entre chaque performance : j’ai donc utilisé les rues de Bologne comme médium artistique. » Depuis, elle a pu explorer Milan, Rome, Valence, Saint-Denis et Bruxelles, avec une prochaine escale pour Amsterdam en juin 2022. Selon elle, la marche exploratoire et sonore est accessible à tous ceux qui veulent bien se prêter au jeu : « Actuellement, je travaille sur la portabilité du projet et je suis en pleine écriture d’un livre à emporter partout avec soi, pour que chacun puisse explorer et performer dans la ville. « 

Plus largement, la marche urbaine n’est qu’un nouveau moyen d’observer le monde qui nous entoure : le quartier qu’on traverse chaque jour peut se transformer en un vrai territoire de chasse aux trésors, rien qu’en levant les yeux pour observer l’architecture des bâtiments, ou même le travail des street artists de notre voisinage. Munis d’un peu de curiosité, l’activité permet à celles et ceux qui en ressentent le besoin de sortir d’un quotidien effréné : arpenter sa ville en pleine conscience, c’est aussi s’accorder un retour aux sens et une reconnexion précieuse au moment présent.

Par Sirine El Ansari

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