Trentenaires : s’engager sans se précipiter

On dit la sempiternelle génération Y désenchantée et inconstante en amour, mais il se pourrait bien que ce soit exactement l’inverse. Notre enquête.

Cheri Messerli et David Rager ont une trentaine d’années. Ils forment un couple à la ville comme au travail. Un duo d’artistes américains, installé depuis quelques années à Paris. Bien plus attirants que les vrais-faux couples des campagnes de The Kooples, ils sont une pub vivante pour la vie à deux. Pris en photo sous toutes les coutures dans leur appartement du IXe arrondissement, avec leur chien, ils sont la coqueluche des blogs de lifestyle, friands de leur exquise bohème, qui respire le naturel. Et, lorsqu’ils se sont mariés, il y a quatre ans, ils ont illustré l’événement avec force photos sur leur blog. Une fête cousue main dans leur jardin, qui donnait illico envie de suivre leur exemple. Ils sont emblématiques de leur génération : débrouillards, slashers (cumulant les activités), habitués à ne pas avoir de patron et peu enclins à construire une carrière à la façon de leurs parents. Et, dans le même temps, engagés dans une vie de couple solide, dont ils ont l’air fiers.

A l’autre bout du spectre, on garde en tête les images de The Future, le dernier film (2011) de la réalisatrice indépendante américaine Miranda July. L’histoire d’un jeune couple ensuqué dans sa routine, incapable de communiquer ou de se battre, happé par les écrans, dont la principale activité est de traîner sur Facebook et YouTube. Des trentenaires comme il y en aurait plein, que la cinéaste capte à un moment diffus mais décisif de leur vie – cet instant où il faut accepter qu’être adulte, c’est avancer et s’engager.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.


La génération Y, dont les trentenaires d’aujourd’hui forment la tranche la plus âgée, c’est aussi cela. Paradoxale, elle l’est, bien sûr. Et insaisissable ? Pour Monique Dagnaud, chercheuse en France, au CNRS, et auteur de Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux : de la dérision à la subversion (Presses de Sciences Po), « les nouvelles générations convoitent des valeurs comme l’amour, le couple, la descendance, elles croient à la fidélité et ont surtout pour priorité de réussir vie privée et vie professionnelle dans le même temps ». Et pourtant, on les dit incapables de s’engager sur la durée, paniquées, voire paralysées, par le divorce de leurs aînés. Alors, en effet, les études et les témoignages ont beau se multiplier, ils ont tendance à se contredire, sinon à s’annuler. Pour autant, quelques grandes lignes reviennent sans cesse dans la bouche des premiers concernés et de leurs – nombreux – exégètes !

Les trentenaires ne sont pas dupes…

Comme le rappelle Myriam Levain, cofondatrice de Cheek – le pure player féminin de la génération Y -, « ce n’est pas tant qu’ils ne croient pas au couple, ce serait même le contraire, mais plutôt que le couple est en chantier… Et, pour l’instant, aucun modèle n’a vraiment succédé au principe traditionnel, remis en cause par le taux important de divorces ».

L’égalité hommes-femmes a aussi apporté son lot de difficultés : chacun doit s’épanouir individuellement, ce qui complique les négociations. Spécialiste du couple et des relations familiales, le sociologue François de Singly développe l’analyse : « Aujourd’hui, les jeunes générations prennent, consciemment ou non, comme modèle de référence pour mener leur vie amoureuse celui de l’amour occidental et non celui du conte de fées moral. Elles demandent, dans un univers qui n’est pas nécessairement tendre, un petit monde où elles pourront être enfin elles-mêmes, sans crainte de jugement, où, idéalement, la valeur de l’amour ne sera pas équivalente à la valeur sociale, monétaire des deux personnes. »

… et ils sont plus sélectifs

« Bien sûr qu’on tombe amoureux comme nos parents et nos grands-parents, mais pour nous, plus encore que pour les générations qui nous ont précédés, sentiment amoureux ne rime pas avec engagement institutionnel », affirme Johanna, 33 ans et fraîchement séparée, après quatre ans de vie avec son compagnon. A 30 ans, on ne veut plus confondre les deux; ce qui ne signifie pas qu’on ne rêve pas de faire concilier les deux!

François de Singly le confirme : « Les sentiments, l’amour, l’entrée dans la vie conjugale, les enfants sont des étapes qui sont chez eux très différenciées, contrairement au modèle dominant passé. » Ce qui distingue cette génération, c’est qu’elle ne veut pas précipiter les choses – tout en étant capable de claquer la porte d’un boulot du jour au lendemain, encore un paradoxe. Elle ne veut pas être enferrée trop vite dans les contraintes de la vie domestique, dont elle ne sait que trop bien à quel point elles usent les couples.

Les trentenaires veulent aussi prendre leur temps, « faire le tri », comme le dit, pragmatique, Stéphane, 31 ans, tout jeune père, en couple depuis deux ans seulement. « J’ai eu deux histoires de quelques années avant de rencontrer ma compagne. Ce qui les différencie, ce n’est pas la force des sentiments, c’est plutôt le fait que je cherchais à partager des centres d’intérêt forts et que j’attendais de rencontrer quelqu’un qui me laisse mon espace, avec ma personnalité. » Un propos que le sociologue résume ainsi : « Ils veulent que la reconnaissance de l’amour ne se termine pas en un enfermement identitaire. Ils rêvent d’un amour qui soit compatible avec le développement personnel. Ils continuent ainsi la grande aventure de l’Amour. »

Les trentenaires, nouveaux romantiques ? Pas impossible… On dit depuis des années le mariage en perte de vitesse, voire ringard. Mais il connaîtrait un sérieux lifting. « C’est un peu ridicule à admettre, mais c’est vrai que depuis le mariage de Kate Moss – qui reste pour nous la fille la plus cool de la planète -, soudain, ça a gagné en fraîcheur », dit Johanna, en plaisantant à moitié. Si la nuptialité connaît une reprise en Belgique – avec 42 198 mariage, l’année 2012 a connu une progression de 3 % par rapport à 2011 -, elle est surtout considérée comme un événement sincère, et plus un passage obligé pour faire plaisir aux parents. Sur la blogosphère, le mariage a ses adeptes, de plus en plus nombreux, pas autant que la cuisine, mais pas loin !

Pour Maëlis Jamin-Bizet, créatrice du blog La Fiancée du panda et coauteur, avec Anne-Sophie Michat (du blog Weddingland), de Oh oui ! On se marie (Solar), le mariage en tant que fête est à nouveau très prisé des trentenaires, car il offre une vitrine, « cruciale à notre époque où tout le monde se met en scène sur les réseaux sociaux ». Un mariage à 30 ans, c’est donc l’occasion d’être hyperactif sur Instagram ? « On montre à son entourage, au sens large, qu’on est prêt à s’engager, que ce n’est pas qu’une histoire de plus. C’est un élément supplémentaire du storytelling, qui est tellement constitutif de notre génération. » Romantisme, autopersuasion ou self-branding ? Un peu des trois, sans doute. La preuve qu’à 30 ans on n’est pas à un paradoxe près…
par Elvira Masson

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content