Féministes au masculin 2/2: « Un homme pro-féministe est doublement avantagé »

Alexandre Delca
Alexandre Delca
Stagiaire

L’éducation et le respect: telles sont les deux valeurs brandies par les « hommes féministes » que nous avons rencontrés. Des cours, un documentaire, un projet artistique… Tous les moyens sont bons, selon eux, pour soutenir le mouvement féministe de manière directe ou indirecte. Mais l’objectif est clair: sensibiliser les deux sexes.

« Les écouter, parce que personne ne le fait »

Alexandre Delca, étudiant à l’IHECS et membre du groupe Take care of Ada, un projet documentaire qui dénonce la situation précaire des travailleuses domestiques en Belgique.

A travers le téléphone, Alexandre se confie : « J’ai grandi dans une famille où il n’y avait que des femmes, mais quand tu es petit, tu ne sais pas qu’il existe des causes ou des luttes. C’est plus tard que j’ai appris ce qu’était le féminisme, et le soutenir a été pour moi une évidence. C’était logique. Je l’étais depuis toujours. »

Féministe d’un côté, poète de l’autre: cet étudiant en master ASCEP (animation sociale, culturelle et éducation) à l’IHECS choisit un jour de s’intéresser « aux cas presque invisibles » via la voie d’un documentaire. Un travail réalisé avec d’autres élèves, chargé de traduire le mal-être profond de notre société où les femmes « subissent les trois niveaux de discriminations majoritaires : le capitalisme, le racisme, mais aussi la discrimination genrée ».

Les injustices observées par Take care of Ada visent les travailleuses domestiques. Une activité majoritairement exercée par des femmes qui, parfois, n’ont pas de papiers. « On peut donc un peu plus les exploiter. On parle ici d’esclavage moderne, tant ces personnes vivent des choses horribles dont on ne parle jamais. C’est même toute la profession qui est invisibilisée et toujours vue sous un angle péjoratif.

L’objectif du documentaire est donc clair : lancer la discussion à propos de ce métier et ses dérives, tout en apportant de l’aide aux femmes et en informant les personnes sensibles à la cause. Leur donner le temps de s’exprimer et de partager leurs vécus. A cet égard, l’écoute est importante et l’homme doit y jouer un rôle, selon l’étudiant : « Il doit être un soutien. Toute cette masculinité toxique doit s’arrêter, car c’est cela qui crée la discrimination envers les femmes. Je pense que l’homme doit apprendre à écouter, à se mettre à leur place, à faire preuve d’empathie et de bienveillance. »

Je suis née d’une femme, et j’ai donné naissance à une femme

Denis Meyers
Denis Meyers© DR

Denis Meyers, typographe de formation et artiste à plein temps, évoque son engagement et son projet baptisé La voix des femmes.

Passionné de mots et de lettres, Denis Meyers est à la fois fils, père et compagnon. « Je partage littéralement le quotidien des femmes, je vis avec leurs problèmes, je vis avec leurs corps, leurs menstruations, leurs sexualités ». L’artiste fait de son mieux pour préparer sa fille de 13 ans au monde extérieur, en lui apprenant à se défendre à la fois verbalement et physiquement.

Un travail de transmission, aussi une réflexion sur lui-même : « Parfois, je lui enseigne juste des gestes liés à la galanterie. Théoriquement, c’est quelque chose qui se fait entre adultes, mais je pense que je dois lui montrer la voie, par exemple en lui ouvrant la porte ou en étant prévenant avec elle. Pour qu’elle voit comment je me comporte avec les autres femmes. »

L’implication de Denis Meyers dans la cause féministe n’est pas récente puisqu’il a déjà travaillé avec le photographe belge Eric Ceccarini sur une partie du projet The painters project, pour lequel il a peint sur des modèles nus le texte de Louis Hémon La belle que voilà. Il a aussi transformé son travail Remember souvenir, sur les murs du bâtiment Solvay, en thérapie personnelle suite à la séparation avec la mère de ses enfants.

Aujourd’hui, à travers son nouveau projet, La voix des femmes, il souhaite donner la parole à celles qui éprouvent le besoin de se réapproprier leurs corps après une histoire difficile. Sa façon à lui de leur montrer qu’il tient à elles. « Et qu’elles se sentent belles, avec un photographe ou avec un artiste, j’ai vraiment envie que ce soit quelque chose de positif. » L’idée : faire voyager un message, de la part de femmes à d’autres femmes qui auraient vécu des expériences similaires, et de pouvoir se dire « moi, il m’est arrivé ça et j’ai réagi comme ça, mais il y a moyen de réagir différemment ».

Denis Meyers souhaiterait aussi joindre chaque histoire, chaque modèle à un mouvement, une association particulière, pour apporter des réponses et un soutien à chacune des femmes concernées. « Le jour où ce travail sera résumé dans une expo, dans un projet ou dans un livre, j’aurai envie de le partager avec les femmes qui m’entourent, en disant notamment à ma fille « Ecoute, lis-le, il y a des expériences positives et négatives, il y a des expériences horribles, mais il y a moyen de s’en sortir à chaque fois ».

« Un homme pro-féministe est doublement avantagé »

Mathieu de Wasseige
Mathieu de Wasseige© DR

Mathieu de Wasseige, professeur à l’IHECS et à l’ULB, demande aux hommes de sortir de leur zone de confort et de réfléchir aux rapports de domination en vigueur.

Mathieu de Wasseige commence l’entretien en nous disant que « les hommes vont bien ». Selon lui, il fait bon vivre pour un homme dans ce monde patriarcal. Par contre, s’affirmer en tant que féministe reste culturellement moins courant pour les hommes belges. Au contraire des Etats-Unis, par exemple, où les profs et les intellectuels progressistes ont moins peur de s’avancer sur ce terrain, « peut-être parce que le pays est beaucoup plus polarisé que le nôtre ».

Les hommes ne sont pas là pour protéger les femmes ou pour les sauver. On ne nous a jamais demandé une telle chose, et ce serait hyper-paternaliste et hyper patriarcal de se dire qu’on doit absolument aller aider les femmes à avoir plus de droits

L’égalité des genres, notre interlocuteur la revendique notamment suite à des expériences très personnelles : « J’ai des souvenirs d’enfant, je ne sais pas si c’est lié… Avant d’être chauve, j’avais des cheveux roux, et à l’école primaire, il m’est arrivé régulièrement de me faire rejeter pour cette simple couleur de cheveux. » Plus tard, son père a également servi d’élan : « Il était très investi dans les questions de justice sociale, donc j’ai toujours été marqué par toutes formes d’inégalités. Pour moi, la question de genre en est une énorme. »

La thèse de doctorat de Mathieu de Wasseige traduit son intérêt sur le sujet, puisqu’il s’y attaque aux « représentations du genre et de la sexualité dans les séries télévisées ». C’est durant cette recherche qu’il constate la différence de traitement entre les hommes et les femmes dans la fiction, hautement symbolique de l’évolution de nos sociétés. Il se spécialise alors dans l’étude des genres : « J’ai continué à croiser les gender studies et les television studies, parce que c’est à la fois fascinant et important ».

A l’IHECS, il crée un cours d’introduction aux études sur le genre et un cours au certificat genre et sexualité à l’ULB. Selon lui, pour faire avancer les choses, il faudrait effacer les rapports de domination et privilégier une co-construction, « pour plus de justice entre les êtres humains. Les hommes ne sont pas là pour protéger les femmes ou pour les sauver. On ne nous a jamais demandé une telle chose, et ce serait hyper-paternaliste et hyper patriarcal de se dire qu’on doit absolument aller aider les femmes à avoir plus de droits ». Une évolution concertée, pensée, commune et juste : et si c’était la meilleure façon d’avancer, plutôt que de créer des combats ?

Par Texte Myriam Karrout

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