À la maison Bocuse, comment évoluer tout en gardant l’esprit de « Monsieur Paul »

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Le sous-chef français Maxime Delangle (au centre) travaille dans les cuisines du restaurant de l'Auberge de Collonges, à Collonges au Mont d'Or, le 26 janvier 2024. L'auberge rénovée rend hommage au regretté chef français Paul Bocuse, mais à l'intérieur, le rythme de la cuisine a été repensé et la carte revue pour refléter les goûts d'aujourd'hui, alors que le restaurant établi fête son centième anniversaire. © JEFF PAChoudt/AFP via Getty Images

Devant l’auberge rénovée surplombée d’un coq doré, une statue de bronze et une « fresque des grands chefs » honorent le célébrissime chef français Paul Bocuse, mais en cuisine, le rythme a été repensé et la carte revue aux goûts du jour.

Le « menu du centenaire » (370 euros par convive) conçu pour célébrer l’installation en 1924 des grands parents de Paul Bocuse à Pont de Collonges, près de Lyon, dans le centre est de la France, mixe le présent et le passé: des « plats d’anthologie » comme la volaille de Bresse entière cuite dans une vessie de porc côtoient des créations récentes, à l’instar des quenelles de homard sauce champagne.

« Ca n’a pas été simple d’aller dans la nouveauté tout en gardant les codes », confie le chef pâtissier Benoît Charvet, 41 ans, recruté en 2019, après le décès du fondateur de la Nouvelle cuisine, qui régenta sa maison jusqu’à son dernier souffle.

« Qu’est-ce qu’aurait dit Monsieur Paul? »

Parmi les codes « essentiels », le traditionnel chariot à dessert. Du côté des nouveautés: des « desserts plus contemporains avec beaucoup plus de légèreté, moins sucrés et moins gras », « plus esthétiques » et avec « des portions un peu plus petites ». « Chaque fois qu’il faut une création, on pense toujours « Qu’est-ce qu’aurait dit Monsieur Paul ? »… On travaille tous comme ça, dans cet esprit là », souligne Vincent Le Roux, directeur général et époux de la petite-fille du chef étoilé, décédé le 20 janvier 2018 à l’âge de 91 ans.

« Après le départ de Monsieur Paul, on a très affectés parce qu’on a perdu notre guide, notre père », mais « je pense qu’aujourd’hui il serait très fier de voir qu’on a gardé le cap », confie le chef exécutif Gilles Reinhardt, 49 ans, dont 25 dans la maison.

« Ce n’est pas une révolution, c’est vraiment une évolution aussi bien dans les cuisines que dans le décor », insiste celui que certains présentent comme le « gardien du temple ». Son credo: rester fidèle à ce que Bocuse appelait « une cuisine avec des os et des arêtes ». Tout en proposant de nouveaux plats, des déclinaisons pour végétariens ou du pain sans gluten.

Remise en question

« Monsieur Paul était de son temps. C’est normal et moi, je respecte, c’était son choix, certains venaient en disant +voilà la cuisine de Monsieur Paul+ mais certains pouvaient dire + ça manque peut-être un peu de nouveauté. De remise en question+ », commente Benoît Charvet.

En 2020, le guide Michelin avait rétrogradé le phare de la gastronomie française, estimant que « la qualité de l’établissement demeurait excellente, mais plus au niveau d’un trois étoiles ». « Forcément, l’ensemble des équipes a été blessé », mais « le soutien de nos clients a été énorme, on a eu une fréquentation record dans l’histoire du restaurant », se souvient Vincent Le Roux. Depuis, le chiffre d’affaire de la maison n’a cessé d’augmenter pour atteindre 11 millions d’euros en 2023.

« Le métier est en danger si l’on ne comprend pas que le monde a changé »

Dans le même temps, la disparition de « Monsieur Paul » a marqué un tournant pour la qualité de vie des équipes avec le passage à deux jours de fermeture hebdomadaire, des horaires quotidiens limités à huit heures, une diminution du nombre de couverts de 100 à 80 et une augmentation des effectifs en cuisine.

Un changement « inimaginable » du vivant du grand patron, selon le chef Olivier Couvin, 46 ans. « C’est une institution et on a osé faire ça », dit-il avant d’évoquer ses débuts à « l’autre époque », quand il cherchait « défi, rigueur et intensité » faute d’avoir pu faire carrière comme parachutiste dans l’armée. « Le métier est en danger si l’on ne comprend pas que le monde a changé », estime celui qui se revendique d’une « tradition française projetée dans le futur ». Sa grande fierté: ses quenelles sont devenues une référence sur la carte.

Damien Fournier, un Parisien de 23 ans, a justement opté pour ce plat. Ce « data scientist » a « fait le détour » par Pont de Collonges avec un ami japonais de passage pour sa première expérience étoilée: pour lui, Bocuse, « synonyme de grande gastronomie français » est le premier nom qui vient à l’esprit » au moment du choix.

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