Est-ce leur sens indéniable de la fête qui ferait des Belges de grands amateurs de bulles? Entre champagne, crémant, clairette et prosecco, nous sommes des fans absolus des vins effervescents. Le tout nouveau label BelBul s’engage à promouvoir la production de notre terroir national.
Qui ne connaît pas dans son entourage quelqu’un qui, chaque année, part en «mission Champagne». Objectif avoué? Approvisionner sa propre cave et celles de proches. À peine quelques centaines de kilomètres parcourus et voilà le coffre de la voiture rempli du blanc de blancs ou du rosé de votre vigneron préféré. Des milliers de caisses échappent ainsi habilement aux droits d’accises… et aux chiffres officiels d’exportation, déjà vertigineux.
En 2024, près de 8 millions de bouteilles de champagne ont été importées en Belgique pour une estimation de 20 millions de prosecco. La bulle italienne festive est en pleine ascension, même si les chiffres précis font encore défaut. Vraie certitude, la Belgique figure, dans toutes ces statistiques pétillantes de ventes, dans le peloton de tête. Pour le cava, particulièrement apprécié en Flandre, notre pays est même depuis des décennies le marché d’exportation numéro un au monde.
La raison de cet engouement? Naissance, anniversaire, mariage, réception, réveillon (reprenons notre souffle), jour de l’An ou simple apéritif convivial: toutes les excuses festives semblent bonnes pour remplir coupes et flûtes d’un vin effervescent, et ce depuis toujours.
Le roi boit
Vers 1800, le champagne s’impose partout en Europe comme la boisson festive des élites. Les maisons royales et les nobles sont des clients assidus des grands noms de Reims et d’Épernay. Dans les registres poussiéreux de Moët & Chandon, autour de 1830, figure Léopold Ier, premier souverain du jeune royaume de Belgique.
‘Même les années où il est difficile de produire des blancs, on aura toujours de quoi faire de bonnes bulles.’
Notre petit pays devient, au XIXe siècle, une puissance économique mondiale. Et le champagne se retrouve de la partie. Grâce à notre adoption précoce de la révolution industrielle, les bulles séduisent plus vite qu’ailleurs la bourgeoisie, qui copie le style de vie de la noblesse. Banquiers bruxellois, barons du textile gantois, magnats de l’acier liégeois et notables du port d’Anvers se régalent de bouteilles éclatantes venues du nord de la France.
L’amour belge pour le plaisir pétillant perdure durant la Belle Époque artistique. Et pendant les Années folles, la Belgique apparaît comme le seul marché d’exportation capable de maintenir la Champagne à flot. La faute à la prohibition qui pousse l’Amérique à fermer ses portes à toute exportation de vins français.
À partir des années 1960, Monsieur Tout-le-Monde rejoint à son tour le cercle des amateurs de bulles. Dès qu’on commence à gagner un peu mieux sa vie, on fait ce que les notables pratiquent depuis des décennies: boire du vin pétillant et, parfois, du champagne. C’est l’époque des fameux vols de la Sabena, où coulait à flot le champagne en première classe.
Une appellation 100% belge
La Belgique est peu à peu devenue productrice, elle aussi. Un secteur qui connaît d’ailleurs une croissance remarquable. En 2021, plus de 2,1 millions de litres ont été produits. Un an plus tard, ce volume a dépassé les 3 millions de litres, dont près de la moitié était du vin effervescent. La production n’est pas la seule à progresser: le nombre de vignerons belges aussi. En 2024, 321 vignerons étaient enregistrés, contre 290 en 2023 et 259 en 2022. Aujourd’hui, plus de 100 domaines belges produisent leurs propres bulles. De quoi donner envie à nos viticulteurs de se fédérer pour mieux faire reconnaître la qualité de leur travail.
‘Ne serait-ce pas formidable que davantage de nos restaurants gastronomiques adoptent les bulles belges?’
Fatigués de se voir réclamer «une bouteille de cava belge», ils ont imaginé leur propre label. «BelBul est le nouveau nom que nous avons choisi pour désigner le vin effervescent belge de qualité, explique Wouter Bogaert, à l’initiative du projet. Pour pouvoir y prétendre, il doit être élaboré par des domaines familiaux et selon la méthode traditionnelle.»
Installé à Lemberge, près de Gand, le viticulteur flamand estampillait déjà ses propres bouteilles du label BelBulles, avec -lles à la française. «Lorsque nous avons cherché un nom pour l’ensemble des vignerons belges, ce sont étonnamment les producteurs wallons qui ont plaidé pour supprimer ce -lles, jugé trop français, pointe-t-il. Le nom renvoie à la Belgique et à sa beauté. Il présente en outre une symétrie graphique et sonne bien dans les deux langues nationales.»
Lors du lancement de BelBul en mai dernier, ils étaient 22 producteurs. Depuis, dix se sont ajoutés et quinze sont en attente. Le label séduit. Mais attention: certains vignerons belges produisent des vins effervescents sans pour autant rejoindre BelBul. Le label ne peut alors pas figurer sur leurs bouteilles. L’adhésion au club implique en effet une cotisation annuelle.
Le Chant d’Éole, à Quévy-le-Grand, près de Mons, fait partie des domaines wallons séduits par cette appellation. «Nous avons toujours mis en avant les savoir-faire belges, assure son fondateur Hubert Ewbank de Wespin. Il était donc logique pour nous de soutenir – et même de revendiquer – la création d’un label commun capable de porter et de légitimer cette compétence. La Belgique ne disposait pas encore d’une marque forte pour ses bulles.
BelBul apporte un repère clair au consommateur. L’enthousiasme est unanime: le label renforce le réseau, fédère les acteurs et crée une dynamique commune qui nous tire tous vers le haut. C’est une étape déterminante pour la crédibilité et la reconnaissance internationale de la bulle belge.»
Autre mission tout aussi importante du label? Convaincre le Belge de consommer local. «Ne serait-ce pas formidable que davantage de nos restaurants gastronomiques adoptent les bulles belges? se prend à rêver Wouter Bogaert. Qu’à côté de la liste des champagnes figure aussi un assortiment BelBul?»
La qualité au rendez-vous
La qualité n’est plus à démontrer. Dans les concours internationaux, nos bulles enchaînent les médailles. Dégustées à l’aveugle, elles surpassent souvent leur grand et coûteux cousin champenois. «Les raisins belges se prêtent bien à l’élaboration de vins effervescents, grâce à leur acidité relativement élevée», écrivait d’ailleurs à ce sujet la journaliste mondialement respectée Jancis Robinson dans le Financial Times. Un éloge qui, dans le monde du vin, équivaut aux dires de Jules César déclarant que de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves.
La Belgique est le premier marché d’exportation du cava. La raison? On célébre tout avec des bulles.
L’intérêt croissant pour les vins de climats frais attire, plus que jamais, l’attention internationale sur ces bulles belges jugées «exotiques». Grâce notamment à des prix décernés par des spécialistes. «Il y a une vingtaine d’années, nous avons commencé à élire les meilleurs vins belges, rappelle Gido Van Imschoot, membre de l’Association des Sommeliers flamands. Cette position de force des bulles belges demeure un fil rouge de nos dégustations et concours.» Depuis trois ans, le Gault&Millau édite son guide des vins belges et décerne ses Belgian Wine Awards. En juin dernier, huit domaines wallons et six flamands ont ainsi vu certains de leurs millésimes récompensés d’un coup de cœur.
Pour Gido Van Imschoot, si nos bulles sont appréciées et reconnues aujourd’hui, c’est d’abord grâce à l’affinité des Belges pour ce produit. «Nous savons reconnaître de bonnes bulles, plaide-t-il. Ensuite, les vignerons disposent d’un grand savoir-faire technique grâce aux nombreuses formations qu’ils ont suivies. Enfin, notre climat est idéal pour cultiver des raisins destinés aux vins effervescents. Même les années pluvieuses où il est difficile de produire des rouges ou des blancs, on aura toujours de quoi faire de bonnes bulles.»
Nouvelle Champagne?
Les Champenois eux-mêmes ont été les premiers à le reconnaître. En 2002, Raymond Leroy, un négociant en vins, et Etienne Delbeke, un agriculteur, décident de créer le Vignoble des Agaises, à Haulchin (Hainaut). Avant de se lancer, ils prennent soin de faire inspecter les sols par Thierry Gobillard, un vigneron champenois dont Raymond importe le champagne. Celui-ci confirme la qualité du terroir et accepte de partager son savoir-faire.
Il découvre notamment des couches de craie semblables à celles que l’on trouve dans sa propre région. Idéal pour planter du chardonnay à bulles. Le Ruffus est né. En 2010, le même scénario se reproduit, quelques kilomètres plus loin, au Domaine du Chant d’Éole, où la famille Ewbank de Wespin – des agriculteurs propriétaires terriens belges – conseillée elle aussi par un vigneron champenois, a planté pas moins de 54 hectares de vignes.
Ces deux domaines sont devenus les plus grands du pays. Leur succès est à la mesure. Les achats en direct passent aujourd’hui par une liste d’attente: tout est réservé avant même les vendanges.
«Ce n’est pas l’exclusivité que nous visons mais l’excellence, pointe Hubert Ewbank de Wespin. Quand elle est au rendez-vous, ce sont les clients eux-mêmes qui rendent l’expérience exclusive. Dès nos débuts, nous avons affronté de grandes maisons de Champagne lors de concours internationaux et très vite, nous avons obtenu des médailles. Nous poursuivons notre croissance, portée par une demande forte et fidèle, ce qui est un signal magnifique pour ceux qui investissent et s’impliquent dans la vigne belge.»
Un style propre
L’offre s’intensifie d’ailleurs dans la région. En 2018, Vincent De Busscher fonde le Mont des Anges, avec Laurianne Lejour, une jeune œnologue venue de Champagne. Le style y est élégant, gastronomique et raffiné.
Comme autour de Mons, de nombreux vignerons flamands sont adeptes de la «méthode champenoise», un savoir-faire archétypal consistant à vinifier chardonnay et pinot noir en bulles.
C’est notamment le cas depuis 1990 chez Chardonnay Meerdael, près de Louvain, ou encore Schorpion et Genoelselderen en Hesbaye.
Mais à côté de cette méthode classique, d’autres choisissent de se distinguer. On trouve ainsi des vins belges effervescents issus d’autres cépages, comme le riesling, l’auxerrois, le chenin blanc ou le gamay. Cette liberté d’expérimentation avec les cépages nous rend uniques.
De plus en plus de vignerons optent aussi pour des cépages résistants aux maladies comme les PiWi. Le johanniter, le sauvignac gris, le rondo ou le monarch entre autres, nécessitent moins de pesticides et de fongicides, ce qui les rend donc meilleurs pour l’homme et l’environnement tout en facilitant la culture bio dans notre pays humide. Peu connus du grand public, ils risquent d’apparaître de plus en plus sur les étiquettes dans les prochaines années. On en trouve déjà dans certaines bouteilles labellisées Belbul.
Et demain?
Reste à savoir si la demande suivra l’offre. Partout, le marché du vin s’effrite. Nous buvons moins de bulles qu’il y a cinq ans. Et une bouteille de BelBul coûte entre 20 à 30 euros. Ce qui n’est pas donné, même si le pétillant belge offre un excellent rapport qualité-prix. Nos meilleures cuvées ne coûtent pas plus cher qu’un champagne français moyen. Et elles se distinguent par une acidité vive et joyeuse, parfois absente d’un champagne au même prix.
Nos jeunes vignobles pourraient encore aller plus loin. Beaucoup de producteurs laissent leurs bulles mûrir à la cave seulement un an à un an et demi. Une période plus longue «sur lattes» donnerait des vins plus complexes, bien plus qu’un simple apéritif.
Mais garder son produit plus longtemps hors marché est un investissement que nombre de jeunes domaines ne peuvent encore se permettre. Le potentiel est donc énorme: vu les millions de bouteilles du trio champagne-cava-prosecco vendues en Belgique, il doit bien exister une place pour notre modeste production. Le calcul est vite fait: si chaque famille belge achetait une seule bouteille de BelBul par an, nos vignerons seraient en rupture de stock.
Goûtés et approuvés
Domaine Viticole du Chenoy, Extra Brut, Namur, prix indicatif 23 euros.
Domaine biologique qui mise pleinement sur les cépages résistants (PiWi). Assemblage unique, fruité et frais de johanniter, bronner, souvignier gris et regent. Idéal à l’apéritif ou avec du poisson nature.
Mont des Anges, Blanc de blancs, Hainaut, prix indicatif 38 euros.
Bulles de classe issues du chardonnay, avec un subtil élevage en bois pour une douce onctuosité. Un style gastronomique très champenois, parfait pour une table de fête luxueuse.
Aldeneyck Riesling Brut, Limbourg, prix indicatif 23 euros.
Le caractère unique de ce cépage aromatique est ici parfaitement capté dans une bulle au bord de la Meuse. Divin avec des sushis ou un plat végétarien épicé.
BRUUT rosé, Brabant flamand, prix indicatif 26 euros.
Les bulles rosées se prêtent à mille usages grâce à leur fruité, leur structure et parfois leurs notes épicées. C’est le cas de ce séducteur saumoné issu de pinot noir, gamay et chardonnay.
Chant d’Éole, cuvée réserve 2019, Hainaut, prix indicatif 49,95 euros.
Après minimum 48 mois de vieillissement en cave, cette cuvée 100% chardonnay, cépage signature du domaine, développe des arômes de noisette, amande grillée, brioche et pain toasté beurré.
Plus de détails sur les bouteilles, les domaines et les points de vente sur belbul.be