Du caviar sous les tropiques (en images)
Dans son restaurant de Bangkok, Thitid Tassanakajohn dépose délicatement une cuillerée de caviar sur une mini tartelette, revisitant une recette de la cuisine thaï avec quelques grains de ce mets rare, issu d’un élevage local.
Produire du caviar en Thaïlande a permis au célèbre cuisinier étoilé connu sous le nom de « chef Ton » d’introduire le caviar dans ses plats.
« Le prix est… plus abordable par rapport à ceux que nous importons », explique chef Ton, en servant le caviar sur une sauce traditionnelle Lhon Pu.
Cela aide aussi à combattre l’idée reçue selon laquelle la cuisine thaïlandaise doit forcément être épicée avec des saveurs fortes, a-t-il ajouté.
A Hua Hin, à deux heures de Bangkok, c’est là qu’est installée la première ferme d’esturgeons de Thaïlande. Début avril, pendant quelques jours, a eu lieu la deuxième récolte « d’or noir » depuis sa création.
Dans cet élevage innovant, Caviar House affirme associer haute technologie, méthodes traditionnelles et respect du bien-être animal. Dans des bassins maintenus à une température de 21 degrés, des centaines de poissons géants nagent à mille lieues de l’eau froide de la mer Caspienne où ces espèces vivent à l’état sauvage.
« Personne d’autre ne possède ce type de ferme dans un climat tropical », déclare à l’AFP Alexey Tyutin, copropriétaire de l’élevage. Ces poissons, considérés comme des dinosaures vivants, peuvent vivre jusqu’à 100 ans et mesurent généralement jusqu’à quatre mètres de long.
Traditionnellement, les producteurs de caviar tuent les poissons femelles afin d’en extraire les oeufs, mais la ferme de Tyutin utilise une méthode plus douce, la traite. Pour la récolte, les femelles sont déplacés dans la « salle hivernale », initialement réglée à six degrés, puis portée à quinze, avant que leurs oeufs ne soient extraits à l’aide d’une pince.
Cette méthode qui permet plusieurs pontes par an avec le même animal permet à l’entreprise d’être durable et rentable, affirme M. Tyutin, dont la production devrait atteindre 2 tonnes cette année. Sur un poisson de 25 kilos, « nous nous attendons généralement à obtenir environ 2,6-2,7 kilos de caviar », précise-t-il.
L’élevage d’esturgeons dans un environnement artificiel nécessite de grandes quantités d’énergie. Malgré l’utilisation de panneaux solaires, la facture d’électricité mensuelle s’élève à près de 9.000 dollars. « Nous refroidissons l’eau car à l’extérieur, elle est à 31 degrés. A cette température, les esturgeons mourraient immédiatement », explique M. Tyutin. Mais le climat tropical de la Thaïlande a donné à l’entreprise un avantage concurrentiel, car la température relativement douce de l’eau permet aux esturgeons d’atteindre la maturité en six ans, contre onze dans les eaux glaciales de Russie.
Pour l’instant, Caviar House ne vend son caviar thaï que sur le marché intérieur, aux alentours de 750 euros le kilo, mais elle espère pouvoir exporter dans un futur proche. Les récentes sanctions de l’Union européenne à l’encontre de Moscou ont visé de nombreux produits dont le caviar, mais cette mesure est largement symbolique, la Russie n’étant qu’un petit exportateur. La concurrence vient plutôt de Chine, dont proviennent aujourd’hui 84 % des esturgeons dans le monde, selon un rapport de la Commission européenne.
Le secteur a aussi souffert de la pandémie, les restaurants gastronomiques, les compagnies aériennes et les navires de croisière ayant été frappés par des restrictions sur les voyages internationaux.
Cependant, le marché international du caviar devrait croître de 7% par an d’ici à 2025, selon le cabinet d’études de marchés Technavio Research. La France, l’Allemagne, la Chine, l’Espagne, les États-Unis, le Japon et la Russie sont les principaux pays consommateurs, mais la demande augmente rapidement dans la région Asie-Pacifique.
En Thaïlande, le monde de la gastronomie a reconnu rapidement les bienfaits du caviar, riche en vitamines et minéraux, notamment en oméga 3. « Il n’a fallu que quelques jours pour que les chefs thaïlandais commencent à commander après que nous leur ayons envoyé des échantillons », explique à l’AFP Noppadon Khamsai, 43 ans, copropriétaire de la ferme de Hua Hin. « Ils disent que le goût est là et ils sont vraiment fiers de faire la promotion d’un produit thaïlandais ».
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