La bière revient à ses origines féminines grâces à des brasseuses
Quand Véronique et Véronique ont commencé à faire de la bière en France, elles pensaient contribuer à bouleverser un monde de brasseurs très masculin, pour finalement découvrir qu’elles ramenaient simplement la bière vers ses anciennes racines féminines.
« Dans l’imaginaire collectif, la bière est plutôt une boisson d’homme (…), ce que nous réfutons vivement », lance, dans un rire, Véronique Verisson, 49 ans, co-fondatrice de Y’a Une Sorcière Dans Ma Bière, une petite brasserie de la ville de La Réole, dans le sud-ouest de la France.
« On est juste deux femmes qui aimaient la bière et voulaient faire quelque chose nous-mêmes », renchérit sa partenaire Véronique Lanceron, 44 ans.
Depuis le départ, l’entreprise de celles que tout le monde ici surnomme « Véro et Véro » était catégoriquement féministe: le mot est sur leur carte de visite. Mais c’est en commençant leurs recherches sur le monde de la bière qu’elles découvrent appartenir à une ancienne tradition.
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La première recette répertoriée est écrite sur un morceau d’argile datant de 1.800 ans avant Jésus-Christ en ode à Ninkasi, déesse sumérienne de la bière. A cette même époque, en Mésopotamie, le Code de Hammurabi contenant les plus anciennes lois connues, dont différentes règles régissant brasseurs et taverniers, fait toujours référence à « elle ».
Le brassage de la bière est restée une affaire féminine tout au long du Moyen-Âge, lorsque la bière à faible teneur d’alcool était considérée nutritive pour toute la famille.
Le breuvage ne se conservant pas à l’époque, les femmes en vendent l’excédent aux voisins, ce qui leur confère une certaine indépendance financière et permet à quelques unes d’entre elles d’ouvrir leurs propres tavernes.
Mais à mesure que la bière devient une activité lucrative, les hommes prennent un contrôle plus grand du secteur.
« Complètement débile »
A partir du 13e siècle, l’Eglise Catholique proclame que les brasseuses sont des tentatrices amorales et impures, un argument dont se saisissent les moines qui reprennent les rênes du brassage dans leurs abbayes.
« A partir du moment où ça apporte de l’argent, les hommes » s’y intéressent plus, relate la journaliste Anaïs LeCoq, qui revient sur cette histoire dans son livre « Maltriarcat : Quand les femmes ont soif de bière et d’égalité ».
« Le coup de grâce a été de mettre les femmes à la porte des brasseries », poursuit-elle. Lors de la révolution industrielle, la production s’est mécanisée. N’ayant ni « accès aux capitaux, ni à la propriété, ni aux études supérieures », les femmes « disparaissent du métier ».
Lire notre interview d’Anaïs LeCoq : « Ce qui est proposé aux femmes n’est autre que du jus de fruit alcoolisé, sucré et écoeurant. »
Les choses ont drastiquement changé avec la récente vague de bières artisanales et de micro-brasseries, dont beaucoup sont dirigées par des femmes.
« On voit que beaucoup de jeunes s’intéressent à notre bière et ne trouvent pas du tout bizarre qu’on soit deux brasseuses », dit Véronique Verisson. Par contre, « il y a plein de choses à expliquer » à un public plus âgé.
Elles trouvent navrantes les publicités de grandes marques de bières, avec pour stratégie principale de marketing des femmes semi-dénudées et du football.
« C’est la même chose avec les spiritueux. Moi, j’adore le whisky, mais, dans la tête, c’est toujours catégorisé comme une boisson d’homme », confie la brasseuse.
« Il n’y a pas de boisson homme et de boisson femme », ajoute-t-elle. « Il y a plein d’hommes qui se sentent fragilisés si on leur dit qu’ils boivent la même chose que les femmes. C’est complètement débile… et énervant. »
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