La Gagygnole, le Jura en bouteille
La Suisse veut à tout prix sauver ses pittoresques villages de montagne d’une lente extinction. Des racines de gentiane au genévrier, les frères Gyger distillent tout ce qu’ils trouvent dans le Jura pour recréer une économie locale et faire des eaux-de-vie aromatisées originales.
Mais ce n’est que lorsque ces trois jeunes amoureux de la nature ont pu acquérir leur propre alambic et transformer l’ancien appartement de leur grand-père avec le soutien de l’Aide Suisse à la montagne qu’ils ont pu se professionnaliser il y a environ 2-3 ans, installant leur distillerie Gagygnole dans le hameau-rue de Souboz à près de 900 m d’altitude.
Au rez-de-chaussée d’une ancienne ferme, une odeur d’épices – mélange de coriandre et de baies de genévrier – flotte en l’air, tandis qu’une chaleur enveloppe le visiteur à l’approche d’un alambic en cuivre haut de 2m50 dans lequel l’aîné, Gaëtan, dit « Gagy », 30 ans, distille un gin au feu de bois.
« Le lieu de production est notre lieu de vie depuis qu’on est tout petits. On a vraiment des racines ancrées dans notre village », explique auprès de l’AFP cet agronome de formation ayant étudié à Genève. « Nous n’avions pas envie de nous établir en ville » même si la clientèle y est plus nombreuse, ajoute le fondateur de Gagygnole. Un choix de vie qui se fait rare en Suisse, pays à 70% montagnard mais où moins d’un quart de la population y vit.
Les villages de montagne se vident, les épiceries ferment et comme à Souboz les écoles aussi, la population préférant s’installer en plaine près des agglomérations, en particulier Zürich, Genève et Lausanne, même si la Suisse n’a pas échappé à un certain retour à la nature pendant la pandémie de Covid. A Souboz, les habitants se font rares, passant de 135 en 2012 à 85 l’an dernier.
Face à l’exode des montagnards, certains villages tentent le tout pour tout, allant même jusqu’à proposer leurs maisons vides pour un franc symbolique ou offrant à certaines conditions des fonds pour attirer des nouveaux-venus. L’Aide suisse à la montagne apporte elle chaque année des contributions à fonds perdu à des centaines d’entrepreneurs, comme les frères Gyger.
« Une fonction d’allumette »
« Si on veut que la montagne vive, il faut qu’il y ait des gens. Mais nous ne sommes pas une oeuvre d’entraide sociale, nous soutenons les gens qui ont envie d’entreprendre et dont le projet va créer de l’emploi », explique Willy Gehriger, qui préside cette fondation privée d’utilité publique.
« On a un peu une fonction d’allumette », explique-t-il. Né en 1943 pour sortir les montagnards de la misère, l’Aide à la montagne a pendant très longtemps essentiellement soutenu les agriculteurs, avant d’élargir son champ d’action il y a une douzaine d’années: soutien aux commerces, aide à l’installation du Wi-Fi dans les petits établissements d’hébergement, financement de cours d’informatique, soutien au sauvetage de bâtiments classés pour que des touristes puissent s’y loger… « Réduire l’aide à la montagne à l’agriculture serait une erreur », observe M. Gehriger.
Vêtus de t-shirts, casquettes au front et iPad à la main, les frères Gyger n’ont rien du cliché du montagnard trapu, rustique et grincheux. C’est avec humour qu’ils affichent leur ambition: « repeupler Souboz et recréer une économie » locale à la montagne. « On est quand même conscient qu’on apporte quelque chose à Souboz, en bien. Il y a un potentiel énorme pour nos régions de montagne. C’est vraiment quelque chose dont on doit être fier en tant que Suisse », assure Luca, 27 ans, deuxième de la fratrie.
Le pari est réussi puisque l’entreprise familiale compte quelques employés et fait occasionnellement travailler artisans et agriculteurs de la région, notamment pour la mise en bouteille de leurs recettes originales de gin, whisky et vodka… 18.000 bouteilles l’an dernier.
Gagygnole écoule ses eaux-de-vie aromatisées dans 200 points de vente du pays – dont l’une a été consacrée meilleur gin de Suisse l’an dernier – et ses ventes de fondue au gin cartonnent aussi. Pas question pour autant de songer à exporter.
« On a toujours un peu refusé parce que c’était difficile au niveau de la logistique, mais pourquoi pas… tant que ça va avec notre philosophie », glisse Tim, 26 ans, le benjamin.
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