L’excellence en cuisine, c’est pouvoir « partager des émotions »: rencontre avec la cheffe Hélène Darroze

© Johan Kafkot

Hélène Darroze a ouvert une nouvelle table, cet été, dans le somptueux domaine viticole et artistique du Château La Coste. Pour cette cheffe à la tête de plusieurs adresses étoilées, le luxe d’un bon restaurant est qu’on s’y sente comme à la maison.

Les étoiles, en gastronomie, sont synonymes de luxe. Et les grands chefs auréolés d’un ou plusieurs de ces astres sont les garants de cette excellence qui transforme l’acte de manger en une performance totale, mettant divers talents au service du client. La Française Hélène Darroze fait partie de ceux-ci et son année 2021 témoigne de cette quête perpétuelle de perfection. Son restaurant situé dans l’hôtel londonien trendy The Connaught a reçu une troisième étoile, en janvier dernier, et son établissement parisien, qui a rouvert en 2019 après une importante rénovation sous le nom de Marsan, a décroché sa deuxième étoile. Depuis juillet, la médiatique cuisinière – on la connaît hors du sérail pour sa particpation au jury de Top Chef – officie également à l’hôtel Villa La Coste, situé sur le fameux Domaine La Coste, à Aix-en-Provence. Un lieu d’exception qui allie luxe, art et plaisirs viticoles.

La native des Landes a commencé sa carrière dans le monde de l’hôtellerie haut de gamme, au Louis V à Paris, où le maître Alain Ducasse l’a encouragée à poursuivre son chemin, la cuisine étant ancrée en elle depuis longtemps déjà. « La cuisine est dans mon ADN, j’ai grandi dans le restaurant de mon grand-père, qui avait deux étoiles Michelin, explique-t-elle. Depuis que je suis toute petite, j’aime être aux fourneaux, ça a toujours été une passion. A un moment donné, j’ai décidé de faire de cette passion mon métier. » Depuis, elle n’a cessé de grimper les échelons, imposant sa touche féminine dans ce milieu hélas encore réputé masculin. Retour sur ce parcours.

Comment décririez-vous votre style culinaire?

Les produits sont au coeur de mon travail. Je recherche toujours les meilleurs produits et à partir d’eux, je crée une cuisine qui vient de moi, qui reflète qui je suis en tant que personne. Il y a beaucoup de moi-même dans mes plats. Et bien sûr, le goût est la chose la plus importante. Offrir une cuisine technique ne m’intéresse pas. Je n’ai pas envie de montrer au monde que je maîtrise certaines méthodes. Je préfère partager des émotions avec mes invités.

Travaillez-vous uniquement avec des produits locaux?

J’achète de préférence mes produits localement, en effet. En Provence, je travaille uniquement avec des produits de cette région. Dans une ville comme Paris, il faut par contre parfois élargir le périmètre. J’y utilise donc des produits du sud de la France. Et à Londres, j’essaie de travailler autant que possible avec des produits provenant du Royaume-Uni. Mais je n’y trouve pas toujours les fruits et légumes dont j’ai besoin. Je suis donc obligée d’utiliser aussi des ingrédients venant de France et d’Italie. Tout cela fait que ce que je propose dans mes divers restaurants est différent. J’ai bien quelques plats signature, mais j’ajoute des touches locales basées sur les spécialités du cru.

Le troisième restaurant d'Hélène Darroze se trouve dans l'hôtel de luxe Villa La Coste à Aix-en-Provence.
Le troisième restaurant d’Hélène Darroze se trouve dans l’hôtel de luxe Villa La Coste à Aix-en-Provence.© Johan Kafkot

Vous avez un exemple?

Notre homard bleu, poché dans un beurre tandoori épicé, carotte, mousseline aux agrumes, réduction de poivre lampong, coriandre fraîche et beurre noisette, servi à Paris, et adapté avec une coquille Saint-Jacques XXL à Londres, et avec des crevettes à La Villa La Coste. C’est clairement l’une de mes signatures, comme le Baba à l’Armagnac, un dessert réalisé avec un armagnac familial.

De nombreux grands chefs sont des hommes. Pourquoi pensez-vous qu’il y a plus d’hommes dans cette profession?

De nombreuses raisons expliquent ce phénomène. C’est un métier qui demande de faire certains choix de vie, et ces choix sont souvent plus difficiles pour une femme que pour un homme. Lorsque vous êtes dans la cuisine de votre restaurant, vous ne pouvez pas élever vos enfants ou faire le ménage en même temps. Même si je pense que cela a aussi à voir avec le fait que les femmes se fixent trop de limites. En tant que femme, vous devez également croire que c’est possible, et ce n’est probablement pas donné à tout le monde. Pour réussir en tant que chef, il faut aussi avoir beaucoup d’ambition et je suis convaincue que celle-ci est plus fréquente chez les hommes. Les cheffes cuisinent également différemment. Il y a des exceptions à toutes les règles, mais les hommes sont plus portés sur la démonstration et voudront toujours prouver qu’ils maîtrisent toutes les techniques. Les femmes cuisinent plus souvent aux sentiments.

Votre nouvelle table est située à Aix-en-Provence. Comment avez-vous atterri là-bas?

Ce restaurant se trouve à la Villa La Coste, un hôtel très luxueux à l’architecture magnifique dans un domaine rempli d’oeuvres d’art uniques. Le propriétaire est également l’un des propriétaires de l’hôtel The Connaught à Londres. Nous travaillons donc ensemble depuis longtemps. Il y a deux ans, j’avais déjà tenu un restaurant pop-up à Villa La Coste et cela s’était très bien passé. Ils ont récemment décidé de travailler avec un nouveau chef pour élever encore le niveau culinaire et il était logique qu’ils me demandent, étant donné notre relation, le respect mutuel et le fait que ma cuisine s’intègre très bien dans la région.

Quel est le concept de cette nouvelle adresse?

Je suis évidemment attachée aux mêmes valeurs qu’à Paris et Londres, mais je ne désirais pas faire la même chose. Le restaurant d’Aix-en-Provence est entièrement consacré aux légumes, ce qui est logique dans ce coin de France. Nous avons la chance d’avoir nos propres jardins à la Villa La Coste. Nous travaillons en étroite collaboration avec le jardinier pour décider de ce qu’il faut cultiver. Nous créons ensuite nos plats autour des récoltes. Le poisson et la viande sont des ingrédients secondaires. J’essaie même que le jus que nous utilisons pour faire les sauces soit de plus en plus végétal.

Vous ne pouvez pas être partout à la fois. Comment assurez-vous la qualité sans être vous-même en cuisine?

J’ai la chance d’avoir pu m’entourer d’une équipe de personnes qui travaillent avec moi depuis longtemps et qui connaissent mon esprit et mes valeurs. Ces personnes sont en charge de la cuisine et de la salle dans mes restaurants. J’ai également deux cuisiniers, un pâtissier et un spécialiste de la salle qui m’accompagnent toujours lorsque je me rends dans les restaurants. Je voyage constamment entre les différents lieux, et lorsque je suis sur place, je suis en cuisine à chaque service. Je m’occupe aussi de tous les autres aspects. Je ne suis pas seulement une cheffe, mais aussi une femme d’affaires. Je dois m’assurer que l’ensemble soit rentable.

La nouvelle table à Aix-en-Provence.
La nouvelle table à Aix-en-Provence.© Johan Kafkot

Visez-vous les étoiles pour votre adresse aixoise?

Les propriétaires ne l’ont pas exigé et je n’en ai pas non plus l’ambition. Nous n’avons pas ouvert cet endroit dans cette optique. Mon objectif principal est de rendre les convives heureux. Mais nous nous demandons chaque jour comment nous améliorer pour le lendemain. Finalement, c’est ainsi que l’on crée un restaurant qui répond aux critères d’obtention d’étoiles. Notre façon de travailler a porté ses fruits à Londres et à Paris. Donc une étoile n’est pas impossible, non.

Qu’est-ce que cela représente à vos yeux?

Les étoiles Michelin sont très importantes, bien sûr. Ma troisième étoile à Londres m’a rendue extrêmement heureuse. Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours entendu ma famille parler des chefs 3-étoiles avec beaucoup de respect. J’ai toujours admiré ceux qui en décrochaient. Je suis ravie de faire partir de ce club.

Un restaurant étoilé est par définition luxueux. Comment définiriez-vous le luxe?

La première chose qui vient à l’esprit est que le luxe n’est pas matériel. Le luxe dans un hôtel ou un restaurant a à voir, je pense, avec le sentiment de pouvoir se sentir chez soi. Un sentiment de liberté. Faire partie de la famille. Partager et vivre de beaux moments. Bien sûr, pour se sentir bien, il faut être dans un environnement confortable, et il y aura donc toujours un lien avec le matériel, mais c’est totalement secondaire pour moi.

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