Pourquoi la fondue bat la raclette sur toute la ligne?

© Getty Images

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Dans un article intitulé « Pourquoi vous n’aurez jamais d’émoji raclette dans votre smartphone », paru dans Le Monde du 2 mars dernier, les chroniqueurs du pôle Pixels rapportaient leur infructueux combat pour le rayonnement international de leur « obsession commune » et plat préféré. Un papier au ton léger pas pour autant dénué d’intérêt, le quotidien français y détaillant assez précisément les divers écueils à franchir avant que le très procédurier Unicode Consortium n’autorise une nouvelle entrée au sein du catalogue mondial des pictogrammes. L’histoire en était restée là, jusqu’à la récente publication des 117 émojis appelés à rejoindre nos bibliothèques numériques au cours de l’année 2020. Stupéfaction à la rédaction du Monde: un caquelon rouge symbolisant la fondue a été validé, sa candidature avait été déposée en novembre 2018 par deux journalistes suisses alémaniques.

La fondue revêt un caractère universel auquel la raclette ne peut que rêver. Et le responsable de cette renommée s’appelle Justin Bieber.

Après l’étude du dossier rival, le camp français s’est assez sportivement résolu à accepter la défaite, réalisant que la fondue revêt un caractère universel auquel la raclette ne peut que rêver. Et assez étrangement, le responsable de cette renommée s’appelle Justin Bieber, qui en avait fait l’un des ingrédients d’une roucoulade au coin du feu sortie en 2012. Des années plus tard, grâce aux effets conjugués de la Bieber mania et d’une flagrante inculture culinaire, ce qui n’était qu’un cliché énuméré pour la rime est devenu un phénomène en ligne – de nos jours, « fondue » compte plus de recherches sur Google que « burger », du moins pendant l’hiver. Même constat sur Instagram, où se déversent des torrents de lipides dès que le thermomètre passe sous les 10°C. Du coup, puisque la moitié des Internets semble patauger dans un océan de fromage fondu de décembre à mars, il est permis de se demander pourquoi nos confrères français n’ont pas pensé à militer en faveur de la tartiflette, autre fleuron très populaire de la gastronomie qui tient au corps.

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Un premier élément de réponse réside sûrement dans le caractère récent de la recette: bien qu’inspirée de la traditionnelle péla savoyarde, elle a été inventée de toutes pièces dans les années 80, pour doper les ventes du Syndicat interprofessionnel du Reblochon – lequel a toujours démenti, mais du bout des lèvres, préférant insister sur le fait que cette histoire de tartiflette était surtout une bien belle idée. Une autre explication pourrait remonter au XIIIe siècle et aux origines sulfureuses de son principal ingrédient. Vous serez peut-être heureux de l’apprendre à vos convives lors du prochain dîner entre amis à 3000 calories, mais le reblochon provient du terme « re-blocher », autrement dit « re-pincer », le pis d’une vache en l’occurrence. Car c’est ce que faisaient les fermiers de la vallée de Thônes lors d’une seconde traite de nuit – et donc à l’insu de leur propriétaire, généralement une abbaye, venu calculer sa redevance lors d’une première traite qu’il ignore incomplète. Peu abondant mais particulièrement gras, le lait ainsi obtenu était transformé en joli palet à pâte pressée non cuite, d’un format propice à la manipulation en toute discrétion. Et si pour nombre d’entre nous, il n’évoque rien d’autre qu’un magma crémeux dont on se dispute la croûte dorée, on imagine que ses racines interlopes se seraient avérées bien trop subversives aux yeux du Unicode Consortium, chantre du politiquement correct, qui n’aurait jamais osé se rendre complice d’un plat à la gloire d’une marchandise de contrebande, destinée à spolier le clergé.

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