Le vin de Chine est bien meilleur que les snobs occidentaux ne l’imaginent

Le vin venu de Chine gagne du terrain - Unsplash (Rachel Zhan)
Le vin venu de Chine gagne du terrain - Unsplash (Rachel Zhan)
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Le soutien du gouvernement et l’expertise française ont tout changé, et permis au vin venu de Chine de se tailler progressivement une part enviable du marché. Ne reste plus qu’à convaincre les snobs, désormais…

C’est le temps des vendanges à Ningxia. En août, la récolte commence dans le nord, à l’ombre des monts Helan. D’ici novembre, plus de 40.000 hectares de vignobles — une superficie environ quatre fois supérieure à celle de Paris — auront été ratissés. Mais les viticulteurs ne profitent pas longtemps des fruits de leur labeur: une fois la récolte terminée, ils se remettent à la tâche pour enterrer leurs vignes avant que les températures ne chutent à -15 °C. C’est que Ningxia, une région du nord-ouest de la Chine proche du désert de Gobi, subit des hivers rigoureux. Pourtant, elle offre un terrain fertile aux vignerons.

Sa capitale, Yinchuan, se trouve à la même latitude que la Napa Valley, haut lieu viticole californien. Ningxia bénéficie de 3.000 heures d’ensoleillement par an, soit autant que certaines régions d’Espagne. Son sol rocailleux se draine rapidement et permet aux vignes d’enraciner profondément.

Bon. Mais n’est-ce pas un peu une aberration tout ça? Et bien sachez que la production de vin en Chine remonte au moins à la dynastie Han (206 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), voire plus tôt, selon certaines preuves archéologiques.

Aujourd’hui, le vin constitue une industrie majeure: en 2024, la Chine a produit 118.000 kilolitres de vin, soit environ 160 millions de bouteilles.

Et c’est à Ningxia que l’on produit une grande partie des vins haut de gamme. Les revenus des domaines viticoles de Yinchuan ont atteint 36 milliards de yuans (5 milliards de dollars) l’an dernier, soit une hausse de 20 % par rapport à 2023.

Un essor en deux temps

Mais ce n’est pas seulement la quantité qui impressionne: le vin chinois a meilleur goût que ne le pensent beaucoup d’Occidentaux, et les vignerons du pays remportent de plus en plus de distinctions dans les plus grands concours mondiaux. Cette année, ils ont décroché 181 médailles aux Decanter World Wine Awards (DWWA) — une compétition parfois surnommée les « Oscars du vin » — contre seulement trois en 2007. Deux vins ont été désignés « meilleurs du concours ». Les juges ont vanté les « parfums envoûtants de cassis et de prune sauvage » d’un rouge de Ningxia, ainsi que sa « séduction fruitée et épicée ».

Certes, la moisson de médailles chinoises reste bien inférieure à celle de la France ou de l’Italie, et loin derrière l’Australie ou l’Argentine. Mais elle dépasse celle d’autres pays du « vieux monde » comme l’Autriche et l’Allemagne. Berry Bros & Rudd, le plus ancien marchand de vin britannique, a observé que « la Chine a la volonté et les ressources pour devenir un acteur très important ». La grande variété de climats et de sols du pays permet de produire aussi bien des vins liquoreux que des rouges et blancs secs.

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Beaucoup de Chinois ont un faible pour leur vin. Xi Jinping, qui a évidemment un certain intérêt dans la question, sert du vin local lors des dîners d’État. Bruce Li, sommelier au restaurant étoilé TRB Hutong à Pékin, affirme: « Si vous comparez les vins chinois aux vins français ou italiens, je pense que certains vins chinois ont en réalité meilleur goût. »

Tout le monde ne partagera pas cet avis. Mais deux raisons expliquent pourquoi le vin chinois est devenu plus agréable.

La première est le soutien du gouvernement. Tous les écoliers chinois apprennent par cœur un poème de la dynastie Tang qui commence ainsi: « Le bon vin brille dans un verre lumineux. » Mao Zedong pensait que chacun devait pouvoir profiter du vin. En 1956, il demanda à Changyu, la plus ancienne maison viticole du pays, située dans le Shandong, d’augmenter sa production. (Bien que Mao ait promu le vin, il préférait le Kweichow Moutai, une eau-de-vie.)

Parmi les acteurs de l’industrie dans le Shandong figurait Chen Jianguo, qui devint en 2002 secrétaire du parti à Ningxia. Le gouvernement local annonça alors un objectif ambitieux : planter 70 000 hectares de vignes pour faire de Ningxia un grand producteur mondial. Les autorités attribuèrent des terres adaptées, offrirent des subventions aux viticulteurs et mirent en place des programmes de formation. Elles attirèrent aussi des investissements étrangers. Le géant français du luxe LVMH voulut participer à l’aventure et fonda Chandon China, producteur de vins mousseux à Ningxia, en 2013, ainsi qu’Ao Yun, un domaine dans le Yunnan.

Le vin de Chine, victime de sa (mauvaise) réputation?

La seconde raison de cette montée en gamme est l’apprentissage auprès des meilleurs. Ningxia est parfois décrite comme le « Bordeaux chinois », à juste titre: ses vignerons ont calqué leurs méthodes sur celles des Français. À la fin des années 1990, une délégation s’est rendue en France pour se former auprès de viticulteurs. Parmi les leçons apprises: ne faire pousser qu’une douzaine de grappes de raisin de qualité par pied, plutôt que 20 ou 30 plus fades. Les domaines de Ningxia cultivent souvent les mêmes cépages que ceux de Bordeaux, utilisent des barriques de chêne français et visent un goût similaire.

Des vignerons chinois formés à l’étranger ont appliqué ces enseignements chez eux. Parmi eux, Emma Gao, diplômée en œnologie de l’université de Bordeaux. Avec son père, Gao Lin, elle dirige Silver Heights, un domaine fondé à Ningxia en 2007.

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Deux de leurs vins — un pinot noir et un cabernet-sauvignon — ont remporté des prix aux DWWA cette année. (C’est leur Family Reserve Chardonnay que les responsables chinois ont servi à Emmanuel Macron et Angela Merkel.) Le best-seller de Silver Heights cette année est un vin orange à forte acidité, aux notes de pamplemousse. Un pétillant naturel floral, ou pét-nat, élaboré avec du vin de riz de Ningxia, a également connu le succès.

Malgré tous ces progrès, les vins chinois ne figurent pas encore parmi les bouteilles les plus convoitées au monde.

Lors d’une dégustation à l’aveugle en 2023, la critique Jancis Robinson a noté que les vins chinois « se distinguent par un manque de subtilité » par rapport à ceux d’autres régions, car les vignes y sont plus jeunes.

Certains estiment que le pays est encore loin d’avoir atteint son plein potentiel. Mme Gao espère « découvrir la beauté de notre terroir »: au-delà de la maîtrise des vins de style bordelais, elle cherche à identifier les cépages qui s’épanouissent le mieux dans les sols chinois. Silver Heights a ainsi étendu sa production au-delà des classiques cabernet-sauvignon, marselan et merlot pour planter 23 autres variétés, dont petite sirah, dornfelder, riesling et tempranillo espagnol. Elle sillonne le pays à la recherche de nouveaux sites viticoles : « Il nous faudra peut-être des centaines d’années pour trouver notre niche et notre voie. »

Un autre obstacle réside dans la culture du vin, encore peu ancrée en Chine. Bière et baijiu (alcool blanc) restent les boissons de prédilection. Les importations de vin, y compris des meilleurs crus européens, ont chuté ces dernières années à cause du covid-19, du ralentissement économique et de la répression des cadeaux et consommations d’alcool parmi les fonctionnaires.

De nombreux producteurs de Ningxia souhaitent désormais exporter davantage et séduire les amateurs de vin à l’étranger.

Devo, entreprise de vins mousseux basée à Yinchuan, espère vendre 50 % de ses bouteilles à l’étranger, contre 20 % l’an passé. Mais beaucoup de marchés européens sont déjà saturés ; les États-Unis imposent 30 % de droits de douane sur les produits chinois. Et, dans de nombreux pays riches, la consommation de vin baisse, les jeunes soucieux de leur santé se détournant de l’alcool.

Peut-être le plus grand problème des vignerons chinois reste-t-il le prix. L’importation d’équipements de pointe, ainsi que le coût du labeur nécessaire pour enterrer et déterrer les vignes dans des régions comme Ningxia, font grimper les coûts de production. Ainsi, de nombreux vins chinois haut de gamme coûtent aussi cher, voire plus, que leurs équivalents du vieux monde, sans en avoir ni le goût ni le prestige. Les bouteilles de Silver Heights peuvent atteindre 250 dollars, celles d’Ao Yun plus de 350 dollars — des prix comparables à certains grands crus. À moins que cela ne change, le vin fin chinois restera l’apanage de quelques connaisseurs, aussi séduisantes soient ses plongées fruitées et épicées.

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