Après le DIY, la folie des kits

La vie en kits © SDP

Le prêt-à-consommer se voit peu à peu remplacé par le prêt-à-assembler. Aux clients qui veulent contrôler les produits qui les entourent et ont envie de créer, les marques proposent des packs à monter soi-même. Avec promesse de liberté.

Un kit pour organiser un goûter d’anniversaire sur un thème précis, avec tout le nécessaire, des assiettes en carton à la banderole décorative ; un autre pour fabriquer sa propre bière ; pour tricoter un chèche taille 3 ans ; pour se confectionner un masque  » éclat  » ; pour faire pousser un jardin d’aromates… Dans quasiment tous les domaines de notre quotidien, des packs nous sont proposés. Un micro-trottoir auprès de clients convaincus nous apprend que :  » c’est beaucoup plus simple que de devoir se procurer tout séparément « ,  » ça permet d’avoir un ensemble cohérent « ,  » grâce à ça, on peut faire les choses soi-même. On n’est plus obligé d’acheter les produits tout faits  » ou encore  » l’on contrôle tout ce qu’il y a dedans, pas de mauvaise surprise dans la composition.  »

Vivienne Nguyen, chef de produits bien-être et saveurs chez Nature et Découvertes, confirme la tendance.  » Nous avons lancé les premiers kits pour faire de la bière en 2015 et, depuis, nous avons beaucoup de succès et développons nos propres produits. Nous collaborons avec un cuisinier pour les thématiques boissons, fromages…  » Ce qui plaît aux clients ?  » La satisfaction de faire quelque chose par soi-même. De plus, certains titres comme Faire son fromage peuvent être réalisés en famille.  » C’est dans le secteur de l’alimentaire et des cosmétiques que l’enseigne dit engranger les meilleurs résultats en termes de vente, grâce à ce phénomène.

Reprendre le contrôle et la maîtrise de sa consommation par rapport aux marques.

 » Ce n’est pas étonnant que cela marche dans les domaines liés à l’alimentation, analyse Valérie Zeitoun, directrice de l’institut d’étude The Laundry. Il y a un réel climat anxiogène autour du prêt-à-manger. Le kit peut se présenter comme un juste compromis pour des gens pressés qui apprécient le côté rapide tout en pouvant dire : « C’est moi qui l’ai fait. » Cela apporte une caution un peu plus naturelle, ou en tout cas un peu moins artificielle, par rapport à la perception que peuvent avoir les consommateurs.  »

En témoigne le succès grandissant des paniers de produits frais permettant de se préparer des petits plats à la maison, sans avoir à faire les courses. Même Google veut sa part du gâteau et a annoncé qu’il se lançait dans l’aventure. Maartje Frederiks, CEO de Hello Fresh Benelux, acteur majeur du kit culinaire en Belgique, développe les promesses que recèlent ces pack gourmands, en quatre points.  » La commodité : gagner du temps, être moins stressé. L’inspiration : vouloir découvrir de nouvelles recettes, vivre une expérience culinaire unique. L’impact social : partager des moments avec vos proches (famille, partenaire, amis). L’impact sur la santé : avoir une alimentation équilibrée, fraîche, et disposer de produits de haute qualité.  » Et tout cela tient dans une simple boîte. Logique, dès lors, que la sauce prenne.

Kits
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Séduire les conso-acteurs

 » Il y a une recherche à la fois de guidance et de liberté, indique Valérie Zeitoun. Ce qui compte pour le consommateur, c’est l’impression de pouvoir personnaliser, qu’il ait finalement recours à cette personnalisation ou non. Il se dit qu’il peut choisir de ne pas mettre de pincée de sel ou de changer un ingrédient dans un kit cuisine, ou qu’il peut faire une écharpe plus courte avec son ensemble de tricot…  »

S’il y détecte une  » dimension ludique, de plus en plus présente dans l’univers de la consommation « , ainsi que  » la recherche de toujours plus de singularité et d’individualisme dans sa consommation « , Sylvain Flender, fondateur de The New Anthropology, relève également ce besoin de liberté, dans le chef des clients :  » Il y a un désir de renversement du rapport de pouvoir, qui consiste de manière plus générale à devenir conso-acteur, c’est-à-dire à reprendre le contrôle et la maîtrise de sa consommation par rapport aux marques, en tant que groupes industriels tout-puissants. Le kit est alors une réintroduction d’un espace de liberté ; finalement, tout comme le bio ou les autres tendances alternatives, qui satisfont le désir du consommateur de se sentir un conso-acteur. « 

Donner un choix illusoire de liberté au consommateur à condition…. qu’il achète le produit.

Mais du besoin de liberté au tiroir-caisse, il n’y a qu’un pas que les spécialistes du marketing ont vite franchi.  » Les marques s’appuient sur cette tendance et surfent dessus. Indirectement, elles retrouvent le contrôle. C’est une technique marketing qui reprend le principe de manipulation du double-bind (double lien) consistant à donner un choix illusoire de liberté au consommateur à condition…. qu’il achète le produit.  » Malin. D’autant que les entreprises ont tout intérêt à vendre chaque pièce du package, en s’assurant que le client n’éparpille pas ses achats entre différents labels, et en lui imposant potentiellement de racheter des éléments présents dans la box qu’il posséderait déjà.

Kits
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L’effet Ikea

 » La variable financière, quand je passe de ce que je peux acheter tout fait et ce que je peux faire moi-même, est intéressante, note la directrice de l’institut de conseil marketing The Laundry. En cosmétique par exemple, on peut imaginer que la petite quantité d’huile de noyau d’abricot ou de beurre de karité coûtera moins cher qu’un produit classique. Cela peut être la raison pour laquelle je me tourne vers ce genre de kit. Mais, il est très probable qu’un ensemble à pizza me coûte plus cher qu’une pizza toute prête. Dans ce cas, j’accepte ce prix en tant que consommateur, car je me mets dans une posture où je prends soin de moi, je réponds à mes besoins de naturalité.  »

En 2011, des chercheurs de Harvard ont également identifié ce qu’ils ont nommé  » l’effet Ikea « . Ils ont demandé à un groupe d’estimer une boîte de rangement, déjà montée. Un autre groupe a été invité à assembler ladite boîte puis à lui donner un prix. En moyenne, ceux ayant participé au montage étaient prêts à payer l’objet 63 % plus cher. Le fait de s’investir dans une tâche, de pouvoir clamer le fameux  » c’est moi qui l’ai fait « , nous pousse à, éventuellement, débourser plus pour un produit que nous avons l’impression d’avoir fabriqué.

Créer sans créativité

Mais ces modèles  » prêts à créer « , expliqués pas à pas, sont-ils encore vraiment des vecteurs pour développer l’imagination ?  » De manière générale, les kits ne sont pas en tant que tels des solutions créatives, décrypte Alain Dikann, art-thérapeute. En revanche, ils peuvent donner envie de créer et peuvent potentiellement être considérés comme des facilitateurs de créativité. Mais en dernière instance, ils ne favorisent que la pensée convergente ; il n’y a qu’une possibilité pour « monter » un objet. Or, la véritable créativité prend sa source à la fois dans la pensée convergente et dans la pensée divergente, quand il y a plusieurs solutions possibles à un problème donné.  »

Kits
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Pour l’auteur de Petit cahier d’exercices d’art-thérapie (éditions Jouvence), il faut différencier cette tendance de celle, plus générale et ancienne, du do-it-yourself, tout en s’intéressant à la filiation.  » Le DIY est né dans les années 1970 avec la contre-culture américaine et le mouvement hippie, avec comme objectif de s’opposer à la société de consommation (ou du moins d’offrir une alternative). L’idée majeure était donc de s’inspirer de savoir-faire traditionnels et d’inventer par soi-même de nouveaux moyens pour fabriquer toutes sortes de biens.  »

Mais la société de consommation a rapidement trouvé une manière de tirer profit de cette critique de son propre système. Pour ne plus acheter (tout fait), on achète (en pièces).  » La mode des kits peut s’inspirer d’une certaine façon du DIY mais l’approche est très cadrée et offre peu, voire pas d’espace pour la créativité. Si l’on prend l’exemple des meubles Ikea, il n’y a pas de place pour l’expression créative en tant que telle (NDLR : même si le succès des Ikea hacks, amusants détournements d’objets, prouve qu’il est parfois possible de s’affranchir du plan de montage). En revanche, les kits sont porteurs de certaines vertus « thérapeutiques » : ils permettent à la personne de développer des facultés cognitives, de se sentir plus vivante et plus actrice.  »

Comme un premier pas avant le grand saut. Si notre envie de reprendre les rênes de notre consommation est un rien instrumentalisée par ces conditionnements pratiques au packaging ludique, rien n’empêche de sourire de ce paradoxe et de continuer à apprécier l’aspect efficace et commode des kits, pour faire des découvertes. Connaître les ficelles et s’en moquer, c’est aussi ça, être acteur.

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Ça occupe

Une maman au bout du rouleau a développé des « Kits de survie pour parents épuisés » à confier à sa progéniture. De la quiétude en boîte. Thématiques : grasse matinée, voyage en voiture, fête d’anniversaire…

www.parentepuise.com

Ça grandit

Pour un goûter d’anniversaire digne de Pinterest et des super mums d’Instagram, My Little Day propose des lots de déco et d’accessoires autour de thèmes fun et design.

www.mylittleday.fr

Ça préserve

Véronique Hoet a lancé des kits made in Belgium pour apprendre à réaliser ses produits du quotidien en version naturelle et écoresponsable. Hygiène, soin du corps ou grand nettoyage de la maison, tout y passe.

www.kitetik.eu

Ça caille

Vous n’y aviez pas pensé ; un kit l’a fait ! Il est désormais possible de réaliser sa propre mozzarella. A accompagner de tomates du jardin et du basilic qui pousse dans la cuisine grâce à un kit aromates.

www.natureetdecouvertes.com

Ça bricole

La combinaison ultime du kit, du DIY et de la box mensuelle. Mes Kits Make it vous envoie chaque mois le matériel nécessaire pour découvrir une technique et titiller vos envies d’activités manuelles.

meskits-makeit.com

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