A Moscou, un nouveau temple d’art contemporain signé Renzo Piano, symbole des contradictions du pouvoir

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Un nouveau temple de l’art contemporain, construit à un jet de pierre du Kremlin à Moscou par un milliardaire du gaz, met le doigt sur les contradictions du pouvoir russe, entre modernité et durcissement.

D’imposantes cheminées bleu électrique surmontent le GES-2, ancienne centrale thermique pré-révolutionnaire transformée par l’architecte vedette italien Renzo Piano, sur les rives de la Moskova. Ce musée qui ouvre au public samedi, après des années de travaux, a été bâti par la fondation VAC de l’oligarque Léonid Mikhelson, patron du groupe gazier Novatek, un des hommes les plus riches de Russie.

Un tandem d’Italiens, la directrice Teresa Mavica et le directeur artistique Francesco Manacorda, un ancien de la Tate Liverpool, veulent y faire venir les plus grands noms internationaux et mettre à l’honneur les artistes russes. « J’ai dit à Léonid (Mikhelson, NDLR) d’acheter les bâtiments autour pour les démolir. Et il l’a fait. Pour faire un bon bâtiment, il faut un bon client », s’est réjoui Renzo Piano, par vidéoconférence.

Le coût de ce lieu, qui ambitionne d’être le musée contemporain de rang mondial dont Moscou manque, n’est pas connu mais est estimé à plusieurs centaines de millions de dollars. « Je suis sûre que ça a coûté très cher, mais Léonid (Mikhelson, ndlr) a décidé de garder ça pour lui », dit Mme Mavica. « Tout a été fait comme dans un monde fantastique. Mais c’est toujours comme ça, quand il y a de l’argent sans limite : on peut tout faire de manière idéale, sans compromis », estime Marat Guelman, un collectionneur renommé, critique des autorités.

– « Corriger l’image » –

Au-delà de plaire aux amateurs d’art, ce musée vise aussi à redorer le blason du pouvoir russe, selon certains observateurs. Car, loin des paillettes de ce lieu moderne, le pays semble avoir glissé dans la direction opposée.

Une répression croissante frappe l’opposition, les médias indépendants, les réseaux sociaux et les ONG. Vladimir Poutine a modifié la Constitution, qui lui permet désormais de rester président jusqu’en 2036. « Les autorités rêvent que la politique soit figée, mais que les affaires et l’art se développent » tout en étant complètement « dépolitisés », estime M. Guelman pour lequel « cela ressemble à une schizophrénie du pouvoir ».

Pour Nathalie Obadia, galeriste enseignant la géopolitique de l’art contemporain à Sciences Po Paris, « c’est toute la force du soft power de l’art contemporain : il permet à des particuliers et des pays de rayonner et de corriger une image négative à l’étranger comme dans le pays ».

Elle cite l’exemple de la Chine et de l’Arabie saoudite. Pour les grandes fortunes, c’est une façon de « rendre quelque chose à la communauté, car il y a souvent un manque d’argent public dans l’art contemporain », estime la galeriste.

Un autre milliardaire, Roman Abramovitch, a lui aussi offert à Moscou un musée d’art contemporain en 2008, le Garage.

– « Ouverture » –

Marat Guelman « salue cette schizophrénie », estimant qu' »il y a de grandes chances qu’ils n’arrivent pas à contrôler cet espace » et que « sous ce pouvoir totalitaire », fleurisse quelque chose qui « brise les autorités ».

Le musée est ouvert à tous, gratuit, avec une vaste allée centrale, lieu propice, selon lui, aux réunions et aux échanges, à l’abri du rude climat moscovite.

La Russie a surtout fait parler d’elle dans le monde de l’art ces dernières années avec des performances radicales et politiques, comme celles du groupe féministe Pussy Riot ou de Piotr Pavlenski, qui avait cloué ses testicules sur la Place Rouge en signe de protestation.

Leur notoriété tient également à la réaction musclée des autorités à leur encontre. Le centre GES-2 promet pour sa part de l’art pointu mais accessible à tous, notamment aux familles. Cette semaine, M. Poutine est venu visiter le lieu et afficher son soutien. « Bien sûr, c’est différent (en Russie, NDLR). Je viens d’Islande, où l’on est complètement libre », concède Ragnar Kjartansson, artiste performeur à l’honneur pour l’ouverture.

« Ici, l’on travaille avec ces limites et d’une certaine façon, elles sont une inspiration », ajoute-t-il.

« Grâce à l’art, il y a une ouverture, les jeunes entrent en contact avec ce qui se fait à l’étranger, les artistes invités ont des contacts avec les populations locales », se réjouit la galeriste Nathalie Obadia. Mais, ajoute-t-elle, « c’est une ouverture qui peut parfois être dangereuse ».

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