À Soho, dans le loft volontairement inachevé du créateur Phillip Lim
Le créateur de mode américain Phillip Lim nous ouvre les portes de son loft new-yorkais. Plusieurs sculptures signées Helmut Lang y côtoient des meubles hétéroclites dans un aménagement volontairement inachevé.
Phillip Lim choisit un disque de Nina Simone et, un instant plus tard, l’espace vibre au son des notes onctueuses d’ I Want a Little Sugar in my Bowl. « C’est cette combinaison de contrastes qui me plaît », explique-t-il en indiquant le tourne-disque aux allures très industrielles posé sur un buffet bas, qui diffusent cette musique si douce. C’est un peu la marque de fabrique de Phillip Lim: le créateur américain d’origine chinoise, figure-clé de la mode new-yorkaise, a imaginé lui-même l’intérieur de son loft de SoHo, un lieu dans lequel on va de surprise en surprise…
D’ailleurs, il ne fait aucun doute que la décoration lui réussirait aussi bien que la confection de vêtements. « Mais je serais trop obsessionnel », avertit le génie créatif derrière 3.1 Phillip Lim. De l’autre côté de la pièce, face à la stéréo, un patchwork en denim est drapé sur un authentique fauteuil transat d’Eileen Gray. Dans un décor moins créatif et sans cette touche personnelle du maître des lieux, un tel meuble serait pratiquement un cliché design, avec sa structure en chrome et son style vieux de près d’un siècle. « C’est la manière d’associer les objets qui fait toute la différence, observe Phillip Lim. Mais cela reste une pièce superbe. »
Chantier inachevé
Cette alternance d’éléments forts et plus sobres, on la retrouve également dans ses propres collections de vêtements, d’une précision extrême mais souvent aussi pleines de détails inattendus. On peut citer par exemple l’absence de revers de manche qui apporte à ses chemises estivales une touche originale, les camisoles de la collection printemps-été qui peuvent se porter dans les deux sens ou les bords volontairement défaits de ses tricots. Dans le même esprit, son intérieur regorge d’éléments rebelles.
En guise de touche personnelle, il a par exemple doté sa lampe sur pied en bois – achetée à un étudiant en architecture – d’un abat-jour en papier de riz d’inspiration japonaise. Les compartiments de la bibliothèque à l’avant de l’appartement, eux, ont été remplis non pas de livres mais d’une série de vases. Une belle manière d’utiliser l’espace et de donner une place à son instinct de collectionneur.
« Le prix d’un objet est sans importance selon moi », souligne Phillip Lim dont les parents – une couturière et un joueur de poker professionnel – ont quitté la Thaïlande pour la Californie à l’époque du génocide cambodgien. Tout en musardant entre des céramiques et des objets en bois allant d’antiquités asiatiques rares à la boîte fabriquée par un ami avec un morceau de bois échoué sur Coney Island après le passage de l’ouragan Sandy, le créateur ajoute: « C’est quelque chose de très spécial, confectionné spécialement pour moi par un ami qui s’est dit que cela irait bien avec le style wabi-sabi que j’affectionne » Une référence au crédo japonais de la beauté de l’imparfait, de la rencontre du brut et de la douceur.
Phillip Lim lui-même a modéré le côté méticuleux de son loft par quelques notes inachevées. Certains éléments du décor semblent se trouver dans un état transitoire, comme ce portrait à l’huile réalisé par son ami Anh Dong, encore à moitié emballé dans l’épaisse toile blanc crème dans laquelle il a été livré. « Je le dévoile petit à petit, un peu comme le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. J’ai l’habitude d’être pris en photo, mais s’exposer à l’oeil d’un peintre est une expérience complètement différente qui met en avant le regard que l’artiste porte sur son sujet. Cela m’a mis un peu mal à l’aise. » Dans le hall, un croquis d’Ellsworth Kelly et un cache-pot ne sont encore, eux aussi, qu’à moitié sortis de leur emballage. « J’aime cette impression d’être encore en plein déménagement. Le processus de création est souvent plus intéressant que son aboutissement. »
Aire de jeu
L’endroit correspond à l’image que la plupart des gens se font d’un loft de SoHo. « Les grands volumes ouverts, les hauts plafonds, les colonnes en métal, les éléments industriels… J’ai toujours rêvé d’habiter dans ce genre d’espace, de faire l’expérience ultime de New York telle qu’on la voit dans les films. Certains trouvent que SoHo est devenu un gigantesque centre commercial, mais ce n’est pas mon avis. Le soir, il y fait très calme et l’atmosphère est extraordinaire, en particulier lorsque les pavés humides scintillent sous la pluie. J’aime aller me promener dans les environs de l’ancienne maison et atelier d’artiste de Donald Judd, au 101 Spring Street, et entrevoir les sculptures de Dan Flavin à travers la vitre. »
L’architecte minimaliste a beau être décédé depuis longtemps, son esprit plane encore sur le quartier aujourd’hui. Représentant de la première vague d’artistes à avoir investi les lofts du coin, Donald Judd était connu pour son lit composé d’une simple planche de bois, sans tête, installé au centre de la chambre. Comme lui, Phillip Lim dispose de gigantesques espaces où la question de savoir si un canapé sera trop grand ne se pose jamais et, comme lui, il voit dans son habitation une grande toile blanche où décliner ses prises de position créatives. Ainsi ces chaises du même Donald Judd achetées à un brocanteur pour une fraction de leur valeur réelle ou cette table basse signée Yves Klein, remplie de poudre International Klein Blue. « Elle m’évoque l’océan de ma côte Ouest natale », commente le créateur.
Une imposante paroi de marbre en style oriental, percée d’une ouverture carrée qui accueille un Bouddha et un encensoir, divise l’espace de vie en deux zones. On y trouve aussi plusieurs sculptures de l’artiste et créateur de mode autrichien Helmut Lang, dont les plus marquantes sont sans doute les deux colonnes en céramique rose qui reposent contre le mur du salon.
Si l’apparence des deux colonnes évoque le bambou, à mieux y regarder, on s’aperçoit que le matériau est beaucoup plus intéressant: « Helmut Lang détruisait les archives de ses collections pour les recycler sous cette forme, explique Phillip Lim en indiquant une vieille étiquette encore visible dans la structure des oeuvres. La céramique rose vient de Louise Bourgeois, avec qui il entretenait des liens d’amitié. »
Serein, élégant et confortable, le loft de Phillip Lim fait office de galerie pour exposer sa collection personnelle… Mais il a là aussi un indéniable côté ludique. Le cadre de lit est par exemple habillé de rayures de tigre – « pour le côté coquin » – et une balançoire Hermès au siège recouvert de cuir est suspendue devant l’immense bibliothèque qui occupe toute la hauteur d’un mur, l’idéal pour feuilleter l’un de ses innombrables livres d’art. « J’aimais l’idée d’avoir une balançoire chez moi. Que demander de plus dans un loft de SoHo? », conclut-il.
En bref – Phillip Lim
- Le créateur naît en Thaïlande en 1973 sous le nom de Pheng Lim, avant d’émigrer en Californie avec ses parents chinois.
- Il se prend de passion pour la mode en travaillant pour les grands magasins Barney’s.
- Après avoir lancé un premier label, Development, il noue une collaboration avec When Zhou, son associé actuel. Le duo fonde 3.1 Phillip Lim en 2005 (disponible chez nous, entre autres, chez Icon et Smets à Bruxelles ou sur zalando.be)
- En 2007, le Council of Fashion Designers of America lui décerne le titre d’Emerging Talent dans la catégorie mode féminine. Il décroche ensuite en 2012 un Swarovski Award pour sa collection masculine et, l’année suivant, le titre d’Accessories Designer of the year.
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