Le rôle central du porche dans la maison, aux États-Unis (reportage)

Cette habitation de 1932 située à Ann Arbor, Michigan, possède un "front porch" typique. Il s'agit d'une maison en kit du catalogue Sears, dont les murs ont, depuis, été repeints. © TRUI MOERKERKE
Trui Moerkerke Journaliste free-lance

Pour les Américains, c’est une pièce en soi, un espace hautement symbolique où l’on accueille, où l’on bavarde, où l’on festoie. En ces temps confinés, le « front porch » sert même de mesure à la distanciation. Petit tour du propriétaire d’un lieu d’entre-deux que l’on aperçoit dans (presque) tous les films de l’oncle Sam.

« Et donc, vous avez un porche avec un rocking-chair? » est la question que vous entendrez le plus souvent si vous décidez un jour d’aller vivre aux Etats-Unis. Il faut dire que là-bas, les « front porches » sont aussi américains que la tarte aux pommes et les bus scolaires jaunes. L’été dernier, du Michigan à l’Oregon, et du Dakota à la Louisiane, jaillissaient d’ailleurs des petits orchestres qui, respectant scrupuleusement les règles sanitaires, décidaient de redonner le sourire au voisinage en improvisant des concerts sur le pas de leur porte.

Pas si étonnant, quand on y pense. Car même avant l’ère du coronavirus, le porche aimait se transformer en scène musicale ou théâtrale, le temps de « porchfests » qui sont clairement devenues l’une des (bonnes) surprises des initiatives citadines de ce début de siècle. Les premiers événements du genre ont eu lieu en 2007, à Ithaca, dans l’Etat de New York, où une poignée d’habitants se sont mis à jouer de l’ukulélé devant leur maison. Des attroupements festifs qui, ici ou là, ont provoqué un tel engouement que certains sont même devenus des petits festivals…

Petit à petit, c’est devenu une véritable signature du style architectural américain.

Jessica Moorman

D’où viennent donc ces espaces d’accueil qui occupent une place de choix dans des films comme La Couleur Pourpre, Forrest Gump ou Interstellar, mais aussi des séries telles que Desperate Housewives ou Shameless? L’historien Michael Dolan émet l’hypothèse selon laquelle les esclaves africains et caribéens ont voulu imaginer une sorte de transition entre extérieur et intérieur, en combinant différents styles de construction afin de créer un endroit ombragé devant les maisons.

Toujours est-il que, dès la fin du XVIIIe siècle, dès l’indépendance des Etats-Unis, le porche a commencé à devenir une « signature » du style architectural américain. Au point de se transformer parfois en plate-forme politique, lorsque les candidats aux élections présidentielles y invitaient des électeurs pour y prononcer leurs discours.

Miroirs de leur époque

Si le porche a toujours fait partie du paysage, il a connu son âge d’or entre 1865 (après la guerre civile) et 1910. Entité à part entière de l’imaginaire collectif, il invoque aujourd’hui la nostalgie d’une époque où les voisins se connaissaient, discutaient et cancanaient en dégustant du cheesecake sur le pas de leur porte.

Depuis ces lieux rafraîchissants, précieux lors des jours d’été accablants, on s’installait dans un fauteuil à bascule et on contemplait paisiblement l’agitation de la rue. Il faut aussi préciser qu’auparavant, le jardin était réservé au potager, aux chèvres ou aux poules. Dès lors, après une journée passée dans la chaleur d’un poêle à bois, c’est à l’abri du porche que la ménagère appréciait aller prendre l’air. Au XXe siècle, le lieu a également joué un rôle majeur dans la vie sociale de nombreuses familles afro-américaines qui n’avaient pas le droit de se rendre au centre-ville…

Peu à peu, notre mode de vie moderne et plus autocentré a rendu le porche moins attrayant… et moins fréquenté. Les voitures, de plus en plus nombreuses dans les rues, n’ont pas aidé en rendant l’air plus pollué. Surtout que ces mêmes voitures ont également permis aux gens de s’évader de leur quartier et d’élargir leur horizon. Pendant ce temps-là, la brise de la terrasse ombragée laissait sa place à l’air conditionné, les supermarchés devenaient plus alléchants que les longues minutes passées à flâner devant sa maison, et la télévision semblait soudainement plus intéressante que les scènes du bitume.

Les derniers clous allaient être plantés après la Seconde Guerre mondiale, quand beaucoup de citadins se sont établis dans de grands lotissements en périphérie des villes, où la plupart des gens se sont contentés de maisons n’offrant qu’un grand garage et une terrasse ou un balcon à l’arrière… Peut-être, aussi, une façon d’échapper au contrôle social des voisins?

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Toutefois, à partir des années 60, les Américains ont rouvert les yeux, se souvenant à quel point le porche pouvait se révéler un élément fédérateur, voire pratique pour contribuer à prévenir la criminalité d’un quartier. Le cinéma en a profité pour ajouter une couche: dans les années 80, la comédie A Christmas Story soulignait la beauté féerique d’un seuil décoré de guirlandes de Noël, tandis que Funny Farm montrait ses atouts champêtres.

Aujourd’hui, selon la National Association of Home Builders, environ 65% des nouvelles constructions disposent d’un « front porch ». Dans certains Etats du Sud, ce chiffre atteint même 90%. Les fameux Millennials, omniprésents sur le marché immobilier, n’en démordent pas: ce petit espace de vie au charme si particulier est (re)devenu l’attribut sine qua non d’une maison, et ils comptent bien y tourner quelques scènes importantes de leur vie…

Ellen Rambo, Ann Arbor, Michigan

Ellen Rambo
Ellen Rambo© TRUI MOERKERKE

« Nous avons acheté la maison en 1999. J’ai eu un coup de coeur pour le porche, et mon mari a craqué pour la hampe à drapeau », se souvient Ellen Rambo en riant. Cette demeure des années 20 affiche un style assez strict, mais le screened-in porch (avec moustiquaires) lui confère une touche bohème. « J’adore venir m’asseoir ici le matin par beau temps et y lire mes journaux en buvant un café. Quand des voisins passent, ils me font signe ou ils s’arrêtent pour échanger quelques mots. C’est une façon naturelle et conviviale de garder le contact. »

Plusieurs pièces du mobilier qui orne le porche proviennent de l’ancienne maison familiale d’Ellen. Aussi, pour elle, cet espace extérieur rappelle les belles années, quand elle habitait dans le Maryland, un Etat un peu plus méridional où les gens passent une grande partie de l’année à l’extérieur. « Je me souviens des nombreux repas pris sur le porche. Du crabe cuit à la vapeur et des épis de maïs, étalés sur une table couverte de vieux journaux. »

Chose peu courante: le plancher est décoré d’un motif. « Mon mari, hélas décédé en 2003, était créatif, et il a tenu à y ajouter un dessin. » Aujourd’hui, Ellen profite des lieux avec ses deux fils, acceptant les souvenirs qui s’y promènent. L’été dernier, pendant la quarantaine, le porche s’est trouvé une fonction inattendue en devenant le bureau d’Ellen. « C’était agréable de travailler d’ici. J’envisage même d’acheter une chaufferette pour pouvoir m’y installer de temps en temps pendant l’hiver. »

Anne et Harvey Leo, Ann Arbor, Michigan

Anne et Harvey Leo
Anne et Harvey Leo© TRUI MOERKERKE

Dans la famille Leo, on a toujours adoré recevoir des invités sur le porche. « On adapte l’aménagement en fonction de la saison, raconte Harvey. En été, on profite de nos plantes, oliviers et orangers. En hiver, on chauffe la terrasse. » La maison, construite en 1928, se trouve dans une avenue verdoyante d’Ann Arbor.

« Lorsque nous avons emménagé ici en 2003, les enfants étaient encore petits, et le porche faisait office d’espace de jeu, se souvient Anne. Maintenant, il y a un grand canapé où nos ados peuvent traîner avec leurs amis. Quand on reçoit des invités, c’est l’endroit idéal pour siroter un cocktail. »

Anne passe au moins quelques heures par jour sur le porche. Et constate à quel point, en ce moment, les gens en profitent beaucoup plus que de coutume. « L’avantage, c’est qu’on peut discuter avec les promeneurs en respectant la distance de sécurité, assure la mère de famille. Tout cela sans devoir prendre de rendez-vous avec eux: les conversations démarrent de façon très spontanée… »

La saison froide? Il faut beaucoup pour que la famille Leo quitte son porche: « Tant qu’il n’y a pas au moins un mètre de neige, on reste dehors! »

Jessica Moorman, Detroit, Michigan

Jessica Moorman
Jessica Moorman© TRUI MOERKERKE

Pour Jessica Moorman, qui a rejoint son nouveau chez-elle à Detroit début octobre, « le front porch faisait partie des critères, et je dirais même plus: c’était un élément incontournable ». Mission largement accomplie, puisqu’elle possède carrément deux porches d’entrée: un au rez-de-chaussée et un plus petit en forme de balcon, au premier étage.

« Le matin, je bois mon café ici, et le soir, j’y prends parfois un apéro en faisant signe aux amis qui passent. J’ai aussi la chance que ma maison donne sur un petit parc où les habitants du quartier organisaient des fêtes avant la crise… »

Jessica a acheté sa demeure grâce au programme permettant d’acquérir aux enchères des maisons vides. Après l’exode urbain de ces dernières décennies, l’inoccupation étant devenue un problème majeur, certaines habitations en ruine ont démarré leur vente à 1 000 dollars, à condition d’y accomplir une partie des travaux de rénovation dans les six mois et d’occuper soi-même les lieux.

« J’ai commencé par la réfection intérieure. Après l’hiver, ce sera au tour des porches. Je m’en réjouis. Je suis ravie que ce quartier soit redynamisé, même si c’est encore une ville à deux vitesses pour le moment… »

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