Des architectes africains imaginent des designs ingénieux pour une planète qui se réchauffe

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Le Mausolée Thomas Sankara à Ouagadougou, au Burkina Faso, conçu par Francis Kéré. © Kéré Architecture

Ils s’inspirent aussi bien du terrain local que… des termites.

La première chose qui frappe, lorsqu’on quitte le soleil brûlant du Sahel pour entrer dans le dôme en pierre latérite, c’est la fraîcheur. Pas de climatisation, seulement de l’ombre et une ventilation naturelle ; pas non plus de plâtre. Diébédo Francis Kéré, l’architecte du nouveau mausolée de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, s’efforce de n’utiliser que ce qui peut être trouvé à proximité. « Je suis un opportuniste des matériaux de construction », explique-t-il. « Je regarde autour de moi ce qui est le plus abondant, comment les gens l’utilisent, et j’essaie d’en faire quelque chose de nouveau. » Le résultat : un édifice austère, low-tech et élégant, qui évoque l’impression de pénétrer dans un temple de l’Antiquité.

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En 2022, Diébédo Francis Kéré est devenu le premier architecte noir à remporter le prestigieux prix Pritzker (considéré comme le Nobel de l’architecture). Il est la figure la plus connue d’une génération d’architectes africains à l’avant-garde de leur profession. Surtout, ils démontrent comment construire de manière durable pour un monde en réchauffement et en mutation — et ce, à moindre coût. À une époque où la musique, l’art et la télévision produits en Afrique s’imposent dans la culture mondiale, l’architecture et le design du continent gagnent aussi en influence.

Quand les influences venaient d’ailleurs

Pendant longtemps, le mouvement était inverse. Depuis les années 1950, nombre des bâtiments publics les plus importants d’Afrique ont été modernistes dans leur style et monumentaux dans leurs proportions. Le « modernisme tropical » de l’après-guerre — un style inspiré par la fonctionnalité radicale de Le Corbusier — a servi aux jeunes États africains indépendants à affirmer leur place sur la scène internationale, explique Tosin Oshinowo, architecte nigériane. Mais les concepteurs de ces édifices, souvent étrangers au continent, utilisaient des matériaux peu adaptés aux climats locaux : béton (qui peut se fissurer ou cloquer sous l’humidité) et façades vitrées (qui surchauffent facilement).

Les bâtiments brillants conservent un certain attrait : certaines élites africaines « veulent quelque chose qu’elles ont vu dans le Nord global ou à Dubaï », constate l’architecte nigérian Kunlé Adeyemi. Cela peut aboutir, au mieux, à une uniformité sans saveur, et au pire, à des imitations bon marché. En Éthiopie, par exemple, le cœur historique d’Addis-Abeba est en cours de démolition pour laisser place à des gratte-ciel uniformes importés du Golfe.

Un retour au local

Kéré et ses pairs montrent une autre voie. Ils puisent leur inspiration dans l’environnement immédiat plutôt que dans des styles et matériaux importés. L’aspect rustique du John Randle Centre (JRC), un musée ouvert à Lagos l’an dernier, évoque l’enduit en terre utilisé depuis des siècles par les Yoruba, l’un des plus grands groupes ethniques du Nigeria. Seun Oduwole, l’architecte du JRC, estime que trop de bâtiments à Lagos sont des « boîtes blanches déconnectées de leur environnement ». Il vise, lui, à créer des édifices en harmonie avec « la nature et l’environnement physique ».

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De même, l’architecte sud-africaine Sumayya Vally s’inspire des systèmes de ventilation naturelle des termitières. Et Mariam Issoufou, originaire du Niger, a imaginé pour le Ellen Johnson Sirleaf Presidential Centre au Liberia un design angulaire reprenant la forme des huttes palava traditionnelles, dont les toits détournent les fortes pluies tropicales. Ce projet lui a valu d’être finaliste du prestigieux prix Aga Khan en 2022.

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Kéré, lui, a été marqué par Thomas Sankara, ancien président burkinabè, chantre de l’autosuffisance nationale. (Le mausolée fait partie d’un mémorial dédié à Sankara, assassiné sur le site en 1987.) Concrètement, cela se traduit par des choix ingénieux : il utilise des briques de terre crue, qui peuvent coûter entre 20 % et 70 % de moins que leurs équivalents en béton.

Un rayonnement mondial

Ces approches séduisent bien au-delà de l’Afrique. Lors de l’édition 2023 de la Biennale d’architecture de Venise — l’un des rendez-vous les plus importants du secteur — plus de la moitié des participants venaient d’Afrique ou de sa diaspora. Kéré a enseigné à Harvard et Yale. « C’est un moment unique », affirme Martino Stierli, du Museum of Modern Art de New York. « Nous avons une génération incroyablement passionnante d’architectes africains qui bâtissent localement tout en ayant un impact mondial. »

Cela se voit dans leurs commandes : le premier grand projet de Kéré aux États-Unis sera le musée d’art de Las Vegas, attendu pour 2028, qui s’inspirera du désert du Nevada. Sumayya Vally conçoit actuellement en Belgique un pont qui fera référence aux bateaux fluviaux traditionnels congolais.

Une maison triangulaire en bois de Kunlé Adeyemi, originaire du Nigéria, flottant sur un bassin d’eau sur le site de l’Arsenal lors de la 15e Biennale d’architecture de Venise en 2016. ©Sandra Trauner/picture alliance via Getty Images.

Alors que les urbanistes réfléchissent à l’avenir et à l’impact actuel de la construction sur le climat — rappelons que la fabrication du ciment représente environ 8 % des émissions mondiales de CO₂ —, ils se tournent vers les matériaux et méthodes du continent. Kunlé Adeyemi a obtenu une reconnaissance internationale avec ses « villes aquatiques » : des établissements flottants conçus pour répondre à la pénurie de terrains dans des métropoles en pleine expansion comme Lagos, et pour faire face à la montée des eaux.

Des solutions exportées

Les innovations mises au point en Afrique trouvent écho ailleurs. Les techniques de « refroidissement passif » utilisées, par exemple, dans le mausolée de Kéré, se répandent dans les pays chauds du monde entier. Des architectes occidentaux comme David Chipperfield, lauréat du Pritzker 2023, utilisent aujourd’hui des matériaux durables tels que la terre battue ou l’argile.

Kéré se souvient qu’au Burkina Faso, dans les années 1970 et 1980, de telles approches étaient souvent tournées en dérision comme « arriérées ». Aujourd’hui plus que jamais, elles sont l’avenir.

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