Télétravailler parce qu’il fait trop chaud au bureau, c’est le quotidien de certains salariés qui payent une conception inadaptée au réchauffement climatique des bâtiments de bureaux, souvent vitrés.
« Il fait plus frais chez moi qu’ici, c’est infernal, je suis à deux doigts d’aller acheter des couvertures de survie », se lamente une employée du secteur immobilier qui n’a pas souhaité donné son identité. Son lieu de travail n’a pourtant rien à voir avec une cuisine de restaurant, mais son bureau, à un mètre d’une baie vitrée exposée plein sud, affiche 29 degrés, cinq degrés de plus que les bureaux derrière la façade est du même bâtiment.
#balancetonfour
Entièrement vitré, l’immeuble situé dans le quartier Austerlitz à Paris, a été construit au début des années 2000, et est un exemple typique des immeubles en surchauffe l’été, dénoncés par l’ingénieur Pascal Lenormand via un hashtag #balancetonfour, créé en 2023 sur les réseaux sociaux. Pour cet expert de la performance énergétique des bâtiments, lorsque la surface vitrée dépasse 30% de la surface de plancher d’une pièce, « ça commence à devenir dangereux ».
Pour raisons esthétiques et économiques, les bâtiments tertiaires vitrés se sont largement imposés depuis la fin du siècle dernier, à l’image du quartier d’affaires de la Défense, à l’ouest de Paris. Mais s’ils apportent luminosité dans les vastes espaces de travail, ils sont de moins en moins adaptés aux fortes chaleurs.
L’entreprise de Romain, 38 ans, est installée depuis deux ans dans un immeuble de coworking de la Défense, rénové à la fin des années 2010. « C’était tout neuf mais il a très vite fait trop chaud, ils doivent mettre la clim à fond », explique-t-il. « On crève de chaud, il y a des baies vitrées à tous les étages », peste Adrien, 49 ans, qui travaille dans le même immeuble. Sous les fortes températures de la mi-août « une collègue a craqué, elle a dit que son téléphone portable s’était éteint à cause de la chaleur », explique-t-il.
« Pas suffisant »
Le sujet de « l’adaptation au réchauffement climatique est encore émergent » dans l’immobilier de bureaux, affirme à l’AFP Juliette Lefébure, directrice générale de l’Observatoire de l’immobilier durable (OID), une association de professionnels de l’immobilier engagée dans la transition écologique du secteur. « Aujourd’hui ce sont plutôt les enjeux de décarbonation (réduction de la consommation d’énergie carbonée, NDLR) qui sont au cœur des projets de rénovation de bâtiments, et non l’adaptation », complète Gaëlle Peschoux, chargée de projet au sein de l’OID.
Les dernières réglementations entrées en vigueur, au niveau français et européen, ont contraint un certain nombre d’acteurs à se pencher sur la question des risques liés au changement climatique, dont les canicules, les inondations, etc. Cette prise en compte dépend cependant « de la taille de la société, de son portefeuille et de ses moyens, il y a une vraie inégalité face au dérèglement climatique », selon Thierry Laquitaine, directeur de l’investissement socialement responsable du gestionnaire de fonds immobiliers AEW.
L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) a évalué les besoins annuels d’investissements en France pour adapter les bâtiments, y compris les logements, aux vagues de chaleur à entre « 1 à 2,5 milliards d’euros pour la construction neuve et 4,8 milliards pour la rénovation », en plus des investissements pour atteindre les objectifs de neutralité carbone. Et malheureusement il existe encore « beaucoup d’actifs qui sortent de terre sans tenir compte du contexte local ou de long terme » de réchauffement, déplore Juliette Lefébure.
Elle cite des orientations par rapport au soleil mal pensées, des couleurs sombres inadaptées ou encore un choix de matériaux qui n’empêchent pas assez la transmission de la température entre extérieur et intérieur. « Les bâtiments sont notoirement beaucoup mieux isolés qu’avant », assure Maxime Michaux, directeur de l’ingénierie du conseiller en immobilier JLL, grâce à des matériaux plus performants. Mais même la réglementation environnementale pour la construction neuve entrée en vigueur en 2022 (RE2020) « n’est pas suffisante », selon la directrice générale de l’OID.
Outre le recours déraisonné à la climatisation pour rafraîchir des bâtiments mal conçus, le problème « est surtout la mise en danger des personnes », prévient Pascal Lenormand, pour qui « les situations les plus dramatiques sont celles des hôpitaux ».