Bordeaux: Quand designers et architectes stars transforment les chais en oeuvres d’art technologiques
Jean Nouvel au Château La Dominique, Christian de Portzamparc à Cheval Blanc, Philippe Starck aux Carmes Haut-Brion… Célèbres ou moins en vue, des architectes transforment les chais des grands crus bordelais en oeuvres d’art, bijoux technologiques et esthétiques à la renommée internationale.
Les deux derniers-nés, les chais des Châteaux Beychevelle et Kirwan, grands crus classés dans le Médoc, ont été inaugurés récemment à l’occasion des primeurs, un système unique de vente qui a rassemblé à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, des milliers de professionnels du vin, venus des Etats-Unis, de Chine…
« C’est une course aux armements. Il y a une image à donner, un dynamisme à montrer, quelque chose de neuf », observe le directeur général du Château Beychevelle (propriété des groupes Castel et Suntory), Philippe Blanc, tout en soulignant que la motivation première reste d’ordre technique.
Dans un écrin qui rappelle la mer, en référence à l’histoire du château (en vieux français Beychevelle signifiait baisse la voile, NDLR), des mâts en bois et des vagues en métal accueillent les visiteurs.
A l’intérieur, la précision est de rigueur. Les cuves en inox plus petites et plus nombreuses qu’avant permettent de vinifier les parcelles séparément. A ce cuvier parcellaire, baigné de lumière grâce à de larges vitres, s’ajoute une technique de remplissage des cuves par gravité -et non par pompage-, censée être moins traumatique pour la vendange, et une maîtrise précise des températures.
A ces considérations techniques se greffe l’esthétisme: la pierre traditionnelle du Château Angelus (Saint-Emilion) ou du chai-cathédrale du Château Montrose (Saint-Estèphe) s’oppose aux lignes épurées et contemporaines du Château Pédesclaux (Pauillac), mélange de métal, bois, béton et verre imaginé par les architectes Jean-Michel Wilmotte et Arnaud Boulain.
« Cet écrin-là permet de montrer le travail engagé. La nouvelle architecture de Pédesclaux suscite l’intérêt des négociants, des équipes techniques, de nouveaux clients, de journalistes du vin, de particuliers », résume son directeur, Vincent Bache-Gabrielsen.
Objectif oenotourisme –
Les deux ailes de verre de la chartreuse du XVIIIe siècle répondent aux grandes baies vitrées du chai, dont le toit sombre semble posé sur les grandes cuves en inox, entouré de vignes. Dans le chai à barriques, les tuyaux sont cachés dans le plafond en bois.
Depuis la fin des travaux, en 2014, après son rachat par le fondateur du groupe immobilier Foncia (vendu en 2007), Jacky Lorenzetti, également propriétaire du club de rugby Racing Métro 92, ce château a vu le nombre de visiteurs passer de 50 à 2.000 par an!
Misant sur l’oenotourisme, cette nouvelle génération de chais permet bien souvent aux amateurs de découvrir, même pendant les vendanges, les différents stades d’élaboration du vin. Le Château Kirwan propose même une visite guidée à l’aide d’une tablette.
Plusieurs millions d’euros
« Dès le XIXe siècle, on a fait appel à de grands architectes bordelais. Les chais se ressemblent, on a des barriques, des cuves. Il faut essayer quelque chose qui va vous différencier des autres (…) C’est un cycle, tous les 25/30 ans, on refait les chais car les techniques viticoles ont changé », explique l’architecte de Kirwan, Guy Troprés, qui a également réalisé avec le Britannique Norman Foster le chai du Château Margaux.
Ailleurs qu’en France, des architectes très connus se sont également essayés à construire des chais, comme l’Espagnol Santiago Calatrava avec la bodega Ysios dans la Rioja espagnole ou encore les architectes suisses Herzog et de Meuron à Dominus Estate dans la Napa Valley (Etats-Unis), qui viennent dans un tout autre registre de livrer la Philharmonie de l’Elbe à Hambourg.
Autres atouts de ces nouvelles constructions qui coûtent plusieurs millions d’euros: elles génèrent beaucoup d’emplois et permettent des économies, grâce à la défiscalisation et aux subventions européennes. Au Château Beychevelle, ces subventions ont représenté 5% du budget de construction des chais. Une somme certes importante mais « on aurait fait le projet, (même) sans le fond européen », assure son directeur.
Pour d’autres, plus modestes, l’argument des aides et de la défiscalisation pour travaux, « c’était une des motivations », comme le reconnaît Tristan Kresmann du Château Latour-Martillac. Les subventions ont constitué 10 à 15% du budget du chantier, pas assez toutefois pour s’offrir, comme certains de ses voisins, un architecte de renommée internationale dont les services peuvent dépasser les 20 millions d’euros…
Cet investissement s’avère malgré tout rentable en terme d’image: « Bordeaux donne le « la » dans le monde. Ultramodernes, les chais bordelais sont en tête, devant la Californie, l’Australie ou encore l’Afrique du Sud », estime le journaliste spécialisé dans le vin Jean-Charles Chapuzet, pour qui « les grands crus classés 1855 mènent la danse » dans ce domaine.
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