Ce qu’il faut savoir de l’architecte belge Henry van de Velde, précurseur du Bauhaus

© FONDS HENRY VAN DE VELDE / ENSAV LA CAMBRE BRUXELLES
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Alors qu’on célèbre ce printemps les 100 ans de l’école d’art allemande, cette figure belge de l’architecture, qui anticipa le mouvement, mérite également les honneurs. Ce qu’il faut savoir de ce concepteur sans concessions.

Il est autodidacte

Pour lui, « l’usage crée l’aspect », ce qui en fait un pionnier de la modernité.

Si on retient surtout d’Henry van de Velde ses bâtiments, c’est d’abord comme peintre que ce natif d’Anvers (1863) se révèle, suivant un temps les pas de Van Gogh… avant de quitter ses toiles, imprégné par les idées socialistes et anarchistes de l’époque, et animé par l’envie de dessiner, pour tous, de beaux objets quotidiens. Pour lui, « l’usage crée l’aspect », ce qui en fait un pionnier de la modernité. La première maison qu’il signe est la sienne, la villa Bloemenwerf à Uccle. Il en fait une oeuvre d’art totale, où chaque détail est travaillé avec soin. Elle sera visitée par de grands artistes – Constantin Meunier, Henri de Toulouse-Lautrec… – et deviendra un lieu de rencontre des avant-gardes européennes. Dans cette réflexion pour son habitation, il ira même jusqu’à imaginer les robes de son épouse, l’artiste Maria Sèthe, pour qu’elles s’intègrent dans cet ensemble cohérent. « La mode commençait à se développer, avec Poiret par exemple, explique Anne Van Loo, auteure des Cahiers Henry van de Velde 15/16 sur les liens de l’architecte avec le Bauhaus. Il avait entrepris de libérer le corps de la femme et avait donc conçu pour la sienne des tenues d’intérieur amples en tissu anglais et des toilettes de soirée, non resserrées à la taille, pour lui permettre de vivre confortablement, et de travailler. Maria Sèthe l’a d’ailleurs beaucoup épaulé à ses débuts. »

Son séjour allemand fut déterminant

Une chaise de sa période Art nouveau (1898).
Une chaise de sa période Art nouveau (1898).© BELGA IMAGE / SABAM BELGIQUE 2019

Au tournant du siècle, notre compatriote, âgé de 37 ans, prend une décision qui va bouleverser sa vie, et plus largement le monde de l’architecture et du design – même si le mot n’existe pas à l’époque – et part s’installer en Allemagne, pays davantage ouvert à la nouveauté. Il passe d’abord par Berlin avant de s’établir, en 1902, à Weimar, capitale du Grand-Duché de Saxe, où il reçoit la mission de relancer la production des industries d’art – poterie, orfèvrerie… Malgré les obstacles, il instaure une école des métiers d’art qui finit par ouvrir ses portes en 1907. Il y teste une pédagogie originale, faisant de son institution une sorte de labo. Le raidissement des nationalismes et l’esprit réactionnaire de l’administration vont toutefois obliger van de Velde, qui est étranger, à démissioner. Il proposera Walter Gropius, dont il connaît les théories, à sa succession. Mais ce dernier est mobilisé sur le front dès le début de la guerre 14-18 tandis que le Belge parvient à passer en Suisse. Ils se perdent ainsi de vue… Quand Gropius revient, à l’armistice, il reprend contact avec Weimar. Et en avril 1919, le Bauhaus, « une communauté de travail collectif de toutes les disciplines artistiques, capable de produire tout ce qui serait nécessaire à la construction: architecture, sculpture, peinture… », voit le jour. « Je ne pense pas qu’au départ, Gropius ait voulu écarter van de Velde, qui avait un projet d’école en Suisse, insiste notre spécialiste. Mais quand ce dernier s’est rendu compte que, suite à la dévaluation du mark, il était ruiné, et qu’il a voulu revenir pour prendre part à l’aventure du Bauhaus, ça n’a plus été possible. Gropius s’était tellement investi qu’il ne voulait probablement pas d’une sorte de père pour lui faire de l’ombre – ils avaient plus de vingt ans de différence. »

Il n’avait pas que des amis

« Van de Velde ne fut pas le plus aimé des créateurs de son époque. L’oeuvre qu’il a laissée indique combien l’histoire fut injuste avec lui. » C’est ce qu’on apprend sur la page que Wikipédia lui consacre, citant le journal Le Monde. Et en se penchant sur son parcours, on perçoit en effet les affronts dont il fut l’objet tout au long de sa carrière. Non seulement à Weimar mais aussi en Belgique, où il sera confronté durant toute sa vie à la critique, notamment de Victor Horta qui le présentait comme un « tapissier », lui reprochant d’être un autodidacte, et un « boche », au vu de son passage en terres germaniques. « De son côté, van de Velde disait aussi les pires horreurs d’Horta, concède notre auteure. Mais je crois vraiment que le fait que l’Allemagne et la Belgique se soient retrouvées, par deux fois, dans des camps opposés au XXe siècle, a participé au fait que cet architecte soit si peu connu. On lui a souvent reproché sa proximité avec l’ennemi. »

Avec sa famille, devant sa maison, à Weimar.
Avec sa famille, devant sa maison, à Weimar.© FONDS HENRY VAN DE VELDE / ENSAV LA CAMBRE BRUXELLES SABAM BELGIQUE 2019

Il a créé l’école de La Cambre

La carrière allemande d’Henry van de Velde fera néanmoins sa renommée. Il se verra ainsi confier par une collectionneuse d’art néerlandaise, Hélène Kröller-Müller, la réalisation d’un musée aux Pays-Bas, avant de revenir en Belgique pour prendre la direction de l’Institut Supérieur des Arts décoratifs, créé pour lui et installé dans l’ancienne abbaye de La Cambre. L’idée est alors d’y brasser toutes les disciplines des arts plastiques et appliqués, à l’image du Bauhaus. Aujourd’hui nommé Ecole supérieure des arts visuels, l’institution bruxelloise a gardé dans son ADN la pensée de van de Velde. Durant cette période, l’homme multipliera également les chantiers, notamment celui de la bibliothèque de l’Université de Gand. Il deviendra par ailleurs conseiller des Chemins de fer belges pour l’aménagement de gares et de wagons. Jusqu’à ses 94 ans, il rédigera ses mémoires et ne cessera de repenser sa discipline dans un esprit ouvert sur son temps.

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