La Fondation Cartier pour l’art contemporain a ouvert son nouvel espace à Paris. Elle a pris ses quartiers dans un bâtiment haussmannien repensé par Jean Nouvel. Visite privée.
C’est un jour de septembre que l’on nommera J-40. Car dans un peu plus d’un mois, le 25 octobre 2025, la Fondation Cartier pour l’art contemporain ouvre grand les portes de son nouvel espace, à Paris. On ne pouvait pas être plus au cœur de la Ville lumière. Tout corrobore la sensation: l’élégante rue de Rivoli qui nous sépare du musée du Louvre, les douze arcades du bâtiment haussmannien qui rythment la façade à intervalles réguliers. Sans oublier la pierre de taille blonde sous le ciel bleu, les grilles des balcons et en lettres dorées, Fondation Cartier, le nom de la propriétaire du lieu.

Grâce à ses grandes baies vitrées, la Fondation Cartier est volontairement ouverte sur la ville et ses foules urbaines. Mais pour l’heure, des rideaux noirs camouflent ce qui se trame dans ce navire de 8.500 m2. Les coups de marteaux répétés résonnent et, en écho, les bruits d’une fourmilière qui s’active. Dès l’entrée, une pancarte annonce que le chantier est en cours, interdit au public. Pour ceux qui ont le droit de s’y aventurer, le port du casque est vivement conseillé. Il n’y a toutefois plus de danger: le projet architectural est terminé. Et e montage de l’exposition inaugurale est dans sa dernière ligne droite.
Un lieu de rencontres
Les 600 œuvres d’art bientôt dévoilées sont en phase de déballage, de pose, d’accrochage, d’ajustement… Et parfois par les artistes eux-mêmes. La veille, Annette Messager est venue filer un coup de main pour installer au mur sa cartographie du corps et du désir qu’elle a titrée Mes ouvrages. Pour le reste, chacun.e s’acquitte de sa tâche, tout semble réglé, comme un ballet parfaitement chorégraphié.
‘Le musée doit rester optimiste. Ce doit être le lieu où l’on s’imagine que des choses merveilleuses sont possibles.’
Les deux pieds dans la fine poussière du chantier, on sent la magie opérer. On a soudain la sensation physique de s’ancrer dans l’histoire, tout en percevant que le passé ici rencontre le présent, si pas l’avenir. Car nous ne sommes pas n’importe où. Nous sommes dans un reliquat de l’Exposition universelle de 1855. Cet édifice haussmannien a accueilli les Grands Magasins du Louvre un siècle durant.
Un ami fidèle
Ses espaces intérieurs ont été repensés par Jean Nouvel. On sait le fidèle à la maison puisqu’il est l’auteur de son unité de production à Saint-Imier, du siège de Richemont (le groupe international à l’origine de Cartier) en Suisse et du bâtiment parisien qui accueillit la Fondation Cartier pendant trente ans. «Jean Nouvel est l’architecte qui a réfléchi au musée toute sa carrière et de manière totalement spectaculaire» , commente Béatrice Grenier, commissaire de l’Exposition Générale et directrice des projets stratégiques et internationaux de la Fondation.

Pour chaque projet, l’architecte français a conçu une idée totalement nouvelle. Il suffit de penser à l’Institut du monde arabe, au Louvre Abu Dhabi ou au Musée du Quai Branly notamment. «Il a impulsé de nouvelles matérialisations architecturales en trouvant des réponses à ces questions. Comment faire exposition? Qu’est-ce qu’un musée?, poursuit la commissaire. Et puis il a aussi réfléchi au patrimoine architectural de Paris. L’inviter à transformer un bâtiment patrimonial un peu anonyme nous semblait totalement approprié.»
Un espace modulaire
Composées de cinq plateformes mobiles, modulaires, son architecture dynamique invente un nouveau langage d’exposition. «C’est vraiment une innovation, s’enthousiasme-t-elle encore. Les architectures des musées sont souvent écrites dans d’anciens palais qui étaient des résidences privées. Les pièces y sont beaucoup plus petites. Surtout elles s’enchaînent dans une succession. Cela veut dire que la muséographie est toujours une narration linéaire.» Ici, la dimension linéaire n’existe plus. «Tout peut être en perpétuelle transformation, poursuit notre guide. Le temps est explosé parce qu’on voit l’exposition par le haut ou par le bas. On avance, on recule. C’est énorme comme changement.»

Et effectivement, dans ce désordre apparent d’avant ouverture officielle, on déambule librement. On s’arrête devant La petite cathédrale de Mendini en mosaïque de pâte de verre ou au pied du Muro en rojos d’Olga de Amaral, monumentale pièce de bandelettes tissées avec de la laine et du crin de cheval mesurant 7 mètres sur 8. On emprunte ensuite les escaliers, avec vue en contrebas sur les photographies de Malick Sidibé. Ses portraits noir et blanc racontent son Mali des années 1960 nouvellement indépendant. Au dernier étage, sur un ultime plateau, le regard change d’échelle et plonge sur le sous-marin en acier équipé de son moteur diesel de 27 chevaux imaginé par Panamarenko.
Comme un manifeste
«Depuis sa création en 1984, la Fondation Cartier pour l’art contemporain s’est imposée comme un espace de dialogues, d’explorations et d’expérimentations artistiques, écrit Chris Dercon, son directeur général, dans la préface du catalogue inaugural. À travers quarante années de programmation, elle a constitué une collection vivante et singulière, reflet d’une époque marquée par la pluralité des voix, des cultures et des disciplines.»
À découvrir ce nouvel espace où se monte l’Exposition Générale, cela saute au visage. Son identité artistique est ainsi affichée par la grâce de ces 600 œuvres de plus de 100 artistes qui peuplent la collection et affichent leur diversité. Elles parlent tant le langage de la peinture, de la photo, du dessin, de l’architecture, du design, du textile, du cinéma, de la céramique, du son ou de l’art numérique.

Elles embrassent parfois aussi l’écologie, la botanique, la philosophie et les avancées technologiques. «Les lignes de forces sont visibles, précise Béatrice Grenier. Cette exposition est un manifeste des engagements artistiques de la Fondation.»
Une ouverture au monde
Le titre, Exposition Générale, n’est pas tombé du ciel. Il vient des expositions d’objets et de vêtements qui se tenaient ici, aux Grands Magasins du Louvre dès la fin du XIXe siècle, à l’instar des Expositions universelles. Passer le seuil de l’enseigne, c’était entrer dans la modernité ouverte sur le monde.

«Le visiteur déambulait à l’intérieur du bâtiment comme dans la ville, découvrant des technologies inédites, raconte la commissaire. On y avait installé les premiers ascenseurs, les tapis roulants, l’électricité et même un tramway qui permettait d’aller rapidement d’une cour intérieure à une autre… La foule s’y pressait, avide de découvrir les dernières modes et tendances…»
Nul ne s’étonnera qu’elles firent figure d’événements culturels, de lieu de sociabilité, d’avènement de la modernité, d’esprit d’ouverture. Ce titre emprunté à l’histoire est donc un symbole, voire une profession de foi. Dans la déambulation sur chantier, on s’est arrêtée net devant une sculpture en cours d’installation. C’est Nini sur son arbre d’Agnès Varda. Auparavant, elle trônait dans le jardin de la Fondation, boulevard Raspail, elle a trouvé sa nouvelle place ici, dès l’entrée, avec vue sur le Louvre, un clin d’œil.
Donner le sourire
«Avez-vous remarqué qu’on voit rarement les gens sourire en sortant du musée?, interroge Béatrice Grenier. Il faut que cela change… Le musée doit rester optimiste. Il doit être un lieu qui peut faire converger la réflexion sur le futur, un lieu d’apprentissage et de diversité, de construction d’encyclopédies communes au plus grand nombre qui nous permettent de mieux vivre dans l’avenir. Ce doit être le lieu où l’on s’imagine que des choses merveilleuses sont possibles.»

Les coups de marteaux se sont soudain amplifiés, comme pour mieux marteler cet espoir ainsi contenu dans ce chantier presque terminé. Et quand on est sortie au grand jour, sur la place du Palais-Royal, il faisait grand soleil, on a senti naître l’esquisse d’un sourire.