En images: Visite d’une maison moderniste des années 30 restaurée, Prix du patrimoine 2021
A Roulers, une habitation moderniste vient de remporter le « prix flamand du patrimoine » pour sa restauration. Depuis plus de vingt ans, Katrien Jansoone et Tom Priem cherchent passionnément les éléments d’origine de cette belle endormie. Le résultat est à la hauteur. Visite guidée.
L’allure paquebot de la maison cubiste de 1932 détonne dans la petite rue de Roulers. A l’époque, les voisins ont sans doute été surpris quand le propriétaire de l’usine voisine, entrepreneur dans le secteur du béton, l’a fait construire pour sa fille. Il l’a commandée à l’architecte moderniste Joseph De Bruycker, à qui il a laissé carte blanche. Elle devait refléter le goût avant-gardiste du commanditaire. Cette inspiration ne plaisait pas à sa fille, qui, dès son arrivée dans la demeure, s’est empressée de meubler le lieu de tapis au sol et aux murs, dissimulant les détails modernistes.
Bâtie sur une structure poteaux-dalles en béton armé – spécialité du paternel oblige – l’habitation est typique du mouvement moderne: ses volumes sont cubiques, son toit est plat et de larges baies vitrées laissent entrer la lumière. Elle évoque le Stijl hollandais – courant artistique des Pays-Bas, fondé en 1917 par Theo van Doesburg – tout en faisant la part belle à l’ornementation, par l’usage d’éléments décoratifs audacieux et surtout de couleurs vives.
Explosion de tons
Nous entrons dans la maison par quelques marches et nous tombons nez à nez avec un étonnant bloc sanitaire couvert de céramiques grises, rejointoyées en orange. Un choix de teinte audacieux qui annonce les prises de position architecturales radicales de De Bruycker. Nous ne sommes pas déçus en pénétrant dans le studio-bibliothèque, feu d’artifice de jaune, vert et gris. Les matières ne sont pas en reste: variétés de marbre, céramiques, marbrite, caoutchouc, linoléum et bois enrichissent cette palette multicolore. En 1934, De Bruycker ferme la terrasse et perce le mur interne par un vitrail coloré gigantesque. Un réel spectacle pour les yeux. « La première fois que je suis entrée dans la maison, j’avais envie de fuir, nous confie pourtant Katrien, propriétaire des lieux. Elle était grise et sombre, il y avait des infiltrations, la faute au toit plat. Les murs et les sols étaient couverts de moquette et de papier. Il fallait être très imaginatif pour se projeter là-dedans! Mais les travaux progressant, nous avons mis au jour des trésors. »
Comme la pièce majeure du lieu: le sol du living, linoléum marbré et coloré, dessiné par le peintre Victor Servranckx. Un paysage abstrait de lignes droites et courbes. « C’est l’ancêtre du linoléum qui n’existait pas à l’époque. Il a vraisemblablement était réalisé sur place. Le tapis de sol posé dessus a permis de le préserver des rayons du soleil », poursuit l’habitante.
Grâce aux photos d’époque parues dans la revue Bâtir, les propriétaires ont pu retrouver les dispositions originelles et recréer certains éléments disparus, comme dans le salon. Seul problème, ces photos sont en noir et blanc. « C’est difficile de retrouver la couleur exacte quand il n’existe plus rien », explique Katrien. Mais des recherches stratigraphiques sur les murs ont permis de dénicher les teintes d’origine. « Cet été, nous allons repeindre les chambres des enfants, mais nous leur laisserons le choix du ton. Ils ont fait beaucoup de concessions durant la rénovation, nous leur devons bien ça », ajoute-t-elle.
Dans les années 60, la maison a subi pas mal de modifications malheureuses. Des travaux de gros oeuvre ont dû être entrepris, toiture, isolation, électricité, menuiseries. En façade, le parement de briques était couvert de carreaux de céramique grise. Ils avaient abîmé les briques, qui ont dû être entièrement reconstruites: « Cela a mis un an, des étudiants en architecture venaient voir régulièrement le chantier », s’amuse la propriétaire.
Beauté versus confort
La cuisine est peut-être une des illustrations les plus probantes de modernité: elle est équipée de la marque Cubex, sans doute le premier exemple du genre en Flandre. Couleur or, elle illumine la petite pièce qui fut à l’origine le refuge de la bonne à demeure, celle-ci ayant sa chambre sous le toit. Aujourd’hui, de nombreuses concessions ont été faites sur le confort pour favoriser l’esthétique. « Nous avons un lave-vaisselle ainsi qu’un frigo d’appoint dissimulé dans un meuble de notre coin à manger depuis deux ans. Notre réfrigérateur principal est dans le cellier », confie Katrien Jansoone.
L’aménagement mobilier du reste de la maison est conçu par l’architecte De Bruycker. Il avait une fabrique et dessinait des meubles. Beaucoup ont disparu, mais il reste quelques pièces remarquables, comme la bibliothèque et une petite table dans le studio. « Nous aimerions reproduire la banquette intégrée du salon, qui évoque celle de la Villa Cavrois de Robert Mallet-Stevens, en France », explique encore la propriétaire.
Restaurer une maison classée est le travail de toute une vie. Les hôtes projettent de rénover encore le hall et son escalier, la salle de bains et les chambres. « Au départ, on est tombés amoureux de l’endroit. Recevoir ce prix du patrimoine, c’est rendre tangible cet amour, aux yeux du public et des spécialistes, évoque Tom. Nous avons été surpris et heureux de remporter ce prix. Les mentalités changent, on comprend doucement l’importance de ce type d’architecture. Et nous, nous avons gagné en humilité. Cette maison, c’est surtout le fruit d’un architecte et d’un maître d’ouvrage, visionnaires tous les deux. »
En Bref: Joseph De Bruycker
- L’architecte est né à Saint-Trond en 1891 et décédé à Roulers en 1942.
- En début de carrière, il est très influencé par le style néo-gothique avant de s’initier au modernisme dans les années 20, aux côtés d’artistes comme Huib Hoste et Victor Servranckx.
- Il découvre l’architecture moderne hollandaise de Willem Dudok qui marquera fortement la suite de son travail.
- En 1925, il devient aussi concepteur de meubles et dirige la fabrique Het Binnenhuis, dont les productions se retrouvent dans ses constructions.
- Il dessine plusieurs maisons principalement à Roulers, mais sa plus célèbre, De Ooievaar, construite en 1935, se situe à Ostende.
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