Jean-François Pirson: « J’ai tenté de développer une vie où la liberté, c’est de retrouver du temps et d’avoir un agenda avec des pages blanches »

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Walériane Dubois Stagiaire

Il est architecte, écrivain et dessinateur mais se définit comme artiste-pédagogue. Dans son dernier livre, paru en septembre, grâce à la Cellule architecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il évoque son rapport à l’espace au travers d’ateliers qu’il organise. Homme polyvalent et adepte de la marche, il croque, photographie, écrit et souligne l’importance de trouver sa voie personnelle pour atteindre la liberté.

J’ai toujours refusé de gagner ma vie avec ma production. Il y a deux raisons à cela. D’abord, parce que je ne suis pas assez productif. Certaines personnes produisent tellement… Moi je n’y parviens pas. La seconde raison, c’est que le système de l’art me répugne parce que c’est un système financier. Il y a des galeries parallèles qui ne sont pas là-dedans, mais le système en soi fait en sorte que ce qui compte, c’est la cote de chaque oeuvre.

L’important, c’est de s’inventer. Pour moi l’homme et la femme naissent incomplets et doivent s’inventer. De nos jours, c’est difficile parce qu’il y a la pression économique et celle de la société. On passe notre temps à demander aux autres « Qu’est-ce que tu fais dans la vie? » et cette liberté on doit la trouver. Elle peut donner du sens au quotidien. Et je crois que peu de personnes ont réussi à donner ce sens à leurs vies. C’est vraiment dommage. Mais c’est simplement parce que tout le système éducatif est à revoir. On forme des personnes pour servir la société. On ne dit pas « Qu’est-ce que les jeunes vont nous proposer demain? », on les dirige vers une profession. C’est une finalité plutôt que de se dire qu’il y a un potentiel énergétique d’invention. On ne laisse pas assez de place à la créativité.

L’ennui a une connotation péjorative, mais il est positif. Dans l’ennui, quelque chose peut surgir. C’est ça la valeur positive de l’ennui. Il faut laisser s’ennuyer parce que, à un moment donné, viendra une idée, une pensée ou une inspiration. Quand on dit à un enfant « tu t’ennuies, tu veux voir un film? », on remplit son temps. Le problème, c’est que rien ne peut venir quand on remplit. Puisqu’on sait que cela a une connotation négative, on devrait rebaptiser l’ennui par « un temps blanc ». En prenant ce temps blanc, on pourrait s’étonner soi-même. Il y a des personnes qui disent ne jamais s’ennuyer. Moi, je peux dire que je m’ennuie souvent parce que j’ai tenté de développer une vie où la liberté, c’est de retrouver du temps et d’avoir un agenda avec des pages blanches.

Personnellement, je trouve qu’on différencie trop l’art des autres choses. J’ai déjà travaillé avec des institutrices d’écoles primaires qui consacrent des heures à la créativité. Les enfants doivent dessiner d’après un modèle. Or, ce qui est intéressant, c’est de se dire que le professeur passionné de couture peut enseigner cette créativité spécifique pour que l’enfant se développe. Tout est normé et pas assez personnel. La passion peut mener à quelque chose de concret. Je suis opposé à toute recette du bonheur, aux gourous, aux livres de développement personnel. Il est important que tout vienne de soi. La pédagogie, c’est inspirer pour donner des idées et qu’ainsi chacun puisse trouver son bonheur. L’art est un moyen mais cuisiner peut en être un autre par exemple.

Je crois que c’est très compliqué de trouver sa voie personnelle. Disons que c’est toujours ce que j’ai essayé de faire en pédagogie. J’ai donné cours pendant près de trente ans dans une école d’architecture à Liège. J’essayais de faire en sorte que mes étudiants trouvent une cohérence personnelle dans leurs projets et dans leur quotidien. Le but était de savoir si l’architecture était réellement ce qu’ils voulaient faire de leur vie. Dans les workshops que j’organise, c’est un peu ce que je tente de faire aussi. Confronter les gens à ce qu’ils sont, développer quelques expériences et voir comment ça résonne pour eux.

Je n’avais jamais fait de danse et puis un jour j’ai décidé de m’y mettre. J’en ai fait pendant trois ans et j’ai compris beaucoup de choses: que je dansais très mal, que j’avais un mauvais sens du rythme et que je ne retenais rien. Mais le point à retenir est que j’ai compris que si je voulais danser sur une scène je pouvais le faire. Si on veut faire quelque chose, il suffit de le décider et de travailler sur ce qu’on est pour pouvoir le faire. En fait, celui qui a envie de dessiner peut le faire. Il y a des gens surdoués, j’en ai vu en architecture. Ce qui est amusant, c’est que souvent c’est ceux-là qui arrêtent. Il y en a d’autres qui ne sont pas doués mais qui cherchent. Ceux-là vont jusqu’au bout. Si on disait un peu plus aux gens « Tu peux le faire, il n’y a pas besoin de don », ça changerait beaucoup de choses. Même si on ne fait pas partie des grands de ce monde, on a quand même une place à l’intérieur de celui-ci. C’est ça qu’il faut tenter de développer.

Pratiques de territoire- Marches et workshops, par Jean-François Pirson, collection Fenêtre sur, Cellule architecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Jean-François Pirson:

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