La nature en ville: un jardin sur le toit en plein coeur de Bruxelles
A deux pas du centre historique et du palais de justice, le paysagiste Bernard Capelle a conçu un grand jardin de toit, avant-gardiste à bien des égards. Il y concilie des valeurs esthétiques avec les plus récentes préoccupations environnementales urbaines : économie d’énergie, gestion des eaux, limitation du bruit…
Signé de l’architecte français Edouard François, cet immeuble situé au sein du pentagone bruxellois, entre le boulevard de Waterloo et la rue aux Laines, affiche son standing dès le hall d’entrée. Vitrine de référence de la marque allemande BMW en Belgique, l’édifice se caractérise par un volume contemporain accolé au bâtiment principal, dont la toiture en arc de cercle se termine au sol. Ce geste architectural est d’autant plus remarquable qu’il contraste avec les hauts murs décrépis des demeures patriciennes voisines. Le propriétaire du bien désirait végétaliser cette plate-forme courbe et c’est pourquoi il a fait appel à Bernard Capelle, sachant que ce paysagiste possède une solide expérience en matière de projets de ce type. Plus encore, ce professionnel propose une vision globale qui combine à la fois le caractère bucolique que l’on attend d’un aménagement de ce genre et les plus innovantes recherches en matière de gestion des ressources. « L’implantation d’un édifice, que ce soit un hangar industriel, des appartements ou une maison unifamiliale, fait disparaître une parcelle de champ ou de prairie, explique le concepteur. C’est pourquoi certains urbanistes ont imaginé reconstituer cette nature au-dessus des constructions. Leurs motivations sont multiples. Il y a le côté esthétique, la quiétude que cela engendre, la perception du changement des saisons qui en découle… Mais tout espace de verdure agit aussi comme un poumon, il purifie l’air, régule la température, recueille la rosée du matin, offre le gîte et le couvert à une foule d’animaux… »
Nature réinventée
Version moderne des jardins suspendus de Babylone, les premières toitures végétalisées ont mis en évidence les apports positifs ressentis par leurs usagers et les riverains. Ceux-ci notent une diminution des nuisances sonores et des températures extrêmes en été, mais ils soulignent également un effet apaisant et déstressant… « Dans un second temps, est apparue une autre préoccupation, que nous avons totalement prise en charge dans ce dossier, à savoir la gestion des eaux de pluie, poursuit le spécialiste. Prenons l’exemple d’une forêt. Les gouttes glissent le long du feuillage, rejoignent la litière et l’humus dans lequel elles percolent lentement, parce que le sol est bien pourvu en matières organiques. Une toiture ordinaire, par contre, déverse les flots dans le réseau d’égouttage. Ici, nous avons 2 000 m2 de surface. Un gros orage amenant 30 à 40 l/m2 en un bref laps de temps, cela représenterait 70 000 l pour les canalisations ! Au bout du compte, cet afflux engorge les stations d’épuration. Ce n’est pas un hasard si dans les pays à la pointe de ces technologies, les institutions s’intéressent de près à ces projets qui visent à limiter les quantités à évacuer. » Assez logiquement, les autorités bruxelloises ont donc imposé à l’architecte et au paysagiste de se pencher sur la problématique. Quatre cylindres de 120 cm de diamètre ont ainsi été creusés dans le terrain, entre le bâtiment courbe et l’ancienne muraille qui limite la propriété. Ils s’enfoncent à une quinzaine de mètres jusqu’à rejoindre la couche de sable. Ils ont été ensuite comblés d’un mélange de terres, entrecoupé régulièrement par des strates de feutre. Ces « puits » filtrent l’eau qui ruisselle, avant qu’elle rejoigne la nappe phréatique.
En ce qui concerne la toiture arrondie proprement dite, puisqu’on part d’une surface totalement artificielle, le défi est ici de façonner un sol qui réponde aux exigences de la nature. Les plantes doivent pouvoir s’y développer, sans devenir trop envahissantes. L’eau doit aussi y être freinée afin de ne pas dévaler la pente en cas de forte précipitation. « On appelle cela du biomimétisme, précise l’expert. En utilisant des matériaux appropriés, on essaye de recréer les caractéristiques recherchées de la terre. » Les végétaux s’ancrent dans une couche de graviers de pierre de lave. En dessous, on trouve du feutre et une structure alvéolaire qui évoque des boîtes à oeufs et fait office de microréservoirs tampon en prévision des périodes plus sèches. L’excédent est acheminé vers les puits, en contrebas.
Comme à la montagne
Reste à déterminer ce qui constitue l’essence d’un espace vert : le choix des plantes. Sur une plate-forme horizontale classique, on peut aisément s’inspirer des jardins méditerranéens dont les espèces résistent à la sécheresse. « Dans le cas qui nous occupe, on doit se soucier des pentes qui atteignent près de 45 degrés dans certaines parties, fait remarquer Bernard Capelle. Il faut donc limiter les travaux d’entretien en cherchant du côté de la flore alpine, notamment des variétés de petite taille qui croissent dans des conditions extrêmes. »
On retrouve notamment la véronique en épi (Veronica spicata), le poivre de muraille (Sedum acre), le gazon d’Espagne (Armeria maritima), l’oeillet des Chartreux (Dianthus carthusianorum) et du thym serpolet (Thymus serpyllum). A cela s’ajoutent quelques graminées comme la laîche humble (Carex humilis) ou la fétuque ovine (Festuca ovina). Résultat : l’entretien de ces 2 000 m2, soit 20 ares, ne requiert que deux hommes durant deux demi-journées par an !
Pour compléter le tout, le créateur a habillé les anciens murs disparates de trois types différents de vigne vierge. Au pied de cette muraille, il a composé un « mixed border » de hautes vivaces et de graminées. Parmi les premières on trouve la gaura de Lindheimer (Gaura lindheimeri), l’eupatoire pourpre (Eupatorium maculatum atropurpureum), le cierge d’argent (Cimicifuga simplex White Pearl), l’hémérocalle (Hemerocallis), l’euphorbe (Euphorbia characias ssp wulfenii). Pour les graminées, Bernard Capelle a sélectionné l’incontournable « herbe à éléphant » (Miscanthus sinensis), le panic érigé (Panicum virgatum) et la molinie bleue (Molinia caerulea). Un chemin en bois, avec éclairage, vient compléter l’ensemble.
S’ils sont encore peu courants en Belgique, les aménagements comme celui-ci font l’objet de nombreuses recherches et applications en Allemagne ou aux Etats-Unis. « C’est le troisième de cette importance que je réalise à Bruxelles, note le paysagiste. Et je travaille actuellement sur 4 500 m2 en plein centre d’Anvers. » Selon l’adage « qui peut le plus peut le moins », les technologies qui sont développées pour le besoin des projets urbains sont bien entendu applicables à plus petite échelle, de préférence sur des couvertures plates ou à faible pente. De quoi ouvrir de nouveaux horizons pour tous les amateurs de nature en ville.
Bernard Capelle, www.landscapedesign.net
Par Jean-Pierre Gabriel
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