Le nouveau roi de Marrakech: en visite dans le somptueux dar du chef belge Carlo Simons
Son nom est sur toutes les lèvres dans la Ville rouge. Le Belge y comble le beau monde avec un concept d’hôtel gastronomique dans un cadre atypique, à l’approche personnelle unique. Visite des lieux.
Nous débarquons un vendredi soir devant l’hôtel Dar Simons, situé dans une ruelle étroite de Marrakech, à Bab Doukkala au nord de la médina, une partie de la ville traversée par les touristes en route vers le Jardin Majorelle et le Musée Yves Saint Laurent. En l’absence de sonnette, il faut frapper à la porte en bois stylisée. L’endroit, inauguré juste avant le premier confinement, n’est pas encore très connu par-delà les frontières marocaines. Mais dans la Ville rouge, tout comme à Rabat ou Casablanca, il affole déjà les épicuriens aisés. Aujourd’hui, les riverains ne sont plus surpris par les voitures de sport ou blindées qui s’arrêtent au bout de la ruelle pour déposer et récupérer des clients.
Souriant, mais un peu réservé, Carlo Simons, le chef limbourgeois, nous reçoit dans son Dar, le nom que l’on donne aux maisons en arabe. Une musique soul chaleureuse remplit l’espace derrière lui. Le patio aux finitions en tadelakt brut est décoré d’une seule table sculpturale en granit, de chaises Marc Ange – un cadeau du designer lui-même – et de lampes vintage. Çà et là, on perçoit des éléments japonisants en bois, notamment une chaise angulaire sur le côté de la cuisine, qui témoignent de la fascination du propriétaire pour les intérieurs nippons. Un regard vers le haut nous renseigne sur le faible pour l’architecture Art déco et moderniste du maître des lieux. Pas tout à fait le décor traditionnel auquel on pourrait s’attendre à Marrakech, où le mélange coloré d’imprimés, de tapis, de lampes et de plantes est légion.
Carlo Simons
- Le chef, âgé de 39 ans aujourd’hui, est né à Houthalen, dans le Limbourg.
- Il a étudié à l’école hôtelière de Hasselt, puis a travaillé pour plusieurs restaurants gastronomiques dont le Comme Chez Soi, à Bruxelles.
- En 2017, il a déménagé avec sa femme et ses trois enfants à Marrakech, où il a acheté une propriété délabrée dans le quartier populaire de Bab Doukkala.
- Après deux ans de démarches administratives, de démolition et de reconstruction, il a ouvert son hôtel gastronomique Dar Simons, au printemps 2020.
- darsimons.com, 110 euros la nuit, petit-déjeuner inclus. Menu gastronomique à 90 euros par personne, hors boissons alcoolisées.
« J’ai vraiment créé mon propre monde », explique notre hôte qui, en tant que chef, est passé par de belles tables belges, telles que Comme chez Soi, avant de quitter notre plat pays. Ici, le menu en six services qu’il propose le week-end pour seulement douze convives, selon l’arrivage du jour, est tout aussi élégant, minimaliste et raffiné que l’intérieur. Plus tard dans la soirée, il nous servira une gambas au feu de bois avec salade braisée et sauce aux poivrons confits, un turbot sur une tarte tatin de chicons, un chou-fleur braisé avec sauce au crabe et parmesan et un sorbet de céleri aux fraises et framboises effilées. « Je vois beaucoup de jeunes chefs dont le restaurant est une copie conforme de celui où ils ont fait leurs armes, nous confie-t-il. Personnellement, je désire que les gens viennent vraiment pour moi, pas pour ce que j’ai fait dans le passé. »
Lieu d’échanges
Mais si les clients se pressent et n’hésitent pas à multiplier les visites, c’est certes dû au talent de cuisinier du chef, mais pas que. Pour Carlo Simons, ce Dar est surtout « un projet social passionnant »: « Un entrepreneur doit avoir un impact positif sur la communauté dont il fait partie, relève-t-il. Il le fait d’une part en créant des emplois, mais aussi en offrant des opportunités qu’il a lui-même reçues autrefois. J’insiste donc pour travailler avec la population locale pour tous mes projets. De Bouchra et Anas qui m’assistent dans la salle, au poissonnier qui vient ici avec ses produits, au menuisier qui fabrique mes meubles ou au safranier auquel je rends régulièrement visite. J’ai construit une relation très riche avec eux. Ils font partie de ma famille. »
Le lendemain, lorsque Carlo Simons nous emmène en balade à travers la médina, il n’y a pas un coin de rue où il n’est pas salué. Une dame âgée – une ancienne voisine – semble profondément émue lorsqu’elle le croise. « En fait, j’ai été accepté rapidement par la communauté ici, mais en tant qu’étranger, il faut être ouvert, observe-t-il. Il faut « vouloir » cette relation. Beaucoup de gens négligent cet aspect. »
Le restaurant lui-même est aussi un véritable lieu d’échanges. « Je me nourris des rencontres qui se créent grâce à moi, se félicite le propriétaire. Quand, à la fin d’une soirée, tout le monde se connaît et que de nouvelles amitiés se nouent, je suis comblé. Récemment, deux invités, qui ne se connaissaient pas en début de soirée, ont convenu de se retrouver à Casablanca plus tard pour déguster des plats de streetfood. C’est fantastique… Les deux dernières années ont été particulièrement difficiles sur le plan mental. Je suis tellement, tellement content que tout rentre dans l’ordre. »
Chef à temps partiel
Si l’atmosphère et le repas ne leur suffisent pas, les clients peuvent également séjourner dans l’une des trois chambres où Carlo Simons a combiné son amour du design vintage italien avec l’art. Les visiteurs y restent idéalement une nuit ou deux, après quoi notre homme les aide à poursuivre leur route. « Les chambres sont trop petites pour rester ici plus longtemps. Si les invités sont d’accord, je suis heureux de leur organiser quelque chose à faire le lendemain. Les touristes se promènent trop souvent à Marrakech comme s’ils étaient dans un zoo. Ils rentrent alors chez eux sans avoir pu créer un seul contact. C’est dommage. Les expériences font disparaître les préjugés. » Le chef ne tient toutefois pas à jouer les tours-opérateurs. Il n’organise pas d’escapades dans une oasis ou de vols en ballon par-dessus le désert pour sa clientèle. Mais il peut proposer, par exemple, une nuit chez une famille berbère, un atelier tajine et une randonnée dans les montagnes pendant que le repas cuit lentement sur les charbons. Ou emmener ses visiteurs dans un restaurant local pour un déjeuner à 2 euros qu’aucun touriste n’oserait manger seul.
Après avoir passé deux jours avec lui, nous constatons que Carlo Simons est toujours élégant, en Jil Sander, Dries Van Noten ou Margiela – l’un de ses héros, d’où le casque de moto Margiela exposé en évidence dans le restaurant. Pas exactement le look que l’on associe à un chef. « Je ne me sens pas comme tous les chefs, avoue-t-il. J’ai travaillé avec de nombreux confrères. Ils peuvent exceller aux fourneaux, mais une fois qu’ils les quittent, vous remarquez le peu de connaissances qu’ils ont sur d’autres choses. Je ne veux pas que les murs de ma cuisine m’emprisonnent. Je m’intéresse beaucoup à la mode, à l’art, au design et à ce contact social avec les gens. La cuisine n’est qu’une toute petite partie de ce que je suis. » Le chef est d’ailleurs constamment à la recherche d’idées pour surprendre le public de son établissement, à coups de rencontres inédites et d’objet détonants, à l’image des très beaux couverts de son restaurant. « Cela provoque parfois un peu de désordre dans ma tête, sourit-il, alors qu’il semble pourtant parfaitement zen. Je veux que mes clients découvrent quelque chose de nouveau à chaque visite. » Le téléphone sonne. Le directeur du fameux hôtel de luxe La Mamounia veut réserver une table pour quelques clients. Tout est dit.
Ses adresses arty
1. SOUFIANE ZARIB: » C’est l’adresse secrète d’innombrables architectes et décorateurs de renommée mondiale. Dans sa boutique, vous trouverez des tapis d’une qualité exceptionnelle – Soufiane est issu d’une lignée de tisserands – et une collection originale d’objets de design et d’art dans un environnement qui vous laissera sans voix. »
Dar El Bacha, 16, rue Riad Laarous.
2. DAR RBAA LAROUB: » L’un des tout premiers riads de la médina à s’être ouvert aux touristes étrangers, il y a une trentaine d’années. Cela fait du propriétaire, Jean-Noël, une véritable légende dans le centre de la ville. Dans l’une des sept chambres, vous pourrez vous détendre dans un cadre magique ; la terrasse sur le toit est un petit paradis terrestre. Mais il faut d’abord le trouver, bien caché dans le labyrinthe des ruelles de Mouassine. »
Mouassine, 61, Derb Abid Allah. darrbaalaroub.com
3. LE BACHA COFFE: » Il s’agit du café du Musée des Confluences, installé dans un palais construit par le Pacha Thami El Glaoui en 1910 au coeur de la médina. Un magnifique jardin arabe, d’innombrables carreaux de zellige et l’atmosphère idéale pour se détendre. »
Dar El Bacha, rue Lalla Fatima Zahra.
4. MCC GALLERY: » Cet espace et plate-forme d’art, situé dans le quartier industriel de Sidi Ghanem, permet de découvrir et acheter les oeuvres d’artistes reconnus et de talents émergents du Maghreb et du continent africain. »
Sidi Ghanem, 281, rue Principale.
5. MACAAL: » L’un des premiers musées dédiés à la promotion de l’art africain contemporain. Le bâtiment, qui était à l’origine un centre administratif, est situé dans un parc au sud de la médina. Il a été transformé en musée par l’architecte français Jean-François Bodin et Lazraq Bret. Dans le parc, vous pouvez également emprunter le parcours de sculptures Al Maaden. »
Al Maaden, Sidi Youssef Ben Ali. macaal.org
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