Michele De Lucchi, architecte, designer, artiste: « Nous devons offrir au monde une idée d’un futur meilleur »
Le maestro du design et de l’architecture investit le CID au Grand-Hornu. Du haut de ses 72 ans, toujours à l’avant-garde, auréolé de son prix Compasso d’Oro 2022 qui honore sa carrière, accompagné par son studio AMDL CIRCLE, Michele De Lucchi ose l’espoir. Avec Futuro gentile. Un futur aimable, il dévoile son imaginaire et ses projets, entre utopie et science-fiction. Il est salutaire de rêver.
Pourquoi avoir titré cette expo « Futuro gentile, un futur aimable »?
Parce que le futur est aimable. Il faut le désirer. Et cultiver ce désir. Sinon l’humanité disparaîtra. Juste parce que nous n’aurons pas été capables de créer les conditions pour survivre. Je suis positif, nous devons tous l’être ou alors le devenir. Comme architectes et comme designers, nous n’avons plus seulement le droit de tracer des murs et un toit, de créer une architecture à succès ou de beaux objets, nous devons veiller à ce qu’il advient d’eux et à ce qu’ils génèrent comme comportements positifs. Nous devons offrir au monde une idée d’un futur meilleur. Nous avons la responsabilité de nourrir l’imaginaire.
‘Comme architectes et comme designers, nous devons offrir au monde une idée d’un futur meilleur.’
Vous chérissez l’artisanat…
L’artisanat, ce n’est pas quelque chose de vieux et de démodé. Façonner avec ses mains permet de commettre des erreurs et de les réparer très aisément. L’innovation vient de là. Parce que ce sont les outils les plus proches de l’esprit et du cerveau: on ne fait jamais la même chose, on peut toujours tenter de faire mieux, de transcender les limites de nos capacités, de nos connaissances. Quand on travaille manuellement, on sent, on sait.
Le bois est votre matériau de prédilection. Pourquoi?
Le bois est le seul matériau qui ne laisse pas de déchets. Je l’aime et le travaille avec une tronçonneuse au bord du lac, chez moi. Ce n’est pas dangereux, rassurez-vous, c’est juste bruyant − l’outil n’est pas très aimable mais il est efficace. Cela me permet de conceptualiser mes projets. Je cherche la forme originelle de chaque chose. Je pense que si on parvient à trouver celle qui restera, même sous les détails, on capture alors son essence.
Quel est le sens de votre projet dédié à l’architecture « naturalisante »?
L’architecture peut redevenir de l’humus avec le temps. C’est le sens de notre projet Satellite Stations, dédié à l’architecture «naturalisante» ou «fertile», présentée à la Milan Design Week 2022. Il est né parce que nous sommes convaincus que nous vivons de grandes transformations, qu’elles sont tangibles et qu’il faut explorer la relation entre l’environnement bâti et le monde naturel. Ces petits lieux de réflexion, ces serres, ces loges, ces pavillons de bois se transforment peu à peu et retournent à la terre.
« Je suis et je resterai orphelin de Memphis », avez-vous dit un jour…
Chaque époque a son langage. Le Groupe Memphis fut une source inspirante dans les années 80, il était dans l’esprit du temps, c’était le Zeitgeist d’alors. Ce mouvement a nourri ma sensibilité pour tout ce qui est «colorful» et «happy». Mais je ne peux plus utiliser le vocabulaire de Memphis parce qu’il appartient à cet âge-là et qu’il doit y rester.
Vous êtes multi-primé et multi-récompensé. Les médailles comptent ?
On a tous besoin de reconnaissance. Cela donne une certaine confiance dans ce que l’on réalise. Une forme de confort avec soi-même aussi. Car il faut continuellement trouver la balance: on commet des erreurs et on tente de les réparer ensuite… J’en commets quand je fais quelque chose de trop pessimiste, quand je vois de la noirceur partout, j’en suis alors honteux. Par contre, il est un projet dont je suis vraiment fier, c’est le Pont de la Paix à Tbilissi, construit juste après la guerre russo-géorgienne. C’est un symbole fantastique.
Vous avez beaucoup voyagé, qu’en avez-vous retenu?
La diversité des cultures… Chaque région, que pays a une âme différente. La diversité est une richesse. Je suis allé en Argentine récemment, j’y ai visité la «forêt silencieuse», dans le nord, ainsi appelée parce que les Européens y ont jadis planté des conifères, des pins et autres arbres alpins, de sorte que les animaux n’y entrent pas. Vous connaissez le son de la jungle, le bruit y est intense mais là, quand vous y pénétrez, soudain il n’y a plus un son. J’ai réalisé combien il était important de préserver la diversité, dans la nature et ailleurs, tout est basé sur elle. Et j’ai aussi compris combien l’environnement influence l’évolution d’un être. La mienne et celle de mon frère jumeau ont été affectées par les endroits dans lesquels nous avons vécu. Il enseigne la chimie à l’université et vit à Venise, une ville merveilleuse mais petite et provinciale, tandis que j’ai voyagé partout. Quand j’étais étudiant, j’ai été frapper à la porte d’Ettore Sottsass, je rêvais de travailler avec lui. Il m’a demandé si je connaissais le monde, je lui ai répondu: «Pas tant que ça…» Et lui: «Comment prétendre designer pour le monde et les gens si vous ne les connaissez pas?» J’ai compris intimement ce qu’il voulait me dire. Si je ne regardais pas de tous mes yeux, si je ne comprenais pas ce qui était bon et ne l’était pas, ce qui dure longtemps et ce qui disparaît, je serais un architecte limité, qui ne produirait rien de positif et négligerait l’espoir.
Michele De Lucchi et AMDL CIRCLE: Futuro gentile. Un futur aimable, au CID – Grand-Hornu, cid-grand-hornu.be Jusqu’au 27 août.
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