Pourquoi l’architecture brutaliste nous fascine-t-elle toujours?

L'hôtel du Lac de Raffaele Contigiani à Tunis, 1973.
L'hôtel du Lac de Raffaele Contigiani à Tunis, 1973. © Philip Quick - Courtesy Phaidon Editions
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Les bâtiments brutalistes sont souvent critiqués pour leur esthétique austère et radicale. Et pourtant, nombreux sont ceux qui lui trouvent aussi une force, une puissance… voire même une certaine poésie! Alors, pour ou contre? Les éditions Phaidon nous aident à mieux comprendre ce style.

« J’aime toutes les formes d’architecture, mais j’aime profondément l’architecture brutaliste parce qu’elle est puissante et difficile à comprendre », écrivait en février 2022 l’actrice Gwyneth Paltrow sur Instagram. Et de poursuivre : « Certains la trouvent laide, mais j’apprécie la force et la juxtaposition des lignes minimalistes et des structures complexes et parfois cubistes. Je pense qu’il a fallu du courage pour redéfinir les bâtiements à ce point après la guerre. »

Un style qui déchaîne les passions

Cette prise de parole d’une star d’aujourd’hui illustre bien les rapports ambigus que tout qui s’intéresse un peu à l’architecture entretient avec le style brutaliste. Ce courant, qui a est apparu dans les années 20, a toujours suscité des réactions très tranchées, dans un sens comme dans l’autre. On se souvient notamment des propos du Prince Charles (aujourd’hui Charles III) qui qualifia un jour l’extension de la London National Gallery, représentative du brutalisme, de « monstrueux furoncle »!

Beaucoup ont en effet reproché au brutalisme son échelle inhumaine. Mais le style a aussi eu son lot de défenseurs comme le résume bien les éditions Phaidon qui consacrent un beau livre au sujet (*). « Ces excentriques, passionnés et anti-conformistes se plaisaient à admirer quelque chose de clairement inacceptable », écrit Owen Hopkins en préface de son livre. Aujourd’hui, le nombre de fans ne cessent d’ailleurs de croître, ceux-ci se laissant séduire, à l’image de Gwyneth Paltrow, par cette esthétique assumée et aussi la visée sociale des projets brutalistes.

Ilha Musical de Decio Tozzi au parc Villa-Lobos, à Sao Paulo au Brésil, 1989.
Copyright: Leonardo Finotti / Courtesy Phaidon Editions

C’est que le mouvement a porté, et porte encore, du moins avec certains de ses bâtiments, un message politique à visée égalitaire, hérité de l’après-guerre. « Les brutalistes ont donné une identité et un sens à de vastes grands ensembles modernes qui allaient permettre à des millions de personnes de ne plus vivre dans des conditions insalubres », explique l’auteur. Et de rappeler que l’objectif premier des brutalistes étaient de « donner vie à un monde nouveau ».

Des architectes qui veulent réinventer le monde

Le brutalisme a vu le jour entre le moderisme et le postmodernisme, à l’époque ou le premier courant voyait ses idées mises à mal par une frange de la population et des critiques d’architecture. Les brutalistes se sont ainsi infiltrés dans la faille et on proposé une réponse au carrefour de l’éthique (chère aux fonctionnalistes) et de l’esthétique (revendiquée par les postmodernistes), jouant clairement sur les deux tableaux.

L’extension du musée national suisse de Christ & Gantenbein, à Zurich.
Copyright: Maykova Galina/Shutterstock/courtesy Phaidon Editions.

A cette dualité, s’en est ajoutée une autre, puisque l’approche brutaliste a longtemps oscillé entre le local et le mondial. « Le brutalisme cherchait toujours à s’inspirer du local pour les formes qu’il déployait, la relation entre les bâtiments et leur site et dans une certaine mesure les matériaux », résume Owen Hopkins qui rappelle que le courant avait aussi une approche universelle basée sur « l’hypothèse largement partagée selon laquelle le pétrole serait éternellement bon marché et abondant »…

L’histoire nous dira le contraire. Mais il n’empêche… Aujourd’hui, le brutalisme garde son lot croissant d’admirateurs, de défenseurs, mais aussi de concepteurs qui remanient les idées d’alors en intégrant les contraintes du XXIe siècle. « Le brutalisme est à la fois un mouvement architectural et une sensibilité, il y a de nombreuses manières d’être brutaliste. Le brutalisme a démontré avec une puissance et une énergie viscérale rares le potentiel de l’architecture pour refaire le monde et l’améliorer », conclut l’auteur, sans nier non plus que le mouvement a ses points critiquables…

(*) Les brutalistes, par Owen Hopkins, éditions Phaidon, 368 pages.

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