Mathieu Nguyen

Les nuits avec mon ennemi

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Que l’on soit client ou pas, il faut le reconnaître: ils sont forts chez Netflix. Le poids lourd de la vidéo à la demande a réussi l’exploit de réunir sur un même pied de perplexité une partie de ses amateurs et détracteurs, en annonçant la diffusion d’un programme en partenariat avec une application labellisée « Méditation & sommeil »: Le guide Headspace du sommeil. Objectif poursuivi tout au long de ces sept épisodes de quinze minutes? Démystifier notre rapport au dodo et nous souffler quelques astuces pour que Morphée nous ouvre grand ses bras musclés. L’entreprise semble habitée des plus louables intentions: le sommeil reste l’un des grands enjeux ignorés de notre santé, mieux le comprendre nous permettrait d’améliorer notre bien-être et, soyons fous, le fonctionnement tout entier de nos sociétés.

Le petit bémol, c’est qu’imaginer Netflix en bienfaiteur de nos nuits, ça sonne aussi crédible qu’un menu « légumes de saison » au McDo ou un stage de slow conduite chez Ferrari. Voire moins, finalement, quand on se rappelle qu’en 2017, le cofondateur et CEO de la plate-forme claironnait haut et fort que « son adversaire, c’est le sommeil ».

On peut dire que le bougre s’est donné les moyens de remplir sa mission – saccager nos rythmes circadiens, donc. Car ce n’est pas seulement par la qualité de son catalogue, loin s’en faut, que Netflix s’est imposé comme le spécialiste des films, docus et séries qui nous entraînent jusqu’à l’insomnie. Des « fonctionnalités » virent bientôt le jour, comme le bouton pour sauter le générique et l’introduction, la mise en ligne instantanée de saisons entières, au risque de voir spoiler les fans qui avaient autre chose à faire de la journée, la diminution du temps d’attente entre deux épisodes, passé de 15 à 6 secondes… tout cela en usant et abusant du cliffhanger, ces épisodes dont l’intrigue reste suspendue, pour laisser le spectateur face à l’éternelle question: « Encore un? »

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Regorgeant de créativité, Netflix a même inventé la possibilité de s’abrutir au hasard, grâce à un algorithme qui lance des programmes choisis aléatoirement, des fois que le spectateur ait autant la flemme de chercher lui-même un contenu intéressant que celle de se déscotcher de l’écran. Et même une fois déconnecté, le N rouge s’avère ultraprésent sur les réseaux sociaux, où d’habiles community managers justifient leur stratégie à grands coups d’humour retors, et vient nous harceler jusque dans nos boîtes mail, pour nous informer des derniers ajouts ou nous rappeler de terminer une série abandonnée en cours de route. On vous épargne les détails scientifiques, le minutage des phases et les dangers de la lumière bleue, pour vous proposer cette fulgurante vulgarisation: tout cela n’est pas très sain.

Et qu’en disent les fervents adeptes de la marque au « toudoum »? Pas grand-chose, à part peut-être ceux qui ont suivi Sexify, série de flatteuse réputation, apparue sur la plate-forme à peine quelques jours après ce fameux Headspace Guide to Sleep. Dans le pilote de ce succès surprise, on passe 50 minutes à expliquer à l’héroïne que ses travaux n’intéressent personne, pour la voir finalement consacrer ses recherches au seul sujet qui fasse tourner la planète: le sexe. Et sur quoi planchait la demoiselle avec tant d’acharnement? Une appli censée optimiser le sommeil. Oups.

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